Citations sur Petit éloge de l'errance (49)
Où aller ? Quel chemin prendre ? Il interroge l'horizon et fait un tour complet sur lui-même. C'est alors qu'il trouve une longue branche d'arbre par terre. Il la ramasse et la lance en l'air. Elle tombe. On dirait, que posée en diagonale, [...] elle indique une direction. Sur fond de musique d'une innocence et d'une nonchalance enfantines, le samouraï enjambe la branche et se résout à prendre la direction indiquée par le hasard.
Ainsi Kurosawa introduit-il, d'emblée, la figure emblématique d'un individu solitaire et errant dans son chef d'oeuvre de 1961. (Yojimbo)
- Tu as une boîte à couture pour apprendre à coudre. Ce n'est pas pour la montrer aux autres, ni pour la comparer avec celles des autres. La seule chose importante, c'est que tu as tout ce qu'il faut dans cette boîte pour bien apprendre à coudre, pour pouvoir mettre en pratique les instructions de la maîtresse...
C'était le dernier mot de la conversation familiale, décisif, définitif, sans appel, avec tout le poids de l'autorité paternelle, imperceptible mais réelle.
1. BLESSURES -.Ou les origines du désir d'errance.-p.40-
Rien ne garantit que la majorité a raison. L'Histoire fourmille d'exemples qui montrent le contraire. C'est pourquoi le respect et la prise en compte des voix minoritaires sont essentiels. Mais la soumission plus ou moins forcée ou plus ou moins volontaire de chacun à la tendance majoritaire rend inaudibles ces voix minoritaires ; elle fait de la société japonaise une société figée, immobile, incapable de rectifier ses orientations de façon souple et réfléchie. Seule une « catastrophe » inimaginable peut l'obliger à se remettre en cause, à chercher d'autres voies, à évoluer d'une manière différente. Cela a été le cas en 1945 avec le désastre de la guerre que résument, d'une manière à la fois cruelle et éloquente, les deux bombes atomiques.
2620 – [Folio n° 5821, p. 73]
Être philosophe, c'est d'une certaine façon avoir l'esprit en errance. Cela permet d'échapper aux vues déformantes ou aveuglantes, cela aide aussi à briser les verrous des identités asphyxiantes.
Errer, c'est, selon le Trésor de la langue française,《aller d'un côté et de l'autre sans but ni direction précise》. J'ai envie de modifier légèrement cette définition. Errer, c'est plutôt《aller seul, de préférence à pied, d'un côté et de l'autre sans but ni direction précise》. Errer implique en effet l'idée de solitude. C'est pour être seul qu'on décide de s'en aller, de marcher vers on ne sait où. Mais aucun marcheur ne saurait écarter ou supprimer pour toujours et de façon définitive l'idée d'un but à atteindre ou celle d'une direction à prendre.
Qu'il est réjouissant et consolant de savoir qu'on n'est pas fatalement et pour toujours enfermé dans une seule langue, qu'on n'est pas inévitablement prisonnier de sa culture propre!
L’État tel que les Japonais l'appréhendent et le vivent ne ressemblent d'aucune manière à celui du « Contrat social », ni à celui de la Déclaration (de 1789) en tant que résultat d'un acte d'« association politique » pour la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'« homme ». Leur Etat, c'est CELUI qui s'impose, en deçà et au-delà de la volonté de chacun, comme une sorte de données millénaires ethnico-géographiques qu'on ne saurait mettre en doute sous peine d'exclusion ou même de mise à mort comme en témoigne le sort réservé aux résistants, libéraux ou communistes des années sombres et fanatiques de l’avant-guerre. C'est CELUI qui fait sentir aux Japonais qui reviennent de l'étranger une douce chaleur et une force enveloppante propres à la communauté familiale à travers ce petit énoncé magique qu'est « Okaerinasaï ».
2420 - [Folio n° 5821, p. 66]
La société japonaise de 2013, vautrée dans l'indifférence massive et l'ignorance de la culture délibérative, est toujours une société prête à succomber à la tentation conformiste de la majorité.
On peut illustrer le présentisme dans l’art et la littérature par de nombreux exemples. Je me conterait ici d'en signaler quelques-uns. En littérature, la prédominance des formes poétiques brèves comme le « haïku » indique le primat de l'esthétique de l'instant présent. Un poème composé de dix-sept syllabes seulement, inadapté à la construction d'un récit, s'efforcera de capter l'émotion du locuteur dans son apparition momentanée, sa fugacité. Dans le domaine de la prose, c'est le genre « zuihitsu » qui apparaît comme la meilleure illustration du présentisme nippon. L'esprit « zuihitsu », invariable jusqu'à aujourd'hui depuis « Les Notes de chevet » (Xe siècle) de Sei Shonagon, se manifeste, d'une part, dans l'absence de structure architecturale globale et, d'autre part, dans son attention exclusivement dirigée vers la vie de « chaque instant ».
2498 - [Folio n° 5821, p. 69]
Je me suis juré de ne jamais ressembler au « grand » professeur, de ne jamais profiter de ma position quelle qu'elle soit pour exercer un quelconque pouvoir, de tout faire pour éviter, autant que faire se peut, de « faire partie » d'une structure de pouvoir ou, devrais-je dire plutôt, de ne jamais me laisser séduire par la psychologie triomphante et orgueilleuse d'un soldat endurci exerçant sur un faible, hiérarchiquement inférieur, une violence arbitraire dont la légitimité s'arbitre toujours derrière l'autorité d'une instance supérieure. Etre seul m'a toujours paru préférable, même au prix d'une sombre mélancolie qu’entraîne souvent l’isolement choisi et voulu.
2355 - [Folio n° 5821, p. 34]