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Critique de enjie77


Cette fiction est un concentré d'émotions, d'amour de la musique, d'élévation des sentiments, de luminosité, d'amour des animaux. J'ai été bouleversée, touchée, par l'écriture d'Akira Mizubayashi. L'auteur m'a transportée dans le monde de la Beauté et dans cette période, c'est un baume, une vision optimiste de l'humanité malgré le drame qui sert de point de départ à ce récit et qui est un véritable réquisitoire contre la guerre et ses ravages.

D'une poésie à couper le souffle, j'ai ressenti la même plénitude, la même intensité émotionnelle à la lecture de « L'éternité n'est pas de trop » de notre François Cheng national. L'écriture est belle, fluide, classique et respectée comme seules les personnes étrangères, amoureuses de notre langue, savent le faire. L'auteur écrit directement en français. Sa plume nous tire les larmes des yeux tant la beauté et la symbolique de certains passages évoquent, pour certains d'entre nous, des moments connus, des similitudes de souvenirs peuvent alors s'échanger entre l'auteur et le lecteur. D'ailleurs ce livre est dédié « A tous les fantômes » ! « La musique était tellement incarnée qu'elle possédait la puissance de rappeler les âmes du royaume des morts » (page 223).

Le Japon est en guerre de 1937 à 1945 et a envahi la Chine. le récit s'ouvre sur un beau dimanche ensoleillé en 1938, dans le centre culturel municipal de Tokyo. Un quatuor à cordes entame la répétition en la mineur opus 29 de Schubert dit Rosamunde. Soudain des bruits de bottes se font entendre, Yu Mizusawa fait signe à son petit garçon de 11 ans en train de lire, de se cacher dans une armoire. Rei obéit, prend son livre et ferme la porte de l'armoire. L'un des soldats violente son père et lui arrache son violon qu'il va briser sous les yeux de l'enfant qui regarde par le trou de la serrure. le lieutenant Kurokami, grand mélomane, arrivant après l'agression, découvre la cachette de l'enfant qu'il ne trahira pas et une fois la salle vide, désolé, confiera le violon détruit à Rei dans son armoire. L'enfant ne reverra plus son père.

A cet instant, le traumatisme psychologique subi par l'enfant le projette dans un sentiment d'abandon, de solitude. Sa vie s'arrête. Rei se retrouve seul avec le violon de son père totalement saccagé. C'est un Nicolas François Vuillaume de 1857 sur lequel Yu a interprété une dernière fois La Gavotte en rondeau de Bach. le lecteur peut imaginer facilement la charge symbolique qu'incarne l'instrument qui restera la personnification de son père.

Le titre de cette fiction nous renvoie à la petite pièce en épicéa essentielle à la propagation du son d'un instrument à corde. Sous l'impact de la douleur traumatique, l'Ame du violon comme l'Ame de Rei se sont brisées devant l'horreur.

C'est l'histoire d'une reconstruction et d'une résurrection sur plus de cinquante ans. Rei et le violon marcheront de concert si j'ose m'exprimer ainsi. Rei tout en restaurant le violon, restaure sa propre personnalité et ainsi jusqu'à une fin heureuse ou les destins croisés de quelques personnes permettront à Rei de reconstituer le puzzle de sa vie depuis ce drame où son âme a explosé jusqu'à la guérison de celle-ci. « le temps de défossilisait , recommençait à trembler » la vie s'était comme arrêtée sous la violence du traumatisme, et sous la musique, elle reprenait son souffle.


On ressent l'humanisme de l'auteur dans cette fin qui jette un regard positif sur l'humanité. Certes l'être humain peut se montrer cruel, d'une noirceur profonde, mais Akira Mizubayashi se veut attentif à la beauté des êtres dans toutes leurs manifestations et c'est un véritable remède qu'il partage avec son lecteur.


Dans cette fiction, j'y ai vu l'Art contre la barbarie. Comment la musique, langage universel, abolit les frontières du temps et de l'espace, survole les continents, en donnant vie à l'âme d'un disparu par le truchement de la filiation, de la fidélité, de la beauté des gestes. Il y a aussi de très belles pages sur la lutherie et l'archèterie. « Dès lors, son art de luthier, celui de rendre les sons de l'âme, de la vie intérieure, de la plus noire mélancolie comme de la joie la plus profonde à travers les instruments qu'il fabriquait ».

Marcel Proust fait même une petite apparition dans « la madeleine de ce petit garçon » devenu septuagénaire « un bol de riz mélangé à un oeuf cru ».

Akira Mizubayashi doit vivre la musique du plus profond de son être pour écrire des pages sublimes sur « A la mémoire d'un ange » du concerto de Berg dédié à la fille d'Alma Malher. La trame du livre s'appuie sur Schubert et Bach « Gavotte en rondeau » et se décompose en chapitre dont les dénominations s'apparentent à un morceau de musique.

Je ne suis pas musicienne, plutôt mélomane en toute humilité. Après la peinture, je ne voulais pas quitter le monde de la création et l'histoire de ce violon m'a séduite. Ce livre parle à toutes celles et ceux qui sont sensibles à l'Art, qui perçoivent les messages en premier lieu avec leur coeur et ensuite avec leur intellect afin de pouvoir se plonger dans l'intimité de l'auteur, recevoir celle-ci. Je ne remercierai jamais assez les artistes pour le bonheur qu'ils nous procurent en contemplant, en écoutant, en lisant leurs oeuvres chacun de nous avec sa sensibilité, son inclination.

« Face à la musique de Schubert, les larmes coulent sans questionner l'âme auparavant, puisqu'elle se précipite sur nous avec la force même de réalité sans le détour de l'image. Nous pleurons sans savoir pourquoi ; parce que nous ne sommes pas encore tels que cette musique nous promet d'être mais seulement dans le bonheur innomé de sentir qu'il suffit qu'elle soit ce qu'elle est pour nous assurer qu'un jour nous serons comme elle ». Théodor W. Adorno
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