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André Pieyre de Mandiargues (Autre)Jun Shiragi (Autre)
EAN : 9782070702503
136 pages
Gallimard (11/10/1984)
4.31/5   8 notes
Résumé :

L'Arbre des tropiques est la seule pièce de son théâtre à laquelle Mishima ait donné le nom de «tragédie».

Pour la rattacher à la Grèce antique et au cycle des Atrides, sans doute, mais aussi pour justifier la présence ici d'une outrance plus violente que dans aucune autre de ses pièces et d'une sorte de terrorisme érotique, poétique et cruel qui se pourrait comparer à la veine du drame élisabéthain.

Du meurtre de ses petits o... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Quel huis-clos familial vénéneux, cette pièce du Maître Mishima ! Cinq personnages, pas un de plus. Le chef de famille, Keisaburo, est selon l'auteur, « un monarque content de lui ». Il apparaît orgueilleux et égoïste. Force de la nature au coeur fatigué, il a bien du mal à aimer vraiment, qu'il s'agisse de ses enfants dont il semble détaché, et de sa femme simple objet de désir…qui l'aveugle. Car sa femme Ritsuko est une redoutable renarde, encore belle femme un peu artificielle, elle sait le pouvoir de séduction qu'elle exerce sur son mari et joue la soumise pour mieux l'amadouer. Ikuko la fille a tout l'air d'une jeune femme innocente et romantique, mais c'est en réalité un caractère décidé, qui exerce une influence quasi-hypnotique sur son frère Isamu, un jeune homme rêveur et indécis. Nobuko est une soeur ou une cousine de Keisaburo. Entre son tricot, ses chansons et la compagnie qu'elle tient parfois à Ikuko, elle est surtout le témoin, et l'augure (elle le pressent), du drame qui va se jouer, et ne cherche guère à l'éviter.

La scène s'ouvre sur Ikuko, qui se dit gravement malade, et qu'on surprend dans son dessein de tuer son 8ème petit oiseau de cage à la suite, au bout d'un mois de compagnie. Isamu arrive avant le crime, mais Ikuko lui rappelle que quelques années auparavant, sa mère a mis un couteau dans les mains du jeune homme pour le diriger contre son père…Isamu est troublé, mais quand il tente d'éclaircir le sujet avec Ritsuko, celle-ci dément et suggère à Isamu que leur attirance réciproque pourrait bien aller au-delà du rapport habituel mère-fils…Keisaburo, entretenu du complot de Ritsuko, ne croit pas une seconde que sa jeune et gentille femme-enfant puisse le tuer, et elle-même se charge de démentir encore…Ce couple apparemment idyllique, où chacun a l'air bien à sa place à l'image de cette société japonaise misogyne, se préoccupe de la relation de trop grande proximité entre leurs enfants…

Le projet criminel est omniprésent dans cette pièce, la tension et le fiel sont permanents, les relations entre chacun des acteurs peu fiables, hypocrites, et teintées de perversité psychologique et de désir. Ce qui est édifiant, c'est la domination et le combat de deux femmes, Ritsuko et Ikuko, pour dominer notamment le pauvre Isamu, écartelé entre un sentiment amoureux pour sa soeur, et son désir incestueux pour sa mère…Et même si Ikuko le pousse à installer dans la tête de son père l'idée d'un complot de Ritsuko, ça ne prend pas et le garçon a bien du mal à accuser sa mère…qui flattera encore le désir de son fils au moment clé…Et comme un symbole, ces deux femmes rivales redoutables rêvent d'ériger dans le jardin un arbre des Tropiques, qui envahira l'espace de ses généreuses feuilles vertes, puis de ses éclatantes fleurs rouge sang !

