Soyons clair, pour ceux (et celles) qui n'aurait jamais lu
Nancy Mitford, ce n'est pas
Charivari que je conseillerai en premier, mais plutôt
l'amour dans un climat froid.
Si vous aimez Wodehouse et l'humour anglais en général avec son florilège de personnages complètement déjantés, sa dérision voire son ironie et des situations plus loufoques les unes que les autres, vous trouverez votre compte dans ce roman.
Si vous avez une préférence pour le Vaudeville avec un quiproquo à chaque porte qui claque, vous devriez apprécier aussi. Ne vous attendez pas à de gros éclats de rire, des sourires tout au plus.
Et si tout comme moi vous lisez
Charivari en transposant les personnages en 2017, alors votre sourire sera très figé. Après la seconde guerre mondiale,
Nancy Mitford n'a pas voulu rééditer le roman, notamment parce n'était plus possible de rire de ces fous.
La quasi intégralité se passe dans un village anglais, entre son auberge, un chateau, une demeure assez bourgeoise, sa place de village et son commerce local.
Alors les personnages:
Nous avons Noël Foster, l'éternel naïf victime de la roublardise de ses amis. Il vient d'hériter d'une vieille tante et espère pouvoir épouser une riche héritière, qu'il reste à trouver. Il est pour le moins sceptique et un peu méfiant avec les théories de l'extrême droite.
Son acolyte Jasper Aspect, le roublard de service, le cynique sympathique. Il appartient à la vieille noblesse désargentée et il met un point d'honneur à vivre (à bien vivre même) au crochet des autres plutôt que de s'abaisser à travailler. Il n'adhère pas à toute l'idéologie l'idéologie nazi mais il est malgré tout séduit par la critique qu'elle fait du système en place et de ses dérives aboutissant à la ruine présumée du pays.
Eugenia Malmains, l'héritière n°1. 15 ans, aussi cinglée que jolie et accessoirement totalement convaincue par le national socialisme dont elle en révèle toute la stupidité malgré elle.
Lady Chalford, grand-mère d'Eugénia. Tout aussi folle dans un autre genre, elle vit selon les préceptes de la noblesse du XIXème siècle. Derrière l'humour, on comprend mieux comment certains nobles anglais, dont Eugénia, enfermés dans un tel carcan, ont pu se fourvoyer.
Miss Jones (Lady Marjorie Merrith) et Miss Smith (Poppy St Julien), la première est une grande héritière de la haute noblesse qui voyage incognito en compagnie son amie mal mariée, Poppy alias Miss Smith. Poppy n'est pas hostile à Hitler sans être vraiment politiser. Par contre Lady Marjorie va être un peu plus sensible aux sirènes du national socialisme. Rétrospectivement, on sait que ce type de personnes, plus posées, moins exaltées, se sont révélées bien plus dangereuses que les "Eugénia" qui n'auraient jamais réussi sans la "caution de moralité".
Anne-Marie ( Bella) Lace, la snob, prétentieuse qui se pique de pseudo culture. Elle est mariée à un gentleman farmer dont elle se croit supérieure, sans lui arriver à la cheville. Elle est une Bovary que
Nancy Mitford prend un malin plaisir à ridiculiser toutes les trois pages pour nous faire sourire. Elle était proche d'artistes socialistes fermement opposé au national unionisme. Elle n'hésite pas à les trahir pour servir ses rêves de grandeur sans adhérer pour autant à aucune idéologie. Sa lecture des journaux se limite à la mode et aux évènements mondains.
Le Major Lace, un homme simple qui aime s'occuper de sa ferme au grand dam de son épouse, ami de Wilkins. Certainement un des personnages les plus sympathiques. Il attire même la sympathie de Jasper dès la première rencontre malgré leurs différences. le major Lace aime sa femme mais n'hésite pas à s'opposer à son snobisme qui confine à la bétise. On ne connaît pas ses opinions politiques. Terrien, il ne semble être intéressé que par son travail et ses bêtes.
Mr Wilkins, un habitant du village, un bout en train que tout le monde aime sauf
Anne-Marie, trop snob pour apprécier l'homme...et nous l'aimons d'autant plus par avance ce brave Wilkins... Mais l'homme est sensible aux sirènes de l'extrême droite. Il est l'équivalent au masculin et version petit notable local de lady Marjorie. Très dangereux derrière sa bonhomie.
Les jeunes gens de Rackenbridge, des artistes, crèvent la faim, admirateurs d'
Anne-Marie autant que de l'aide qu'elle peut leur apporter. Socialistes, ils s'opposent au national socialisme, potentiellement violents pourtant, ils sont aussi assez antipathiques.
L'essentiel du roman tourne bien sûr autour de la course à l'héritière et aux jeux de l'amour et du hasard qui peuvent déjouer tous les plans.
Mais il difficile d'oublier le contexte, d'autant plus que le roman n'est pas le plus abouti de
Nancy Mitford dans le genre "humour romance".
Derrière la façade de l'humour, on voit comment certaines idées nauséabondes peuvent se développer, faire sourire, puis frémir et quand on réagit il est trop tard. Dans ce roman,
Nancy Mitford est à la sociologie politique anglaise des années 30 ce qu'Astérix et Obélix (versions avec Goscinny) sont à la sociologie française.
Pour
Nancy Mitford, assez conservatrice, l'alternative gauchiste aux vieux politiciens corrompus qui s'accrochent à leur siège n'est guère plus réjouissante. les artiste gauchistes se révèlent impuissants et troubles fête pour ne pas dire violents et lâches.
Nancy Mitford fait toutefois preuve de pessimisme à mon sens. J'ai la faiblesse de penser qu'il existe une autre alternative, heureusement pour mon moral. En fait, je crois la reconnaître dans Jasper, noble, superficiel et pique assiette mais sympathique, drôle. Il est sensible à la critique de la société par les extrémistes, sans adhérer à tout pour autant. Il éprouve de la suspicion pour les artistes socialistes.
Avant de condamner
Nancy Mitford pour ne pas avoir compris à qui elle avait affaire, rappelez-vous, elle écrit en 1935. Nous sommes nombreux à avoir ri lorsque Trump s'est présenté aux élections, nous sommes nombreux à penser que certains partis "posent les bonnes questions" et combien en déduisent que leurs réponses doivent donc être bonnes aussi?
Essayez de remplacer chaque personnage par une personnalité actuelle... c'est effrayant, vraiment.