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Critique de ATOS


Voici donc le deuxième tome. Deuxième acte. Différent et pourtant si proche du premier.
« Je viens d'avoir un rêve. Je te reverrai. Je le sais. Sous la cascade. »…
Telle était la vision du héros principal, celle du jeune Kiyoaki, au moment de sa mort, vision confiée à son ami Honda.
Nous voilà en 1932, Japon. Honda a mûri. Kiyoaki repose. 18 ans sont passés. le monde change. L'ère Meiji n'est décidément plus. Un capitalisme outrancier, effréné s'est engouffré dans l'âme japonaise. Les équilibres sont rompus. Les sabres doivent être rangés, déjà se dressent de nouveaux autels, renversant, bousculant un ordre dans lequel les hommes consentaient à vivre.
Les richesses sont subtilisées, le nouvel ordre mondial n'apporte pas au plus démunis la félicité.
La famine fait rage, les campagnes sont exsangues. le Japon a faim et pourtant les coffre-forts sont pleins. Politique et profit marchent de concert.
Les seigneurs ne sont plus, l'empereur n'a plus la main sur le destin, les règles du jeu ont changé.
Le thème de la réincarnation est le fil conducteur de « La mer de la fertilité » de Mishima, ,et c'est dans ce deuxième tome que l'on comprend davantage ce que ,pour Mishima, ce concept signifie.
Le corps disparaît, l'âme teint à rejoindre le soleil, mais l'esprit , l'esprit lui est divin car il ne meurt jamais. Immortel. Il renaît.
C'est grâce à Mishima que je comprends mieux cette notion. Que voyons nous en celle ou celui que nous pensons être une réincarnation ? Ses traits ? Ses gestes ? Non, c'est l'esprit, le monde de ses idées. Ainsi voit on à travers les âges , revenir l'esprit de la liberté, l'esprit de la beauté, de la bonté, mais également l'esprit du mal, l'esprit de la haine. C'est l'esprit qui demeure et l'homme n'est que le véhicule de la pensée. le ciel lui même transporte la nuit, transporte le jour, et rien n'arrête son cours.
Voici donc l'esprit de Kiyoaki revenu. Il revient à travers Isao, le jeune Isao, en se présentant à Honda sous une cascade. Aussi impétueux, aussi vif, aussi excessif, aussi entier, exigeant, aussi perdu, aussi plein de douleurs et de colère que le fut Kiyoaki. Ne sachant que faire de son corps, il plonge son sabre dans les entrailles de son esprit.
C'est à la lecture ce deuxième tome que je suis particulièrement frappée par la correspondance entre le destin de l'auteur et le destin de son personnage.
Tout est là, inscrit, analysé, déclaré, panifié. Écrit.
« La mort de Mishima est l'une de ses oeuvres et même la plus préparée de ses oeuvres" écrivait Marguerite Yorcenar. Et c'est tellement vrai, et c'est tellement effrayant à la fois.
Mishima s'est réincarné dans ses personnages. Il a donc rejoint le soleil. Immortel, son esprit est devenu immortel. Tout est là. L'idée est terrifiante.
Passé ce malaise, cet étonnement, et à la fois cet émerveillement, car on ne peut qu'être émerveillé devant cette oeuvre, cet acte , ce geste littéraire, un fois donc passé ce choc, on ne peut pas faire l'impasse sur le rapprochement de cet esprit qui anime le corps d'Isao et l'esprit qui traverse actuellement une partie de la jeunesse occidentale, voir mondiale.
Perte de repères, incapacité à projeter ses rêves dans une réalité qui semble échappée à toute justice, à tout honneur, à tout dignité, à toute équité.
Le désordre extérieur malmène l'intérieur des êtres, il leur faut donner raison à leur mal être. Échapper,... s'échapper.
Rien ne peut les arrêter, l'enseignement de correspond plus à leur besoin, les aînés s'affaiblissent, l'autorité perd le respect. C'est dans le nationalisme que le jeune Isao tente de trouver la langage audible de ce qu'il nomme la pureté. «  en pure perte » voilà la déclaration solennelle et glaciale d'Isao.
