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1938- L'oeil du cyclone - est une fiction historique que son auteur définit d'emblée à travers cette excellente formule " le mentir-vrai ".
Pour parvenir à nous faire vivre ou revivre cette année "particulière", ce dernier va, et l'ouvrage est à son image, avoir recours à ce qui pourrait s'apparenter à " une histoire pour les nuls ", à " l'
Almanach Vermot ", au "
Bottin Mondain ", au " Crapouillot ", à " Cinémonde ", à " Gala ", à " Match ", à " l'INA et aux actualités de Pathé ", mais également utiliser comme procédé narratif des saynètes faisant appel au tête-à-tête, au face-à-face de deux éminents personnages, comme
Bonaparte et Cambacérès dans - La conversation - de Jean d'Ormesson ou Talleyrand et Fouché dans -
le souper - de
Jean-Claude Brisville -.
À noter qu'il n'y a pas moins de treize saynètes sur les vingt-six chapitres que compte ce livre !
Treize saynètes, dont à mon sens la plus réussie, parce que la moins attendue, la moins " pénétrable ", est celle qui met en présence le quasi- agonisant
Pie XI, en train de rédiger son discours qu'il prononcera à l'occasion du dixième anniversaire des accords du Latran, discours au cours duquel le pape veut condamner de manière solennelle et définitive, avant sa disparition, les dictatures... et l'ambassadeur de France à Rome,
François Charles-Roux.
Il y en a quelques autres bien "troussées" : l'interview de Guillaume II par W.
Burckhardt, par exemple. La rencontre entre
Jean Renoir et Nora Gregor ( émouvante ) ou bien encore le déjeuner dans un restaurant de Nancy ( le Grand Hôtel de la Reine, place Stanislas ) qui " met à table " un savoureux colonel
Charles de Gaulle et un directeur de cabinet de Paul Reynaud, Gaston Palewski, venu chercher auprès de ce colonel qui, par ses livres et ses articles dans la presse, fait parler de lui en France et à l'étranger, enrager Pétain et les vieilles badernes qui ont en charge l'Armée française... des idées neuves pour rajeunir la " Vieille Dame ".
Ce serait réduire le travail considérable consenti par l'auteur que de ne pas évoquer la centaine de livres lus pour s'imprégner et mieux appréhender son sujet, sans compter les heures d'archives sonores ou filmées ainsi que les documentaires visionnés.
L'auteur, j'y viens... enfin... mais il me fallait cette présentation pour pouvoir introduire
Frédéric Mitterrand.
Car si j'ai dit que ce livre est à son image, c'est que cet homme porte un nom qui englobe en lui tout à la fois l'histoire, la politique, la télévision, le cinéma, le théâtre, l'univers des peoples, le monde des têtes couronnées, celui des mythes et légendes, la littérature et le sulfureux.
Son autobiographie -
La mauvaise vie - l'a fait passer pour un
Gabriel Matzneff, bien avant que ce dernier ne soit crucifié par
Vanessa Springora dans son livre autobiographique -
le consentement -.
Est-ce pour cela que par deux fois lui a été refusé un "fauteuil d'Immortel ?"
Toujours est-il que si vous vous amusez à essayer de savoir qui est "professionnellement" parlant
Frédéric Mitterrand, vous trouverez comme réponse a minima :
Animateur de télévision
Enseignant
Journaliste
Écrivain
Scénariste
Producteur de télévision
Réalisateur
... et homme politique.
Lire - 1938 -, c'est lire l'ouvrage de cet homme polymorphe, polyvalent, multi-casquettes, complexe, doué et érudit.
L'angle d'attaque de cette année 1938 est la venue à Paris du ministre des Affaires Étrangères du Reich allemand et de son führer,
Adolf Hitler, Joachim von Ribbentrop, les 6 et 7 décembre de cette année 38, pour signer la Déclaration Franco-Allemande de "bonne entente", sorte de copier-coller ( si l'on excepte la référence à l'Alsace-Lorraine ) de celle que
Chamberlain avait fièrement arborée à son retour de Munich.
En ce mois de décembre de cette année-là, la France vit sous le régime de la IIIème République, un régime parlementaire très instable, dans lequel être ministre ou président du Conseil relève davantage du jeu des chaises musicales que du fonctionnement d'une démocratie en bonne santé, parce que stable.
Le président du Conseil n'est autre qu'Édouard Daladier, le cosignataire avec
Chamberlain des Accords de Munich.