Un drame familial digne d'une tragédie grecque : cette histoire, c'est presque celle des Atrides transposée au Japon ! Mishima dit avoir concentré son inspiration dans les dialogues, et fait le choix de décors minimalistes, issus de réminiscences personnelles piochées deci-delà, dominées par l'arbre flamboyant, et comme souvent chez lui par l'importance de la mer. Pour moi ce fut un grand plaisir de lecture, on retrouve dans cette oeuvre théâtrale la cruauté psychologique dominant son oeuvre romanesque, mais aussi une beauté pure du texte (même si la traduction génère forcément un biais). Mishima est décidément un esthète qui sait déployer une grande puissance évocatrice des atmosphères…Je trouve dans son écriture un immense pouvoir de fascination : alors que j'oublie souvent assez rapidement des lectures pourtant appréciées, je visionne nettement des images, manifestement indélébiles, de tous les livres de Mishima ! Vivement la lecture d'autres de ses oeuvres, romans, nouvelles, théâtre !
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Une lecture mystérieuse qui oscille entre une forme de symbolisme psychanalytique et une relecture expressionniste de la tragédie grecque (un peu à la façon de l'Electre de Richard Strauss adaptant Sophocle) pour décrire l'implosion de la cellule familiale, entre inceste latent, désir de parricide et de matricide, tentation du suicide pour fuir cette réalité et ces tensions insupportables. L'ensemble irrigué par la métaphore poétique de cet arbre des tropiques qui apparaît comme le venin pulsionnel archaïque qui se développe et engloutit la demeure familiale.

J'aurais adoré le lire sous la forme d'un roman tellement les dialogues sont beaux et l'atmosphère réussie. Et j'ai très envie de le découvrir au théâtre avec une belle mise en scène.

Une lecture aussi indispensable que celle de ses romans. Avec la superbe traduction de Mandiargues...
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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
ISAMU
Ce qui me fait mal est de te savoir malade. Je ne peux l’accepter. Je ne peux l’accepter. (Serrant de ses mains son visage.) Pourquoi es-tu tombée malade ?

IKUKO
Je me le demande…
(Ils s’embrassent, longuement. Puis Isamu se lève, va jusqu’au bord de la scène, revient s’asseoir sur le lit de sa sœur.)

ISAMU
Pourquoi était-ce, à ton idée ?

IKUKO
Je voulais peut-être être malade. Lasse de ma bonne santé et de ma perpétuelle agitation, j’aurais souhaité me réduire à n’être plus que deux yeux pour voir, deux oreilles pour entendre. Couchée comme je suis, à longueur de jour, je peux voir clairement une quantité de choses qui échappent aux bien-portants. Oui, c’est cela…
Je n’en pouvais plus de me tenir en position verticale en face du monde, à tel point que je suis tombée malade. Il aurait seulement fallu que la maladie ne s’aggrave pas si vite.

ISAMU
Cela ne va pas plus mal, Ikuko.

IKUKO
Toi aussi, tu essaies de me réconforter avec les mêmes mots que les autres. Pourquoi une maladie ne deviendrait-elle pas plus grave, comme l’herbe devient plus épaisse, comme les arbres grandissent ? Chacun, ici, s’efforce de faire pousser la haine dans son cœur comme un arbre dans la terre. Pourquoi mon mal ne pousserait-il pas, lui aussi ?

ISAMU
Cesse de parler ainsi, Ikuko ! Parlons plutôt des jours où tu iras mieux et où je t’emmènerai sur mon vélo jusqu’à la mer, ou ailleurs.

IKUKO
Tu pourras m’emmener quand je serai mourante, car je n’irai jamais mieux…Il n’y en a plus pour longtemps, maintenant. Oui, tu me porteras à la mer sur ton vélo, cramponnée à tes épaules, dans cette chemise de nuit que le vent gonflera comme un grand capuchon blanc que tu aurais pris pour l’expédition. Minuit, et la mer ! Si quelqu’un nous aperçoit, il se rangera avec crainte, pensant avoir rencontré un étrange fantôme qui passait comme une ombre…Je serai morte avant que tu n’arrives au rivage.

ISAMU
Ikuko !