Agir en pure perte , en ayant conscience de ce détachement total, aucune notion d'intérêt, aucune récompense, aucune louange, faire de sa vie « une pure perte », comme un geste de beauté.
Terrifiant.
Jamais la plume de Mishima n'a été aussi coupante, brûlante. Jamais le danger n'a plané aussi près de ses écrits.
Il faut je crois donner à lire la mer de la fertilité, mais il faut veiller à en totalement débattre.
L'idée de justice, de loyauté, d'idéal, l'idée de nation, l'idée d'incarnation , d'identité, doivent être développées, expliquées auprès d'un jeune public.
Faire lire Mishima, oui, et puis en parler.
Lire Mishima et ne pas quitter des yeux ce qu'il a écrit ni ce à quoi il est arrivé, c'est à dire à sa propre fin.
Les livres traitant du suicide, de la notion de « pure perte », qui peuvent rejoindre tous les fanatismes et extrémismes de tristes augures, sont des livres que l'ont doit accompagner.
Mais leur lecture est nécessaire, impérative même. Et la qualité littéraire de Mishima, son honnêteté, permet de mettre les cartes sur nos tables.
On ne peut qu'être douloureusement fasciné par Mishima, fasciné comme on peut l'être par la flamme, par l'oeil d'un ouragan, fasciné par le vide qui vous surprend et vous appelle au bord d'une falaise, fasciné devant un danger que l'on pense maîtriser. Jouissance de la perversion. Voilà ce qui revient au sujet de l'esprit Mishima. Jouissance et intelligence de la perversion.
Mais cela dit, dit et une nouvelle fois dit, pourquoi les écrits de Mishima semblent ils si pertinents à notre époque ?
A bien y regarder, quelle différence entre un seppuku et une ceinture d'explosif ?
Quelle différence entre ce nationalisme, ce fanatisme des cultes divins, cette vénération des ordres anciens, ce code d'honneur, cette iconographie, cette notion de pureté qui se voudrait idéal, quelle différence avec les fanatismes actuels de tout poil qui veulent établir un nouvel ordre, imposer la nuit comme tribut à une illusoire éternité ? S'éventrer ou se faire exploser, quelle différence ?
La pureté de l'intention ? le déroulement de l'histoire ?
A bien regarder le jeune Isao, à entendre ses théories, à le voir ainsi mourir en pure perte ne ressentons nous pas la même stupéfaction que le fidèle Honda ? Qui sont de nos jours les réincarnations de Kiyoaki , d 'Isao ? Ne sont ils pas parmi nous ?
Les écrits de Mishima aussi brûlants soient-ils, ne permettraient-ils pas de décrypter l'esprit qui meut quelques jeunes âmes perdues et tourmentées qui agissent en pure perte d'eux mêmes ?
Qui sont ces « ces enfants invisibles », égarés dans les limbes d'une réalité qui ne les reconnaît plus ? Pourquoi leurs rêves ont ils le goût du sang et la couleurs d'un cauchemar  ? « Il faut qu'une nation se détruise elle-même avant que l'étranger puisse causer sa destruction, qu'un homme se méprise lui même avant d'être l'objet du mépris des autres ». Terrible , etrrifiante phrase.
Mais Mishima met en garde : «  Ce surtout contre quoi il faut mettre en garde un jeune homme comme vous, c'est la confusion de la pureté d'intention et de l'histoire »…
Mais il écrit également que la pureté est étoffe de poésie… Où ce situe la limite, sur quelle lame évoluons nous ?
Une bonne occasion de mourir vaut elle plus que toutes les raisons de vivre ?
Décidément Mishima ne cesse pas de m'étonner, et de m'interroger.
Vers quoi et vers qui nous conduira le troisième tome ?…
«Je viens d'avoir un rêve. Je te reverrai. Je le sais. »…
Alors rêvons puisque vient l'heure de nous séparer

Astrid Shriqui Garain

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