Un mini recueil de deux nouvelles paru chez Folio. Ces deux nouvelles sont extraites d'un autre recueil, «
Pélerinage aux trois montagnes ». Cette façon pour le moins curieuse de multiplier les éditions semble à la mode, et on peut s'y laisser prendre : j'ai ainsi acheté « Dodoji », chez Folio, qui contient des nouvelles extraites de «
la mort en été », recueil que j'ai déjà lu et chroniqué ici même. L'éditeur signale en petit caractére et en quatrième de couverture que les nouvelles sélectionnées par Folio sont extraites d'autres ouvrages, mais cela n'est pas mentionné lors des ventes en ligne... Encore un coup en traître d'un éditeur qui prend aussi peu en considération l'avis d'un auteur, fût il mort, que l'intérêt de ses lecteurs. Étant maintenant avertis de cette étrange pratique, revenons à nos deux récits, intitulés « ken » (sabre) et « martyre ».
Mishima nous raconte tout d'abord (et principalement, cette nouvelle faisant 93 pages sur les 122 du livre) l'histoire de Jiro, jeune champion de kendo tout entier dévoué à son art, qui va diriger l'entraînement de son club en vue d'un championnat. Jiro est un « pur » dont toute la conscience et la volonté sont dirigés vers le perfectionnement de son art. Il s'oppose en cela à Kagawa, jeune homme un peu moins talentueux mais qui mène une vie plus conforme aux usages de son temps et de son âge. Jiro est admiré de tous, et plus particulièrement du jeune Mibu. Toutefois, la perfection de Jiro est telle qu'elle heurte les autres membres du club, qui désespérent de s'y élever, malgré l'entraînement rigoureux auquel il va les soumettre. Cet insoutenable désir de perfection porte en lui le germe de sa destruction : Jiro ne peut trouver tolérable les faiblesses de ses camarades si ces derniers en font preuve alors qu'ils sont sous son autorité. C'est dans cette faille que va s'engouffrer Kagawa, Mibu devant alors choisir de partager la défiance de ses camarades ou d'affirmer devant tous son allégeance à Jiro. Ce dernier devra ensuite trouver comment répondre au défi lançé à sa propre rigueur morale par la désobéissance de ses camarades.
On retrouve ici du grand Mishima. L'écriture est nette, limpide et précise tout en se faisant poétique, inspirée, martiale parfois, délicate souvent, toujours au service d'un idéal. Certains passage ne sont pas sans rappeler «
le Japon moderne et l'éthique samouraï » (que je chroniquerai plus tard) par leur référence au hagakure, le code d'honneur des guerriers, et par l'atmosphère du dojo de kendo. le jeu des tensions entre Jiro et ses camarades est parfaitement rendu, illustré, chaque expression, chaque image nourrissant cette atmosphère si particulière. J'en veux pour preuve cet extrait (p. 20/21) :
« Dans cette permanence temporelle, la vieillesse rejoignait la jeunesse, l'une cachant derrière le masque de fer la blancheur de ses cheveux, l'autre la rougeur de ses pommettes. Elles se reconnaissaient clairement, avec une simplicité toute allégorique, partenaires et adversaires, et c'était exactement comme si la vie, pleine d'impuretés parasites proliférant dans la plus extrême confusion, était devenue aussi limpide que la surface d'un échiquier. de cette vie parfaitement tamisée, il ne devait plus rester que la quintessence : c'est à dire qu'un beau jour dans un couchant d'une flamboyante intensité, la jeunesse et la vieillesse devaient se rencontrer pour croiser leurs fers en un combat décisif. »
La seconde nouvelle se déroule dans un internat de jeunes garçons de bonne famille. Hatakeyama, violent et dépravé, s'oppose au doux Watari, nouveau venu dans l'école et souffre-douleur. Watari semble étrangement beau et passif au fil des diverses persécutions qu'il subit, allant jusqu'à provoquer une étrange affection de la part de son bourreau principal (de nos jours, nous parlerions de harcèlement). Watari sera donc provisoirement intégré à la bande de Hatakeyama, jusqu'à ce que ce dernier ne puisse plus supporter ses sentiments...
Nous sommes loin ici d'une simple description de la violence adolescente déjà rencontrée dans «
le marin rejeté par la mer », car Watari a des aspects christiques, et le rejet violent qu'il subit, dont les motifs restent obscurs, va plonger le lecteur dans le mystère...
Mishima excelle ici aussi dans l'illustration des gouffres de l'adolescence, dans la peinture de la perversité sous les regards angéliques, dans une certaine exaltation d'une mystique de la force qui se dégage des deux nouvelles de cet extrait de recueil qui se lit d'un seul trait, comme le mouvement fluide et parfait d'un sabre de bambou fendant l'air épais d'une salle d'entraînement pour frapper le crâne indolent du lecteur surpris : un excellent moment de lecture en perspective !
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