Il faut reconnaître que son nom est lié dans notre inconscient collectif à ce renoncement et que peu savent qui est l'homme que la postérité a "consanguiné" à tout jamais à cet " esprit munichois ", à cet abandon de la Tchécoslovaquie, jusqu'à zapper sa mort tombée dans l'anonymat quelques jours avant celle d'un certain colonel
De Gaulle, " Sauveur de la France ", qu'alors chef du gouvernement, il refusa toujours de recevoir pour ne pas froisser le Grand État-Major français...
L'un restera pour l'histoire l'incarnation de la soumission et de la défaite.
L'autre restera la figure emblématique de la Résistance et de la grandeur de son pays libéré.
Frédéric Mitterrand ne se satisfait pas de cette écriture de l'histoire.
Et outre un vivier frétillant d'anecdotes historiques, un panoramique dramatique, drôle, jubilatoire, caustique, réaliste sur quelques-uns des protagonistes majeurs de la grande conflagration à venir, il tente ( c'est ainsi que je l'ai lu ) une réhabilitation de Daladier.
Ce faisant, il n'endosse pas, à mon sens, la toge de l'avocat du diable.
En lisant son livre, grâce à son procédé narratif, à son talent, à son érudition, à son sens de la mise en scène et du récit, vous allez entrer de plain-pied dans cette année 38 et vous retrouver plongé dans l'oeil trouble du cyclone.
Galerie de noms, de personnages, situations du type - Casablanca nid d'espions -, arcanes et intrigues du ou pour le pouvoir, courtisans, collaborateurs ou futurs soutiens de l'occupant, femmes du monde, demi-mondaines... tout fait de ce roman un livre, un film, une pièce de théâtre, un documentaire historique... bref, une oeuvre frédéric-mitterrandienne de qualité.
Je l'ai lu en m'arrêtant pour visionner l'assassinat du Roi Alexandre 1er de Yougoslavie le 9 octobre 1934 à Marseille, tombé au côté du ministre de l'Intérieur
Louis Barthou... c'est un document saisissant dont je n'avais pas connaissance.
Je l'ai lu en découvrant et en écoutant quelques chansons de Cora Madou ( inconnue pour moi, elle aussi ), composées par
Vincent Scotto ( son amant, avant qu'elle ne devienne l'épouse légitime et fidèle de Guy La Chambre, un des ministres du gouvernement Daladier )... Écoutez-en une ou deux comme par exemple - J'ai rêvé d'une fleur -... c'est suranné et à la fois plein de charme.
Je l'ai lu en faisant un tour en moto à travers Paris avec le président du Conseil sur sa Norton 16H 490 cm3 4 vitesses modèle 1938... balade enivrante.
Je l'ai lu en écoutant
De Gaulle vanter les mérites à venir d'une petite lucarne appelée à un grand avenir : la télévision.
Je l'ai lu en apprenant ébahi que le fils aîné de Daladier était un tintinophile en train de lire, cette année-là, le dernier album d'
Hergé - le Lotus Bleu -.
Je l'ai lu avec aussi un esprit critique.
Je ne vous donne qu'un exemple : F. Mitterrand affirme que Ribbentrop était fidèle à son épouse, qu'il était peu intéressé par les femmes en général... qu'il aurait été un homosexuel refoulé.
Or un document de 121 pages rendu public par le FBI en octobre 2018 établit de manière formelle que Wallis Simpson ( future duchesse de Windsor ) avait été... je cite : " le père Odo ( ex-duc de Wurtemberg, avait des liens familiaux avec la reine Mary, la mère du duc de Windsor ) a confié au FBI que Joachim von Ribbentrop, le ministre nazi des Affaires étrangères, avait été l'amant de la duchesse lorsqu'il était ambassadeur en Grande-Bretagne, en 1936. Ribbentrop lui envoyait alors chaque jour un bouquet de fleurs représentant le nombre de fois où ils avaient eu des relations sexuelles." Et Ribbentrop était alors marié... donc... à suivre... ( sourire ).
500 pages qui m'ont régalé et un livre que je recommande chaleureusement à tous les amateurs de bons bouquins.
1938 à défaut d'avoir été une belle année pour le monde, est devenue, sous la plume inspirée de
Frédéric Mitterrand, un excellent cru.
Je remercie Babelio, Masse Critique pour cette belle aventure !