IKUKO
Mes doigts seront agrippés à toi, mes ongles auront pénétré dans ta chair et tu devras en arracher mes mains avant de jeter mon corps à la mer avec force, pour que la marée de nuit l’emporte loin au large.
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RITSUKO
Ecoute-moi, Isamu. Tu vas planter l'arbre dont tu as rêvé, ton arbre des tropiques, dans cette terre que tu peux voir et toucher, ici même, et ses terribles fleurs rouges rempliront tout le jardin qui ne connaîtra plus d'automne ni d'hiver. Rien qu'un été perpétuel sous le brillant couvert de grandes feuilles vertes comme des ailes de paon. (Elle prend la main d'Isamu comme pour lui montrer le jardin imaginaire.) Cette végétation amoindrie par l'automne aura disparu. A sa place, sous des rayons de soleil filtrant à travers la masse du feuillage, partout s'épanouiront les fleurs de l'arbre comme d'énormes gouttes de sang. Tout sera transfiguré, des perroquets crieront sur les branches, de jolis petits lézards verts courront à côté de nos pieds. Quand ton regard trouvera une ouverture entre des feuilles agitées comme autant d'éventails, ce n'est plus la nuée sombre et froide de ce soir que tu verras, ce sera le bleu éclatant du ciel tropical.

ISAMU
Oh ! Là-haut, je viens d'apercevoir le lueur d'un éclair qui a illuminé de blanc le bord des nuages. Mais je n'ai pas entendu le tonnerre.

RITSUKO
Pauvre Isamu ! Est-ce tout ce que tu es capable de voir ?
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NOBUKO
Ainsi, vous n'avez pas perdu l'espérance...Quelle espèce de sauvage vous êtes.

KEISABURO
Dites ce que vous voudrez. J'ai peut-être été un homme excessif dans la sympathie ou l'antipathie que j'avais pour les sentiments des autres. Je ne crois pas avoir été bien affligé, moi-même, par ce que l'on nomme des sentiments, et si j'en ai eu ce n'aura été qu'à l'égard de ce que les autres me montraient. Par exemple, je ne vous ai jamais aimée, Nobuko, ou plutôt ce que je n'aimais pas en vous était votre solitude. La solitude est une sorte d'odeur exhalée par certaines personnes. Je la détestais chez vous, je détestais vos airs de solitaire, je ne vous en excusais pas. Maintenant, cela va changer. Je vais tolérer qu'on soit solitaire et je pardonnerai à ceux qui le seront ostensiblement.

NOBUKO
Que de générosité ! Mais vous-même, si vous tombiez dans la misère de la solitude, vous le pardonneriez-vous ?

KEISABURO
Je ne risque rien. Je suis fort comme un roc et les hommes forts n'ont pas à craindre la solitude.

NOBUKO
A vous montrer errant de pièce en pièce dans votre demeure, en pleine nuit, d'un pas chancelant, vous êtes pis qu'un solitaire ou que la solitude même, vous êtes le spectre de la solitude.

KEISABURO
C'est vous, Nobuko, qui êtes un fantôme.

NOBUKO
Pas du tout, mon cher cousin. Je suis un être humain et je sais ce que j'ai perdu. Je sais que pour moi tout est fini. Vous, au contraire, vous avez tout perdu et vous n'en savez rien.
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Elle présente en sa plus grande intensité ma vision du classicisme au théâtre, et cela dans la pièce la plus abstraite que j'aie écrite. J'ai essayé, non seulement d'y suivre avec fidélité la règle aristotélicienne des unités, mais aussi d'y créer une version abstraite du " double suicide " cher à Chikamatsu. C'est en somme, une sorte d'hybride et je doute d'être capable encore de quelque chose de pareil aujourd'hui.
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KEISABURO
Il n'y a que vous, dans cette maison, qui montriez de l'affection, ou simplement de l'humanité.

RITSUKO
N'est-il pas naturel que je m'inquiète de votre santé ? N'êtes-vous pas mon époux très cher ? J'ai peut-être été une épouse imparfaite, mais pendant toutes les années de notre union je n'ai vécu que pour être dévouée de coeur et d'âme à vous, mon bien-aimé, et à vous seul. Il m'a manqué de savoir être bonne épouse et bonne mère en même temps, comme d'autres, plus habiles que moi.

KEISABURO
Je ne vous demandais que d'être comme vous fûtes, et j'ai été content de vous.

RITSUKO
Vous avez été ma force et mon soutien, comme un grand arbre autour duquel s'attache un lierre pourpre, et si tombe l'arbre le lierre tombe avec lui et demeure tordu sur le sol jusqu'à la pourriture finale. Vous devez vous conserver robuste et sain, et pour cela il faut vous tenir à l'écart des intrigues et des commérages de notre domicile. Gardez vos oreilles closes.

