Citations sur La Mer de la fertilité, tome 2 : Chevaux échappés (38)
Un instant, leurs regards se croisèrent. Isao,regardant les yeux de son père, en vit toute la lâcheté sans qu'y brillât aucun courage. Mais, dans ces yeux, tel le martèlement lointain des sabots qui se rapprochent, la colère jaillissait du plus profond du cœur.
A présent, les prêtres s'avançaient, portant le fût et la jarre de terre. Vêtus de blanc, avec de noires coiffes de cérémonie, ils élevaient solennellement ces offrandes, et les lys attachés frémissaient de beauté au-dessus de leurs têtes. Un des lys à tige particulièrement longue portait un bourgeon dont la pâleur rappelait celle d'un adolescent au comble de l'émotion et sur le point de s'évanouir.
Aucun nuage ne voilait la satisfaction de la femme assoupie par un après-midi d’été. De fines perles de sueur recouvraient sa peau. Ses sens avaient emmagasiné une grande abondance de souvenirs divers. Son ventre, s’enflant légèrement en respirant dans son sommeil, se gonflait telle une voile dans la merveilleuse plénitude de sa chair. Le nombril délicat qui résistait à la voile en tirant de l’intérieur, couleur des bourgeons de fleurs de cerisier sauvage, reposait paisiblement frais et rosé, sous une flaque de sueur minuscule. La gracieuse fermeté des seins, à l’air si majestueux, semblaient exprimer d’autant mieux la mélancolie de la chair. La peau finement tendue, semblait rayonner comme par une lanterne allumée au-dedans. Le grain lisse de l’épiderme atteignait jusqu’à l’extrémité des seins d’où émergeait, telle la vague déferlant sur l’atoll, le tissu en relief des aréoles. Celles-ci étaient couleur d’orchidée, pleines d’agressivité calme et pénétrante, teinte empoisonnée qui veut attirer la bouche. Sur ce pourpre foncé, le mamelon se dressait tout fringant, tel un écureuil effronté levant la tête. L’effet en était d’une gaieté espiègle.
Sa mère était devenue assez forte, au point que ses mouvements en étaient embarrassés. La jeune fille folâtre, aux yeux emplis de curiosité et qui ne voyait jamais que le côté ensoleillé des choses, se dissimulait à présent sous le triste fardeau de chairs surabondantes où semblait s'exprimer un tempérament aussi joyeux qu'un ciel tout entier assombri. Il y avait une âpreté dans son regard qui suggérait une incessante colère mais, malgré tout, les mouvements érotiques de ses yeux étaient restés ce qu'ils étaient, bien des années auparavant.
«Ainsi donc, nous y voilà! Mais il n'est pas facile de mourir en beauté, savez-vous? Parce que le choix du moment ne vous appartient pas. Même pour un soldat, rien ne garantit qu'il pourra mourir exactement selon ses désirs.»
Il avait le visage pâle d'un poisson auquel on aurait fait porter des lunettes cerclées d'or. Cela disait l'habitude de vivre dans les eaux froides et sombres où jamais ne pénétrait le soleil, de ne respirer qu'en tremblant sous les algues enchevêtrées de la bureaucratie.
Au cours de ses envolées si lointaines, il se trouvait que ll'enfant eût soudain , saisi la perception accablante de son père et de sa mère à venir au moment même où ils s'unissaient physiquement. Un enfant mâle subissait alors l’envoûtement du dépouillement corporel sans vergogne de sa future mère et, en dépit de l'ardeur de son ressentiment envers celui qui allait être son père, ce dernier n'avait pas plus tôt accompli son éjaculation impure que l'enfant, saisi d'une joie passionnée comme si cet acte eût été le sien, en renonçant à sa libre existence pour prendre vie dans le sein de cette femme; A cet instant commençait le stade ultérieur de l'existence.
Telle était l'explication bouddhiste.
Un des vétérans, Masamoto Aikyo, s'enfuit jusqu'au col de Mikuni mais, se voyant peu à peu encerclé par trois policiers, il s'assit brusquement sur le bas-côté du chemin, s'ouvrit le ventre et mourut. Il avait cinquante-quatre ans.
Et pourtant, le risque qu'avaient accepté de courir les membres de la Société en renonçant à se servir d'armes à feu avait bien mis leur dessein en lumière. Ils devaient bénéficier de l'assistance divine et c'était en vérité leur but que de défier, armés du seul sabre, les armes de l'Occident haïes des dieux.
La douleur aiguë que Honda avait ressentie du temps où sa poitrine à lui était pleine de flammes impétueuses, l'étreignait de nouveau à présent, aussi intense que jamais, bien qu'à son âge, il aurait du être immunisé contre elle.