Lorsqu'ils ont le dos courbé sur leur travail, ils se penchent l'un vers l'autre pour se dire : Nous reprendrons notre liberté ! La terre qu'ils foulent entend ces paroles et les cache au fond de son cœur. La terre est loyale envers eux, elle ne les trahira point. Ils peuvent lui confier librement leurs plus secrètes pensées. Ce sont des laboureurs, qui la cultivent et l'arrosent de leur sueur ; ils veulent régner seuls sur elle, comme elle règne sur eux et les a marqués de son empreinte. Ce sont les hommes de la terre, elle est leur mère à la fois sévère et tendre.
Mais elle ne veut pas se sentir étreinte par des esclaves, elle ne veut pas boire la sueur d'êtres asservis. Elle veut porter seulement les hommes qui librement lui donnent leur amour, qui librement penchent leurs visages vers son sein pour la prendre et la posséder.
Elle veut recevoir la rosée qui tombe du front des hommes libres.
La planchette ensanglanté avait disparu. Peut-être était-elle loin de là, ou peut-être la retrouverait-il quand le jour se lèverait. Mais il savait que, de toute façon, elle se retrouverait toujours quelque part dans le temps et dans l'espace ; elle se retrouverait toujours, toujours.
On les traite en serfs, mais ils ne sont pas asservis, car dans leurs cœurs germe la révolte. Seul, celui qui s'accommode de son sort a une âme d'esclave.
La saga des émigrants, Vilhelm Moberg
L'avis d'Armelle Bayon de la librairie Espace Culturel Leclerc (Conflans-Sainte-Honorine)