KEISABURO
J'ai essayé, mais je n'arrive pas à m'empêcher d'entendre, que je le veuille ou non.

RITSUKO
Mon voeu a toujours été de vous protéger, comme une digue élevée devant un champ superbe pour qu'il ne soit pas inondé. Quoi qu'il puisse arriver, soyez sûr que la digue ne cédera pas. Oui, la seule idée de vous donner protection me remplit de courage et de conviction. Si je suis capable d'être pour vous un faible lierre autant qu'une forte digue, je suis votre ombre aussi, un reflet de votre puissance et de votre énergie, auxquelles je dois tout. Aussi longtemps que vous vous conserverez tel, mon existence vous sera vouée entièrement.

KEISABURO
A entendre Ikuko, quelqu'un, dans cette maison, voudrait me tuer. Vous, précisément.

RITSUKO
Je ne prendrai pas la peine de me défendre. L'accusation est si folle qu'elle ne me donne même pas envie de pleurer. Comme tant de fois je vous l'ai dit, il n'y a là rien que le produit de l'imagination malade des enfants, et d'Ikuko en particulier. Vous le savez très bien, en dehors de notre jeune infirme, il n'y a rien ici qui soit anormal ou qui puisse devenir dangereux, et vous n'avez aucune raison de vous en tourmenter.
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Videos de Yukio Mishima (17) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Yukio Mishima
Yukio Mishima (1925-1970), le labyrinthe des masques (Toute une vie / France Culture). Diffusion sur France Culture le 20 février 2021. Un documentaire d'Alain Lewkowicz, réalisé par Marie-Laure Ciboulet. Prise de son, Philippe Mersher ; mixage, Éric Boisset. Archives INA, Sandra Escamez. Avec la collaboration d'Annelise Signoret de la Bibliothèque de Radio France. 25 novembre 1970 : Yukio Mishima, écrivain iconoclaste japonais âgé de 45 ans, met en scène sa propre mort ; alors qu’il s’apprête à quitter le monde, il livre à son éditeur "La mer de la fertilité", véritable testament littéraire et spirituel de cet auteur tourmenté, fasciné par la mort rituelle. Cet homme nostalgique, avec son goût du vertige et de l'absolu, son amour des corps vierges et des âmes chevaleresques, sa quête effrénée des horizons perdus laisse une œuvre considérable qui raconte sans aucun doute la recherche d’une pureté illusoire et la laideur du monde. Lectures de textes (tous écrits par Mishima) : Barbara Carlotti - Textes lus (extraits) : "Patriotisme. Rites d’amour et de mort" (film de et avec Yukio Mishima, 1965. À partir de "Yūkoku", nouvelle parue en 1961) - "Confessions d’un masque" - "Le Lézard noir" - "La Mer de la fertilité". Archives INA : Ivan Morris et Tadao Takemoto - Flash info annonçant la mort de Mishima le 25 novembre 1970. Extraits de films : "Mishima" de Paul Schrader (1985) - "Le Lézard noir" de Kinji Kukasaku (1968) - Extrait du discours de Mishima juste avant son seppuku, le 25 novembre 1970.
Intervenants :
Pierre-François Souyri, professeur honoraire à l’université de Genève spécialiste de l’histoire du Japon Fausto Fasulo, rédacteur en chef des magazines "Mad Movies" et "ATOM" Tadao Takemoto, écrivain, spécialiste et traducteur de Malraux au Japon et vieil ami de Mishima Dominique Palmé, traductrice de Mishima chez Gallimard, spécialiste de littérature japonaise et de littérature comparée Julien Peltier, spécialiste des samouraïs, auteur de plusieurs articles parus sur Internet et dans la presse spécialisée, en particulier les magazines "Guerres & Histoire (Sciences & Vie)" et "Actualité de l'Histoire". Il anime également des conférences consacrées aux grands conflits de l'histoire du Japon Thomas Garcin, Maître de conférences à l’Université Paris 7 - Diderot, spécialiste de Mishima et de littérature japonaise Stéphane du Mesnildot, critique de cinéma, et spécialiste du cinéma japonais
Source : France Culture
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