Les deux premiers tomes de la tétralogie La mer de la fertilité m'avaient complètement gagné. Ainsi, mes attentes étaient élevées pour le temple de l'aube. Et la première partie les a rencontrées. J'ai retrouvé Shigekuni Honda, qui avait abandonné la magistrature pour se lancer dans le droit. Il est maintenant dans la cinquantaine et il commence à sentir le poids de l'âge. Il n'est pas particulièrement proche de son épouse, il n'a pas d'enfants. À ce stade de la vie, n'importe qui se tourne vers le passé, nostalgique. Les années de jeunesse, l'Académie, les princes thaïlandais… surtout son amitié avec Kiyoaki Matsugae, mort trop tôt, Et cette phrase énigmatique : « Je te reverrai. » Puis, tel que prophétisé, le meilleur ami s'est réincarné en Isao Iinuma, un jeune homme aux convictions élevées, lui aussi mort dans la fleur de l'âge. Mais le cycle doit continuer. En 1939, en voyage d'affaires en Thaïlande (il doit régler un litige commercial), Honda entre en contact avec la jeune Ying Chan. À sept ans, elle a de drôles d'idées. « Je ne suis pas une vraie princesse siamoise. Je suis la réincarnation d'un Japonais et mon pays à moi, c'est le Japon. » (p. 31) J'aime bien comment tout est relié, ainsi la présence des princes thaïlandais dans le premier tome n'était-elle pas un détail superflu mais pensé dès le début, important à l'intrigue. Mais bon, je ne m'attendais pas à ce qu'un avocat vieillissant kidnappe une altesse royale mineure. Plutôt, Honda s'embarque dans un voyage spirituel, introspectif en Inde. Même si cette partie était davantage contemplative, partagée entre les réflexions religieuses et philosophiques et ses observations des coutumes indiennes, je ne me suis pas ennuyé. Peut-être ai-je glissé rapidement sur quelques paragraphes mais, dans l'ensemble, c'était différent et intéressant.
Malheureusement, la deuxième partie m'a laissé ambivalent. Elle se déroule quelques années après la guerre. La désillusion est partout mais Honda fait partie de la classe privilégiée donc il ne souffre pas trop. Un jour, il apprend que la princesse Ying Chan se trouve au Japon pour poursuivre ses études supérieures et il cherche à la rencontrer afin de vérifier s'il s'agit vraiment de la réincarnation de Kiyoaki Matsugae. Elle, de son côté, ne se rappelle plus les lubbies de son enfance, pas plus du vieil homme. Elle est devenue une jeune femme énigmatique. Trop, peut-être, parce que je n'ai jamais connectée avec elle. Ying Chan me semblait froide, distante, inaccessible. Peut-être l'auteur
Yukio Mishima éprouve de la difficulté à bien cerner un protagoniste féminin ? Quoiqu'il en soit, il s'ensuit de multiples péripéties dont je n'ai pas vraiment compris l'utilité. Entre autres, Honda cherche à jouer les entremetteurs, cherchant à faire dévierger la princesse par un jeune homme de sa connaissance. Pourquoi ? Aussi, par moment, il me paraissait un vieil homme pervers sur le retour de l'âge, qui trouve son plaisir à espionner les femmes à leur insu. Ce n'est pas du tout l'image que je voulais garder de cet homme qui m'avait toujours paru assez respectable même si son intérêt marqué pour le sexe opposée avait été plus d'une fois évoqué. Puis, les événements se précipitent vers la fin, culminant dans une finale décevante. Je m'attendais à la mort de la princesse, comme ce fut le cas des protagonistes dans les deux tomes précédents – après tout, le cycle des réincarnations doit continuer – mais la sienne s'est résumée en quelques lignes presque expédiées.
Dans tous les cas, j'ai tout de même apprécié mon expérience de lecture. Je me suis immergée dans cet univers extraordinaire : la Thaïlande exotique, l'Inde mystique et, surtout, le Japon de l'après-guerre qui se reconstruit, qui cherche sa voie. L'occupation américaine, l'ouverture à la culture occidentale, certaines traditions reléguées aux oubliettes, etc.
Yukio Mishima a créé un véritable chef d'oeuvre. Je suis autant impatient que triste à l'idée de me lancer dans le dernier tome de la série.