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Critique de oblo


Après des semaines éprouvantes de voyage en mer sur la Charlotta, les Suédois de Ljuder arrivent enfin à New York, porte d'entrée du Nouveau Monde. Leur voyage, toutefois, n'est pas terminé. Il leur faut encore l'été entier pour arriver, via Albany, Buffalo et Chicago, dans les contrées sauvages du Minnesota ; là sera la nouvelle patrie, la terre nourricière, l'espoir d'une vie meilleure. En tout, Karl Oskar Nilsson et les siens auront voyagé six mois durant, entre le printemps et l'automne 1850, comme pour s'assurer que jamais plus, ils ne fouleront la terre de Suède. Tout ce troisième tome est traversé d'une tension entre deux thématiques symboliquement antagonistes : d'une part, ce Nouveau Monde est une terre d'abondance tandis que de l'autre, il est aussi un monde de dangers.

Abondance : le mot est applicable pour les biens, les vivres, le nombre des habitants de New York ou la disponibilité des terres arables. Les nombreuses descriptions de Moberg ne laissent aucun doute quant à la profusion que laisse entrevoir le Nouveau Monde. Que ce soit les montagnes de nourriture qu'observent Robert et Arvid sur un marché new-yorkais ou le riche achalandage des étals des épiciers de Stillwater ou Taylor Falls, l'Amérique paraît être une terre qui ne laisse pas mourir de faim ses enfants. D'ailleurs, la première nourriture qu'offre Karl Oskar à sa femme et à ses enfants, une fois arrivé en Amérique, n'est-elle pas composée de pain blanc et de lait frais ? À maints égards, et ainsi que le rappelle la traduction française du sous-titres de ce troisième tome, l'Amérique est une terre bénie, une terre promise au sens biblique du terme. Tandis que les vastes champs et plaines défilent devant les Suédois, passagers du train entre Albany et Buffalo, Danjel Andreasson constate, éperdu de bonheur, que les Américains ont placé leur monnaie - et de fait leur pays - sous la protection de Dieu : In God we trust. Les similitudes du voyage des émigrants avec la Bible ne s'arrêtent pas là. Ainsi la naissance de Danjel, le cinquième enfant de Karl Oskar et Kristina, est ainsi comparée, pour son dénuement matériel, à celle de l'enfant Jesus. Les Suédois de Ljuberg semblent donc bien être arrivés, eux les nouveaux Hébreux, dans le nouveau Canaan : l'épisode du feu de Plaine leur rappelle d'ailleurs le Jugement Dernier. L'Amérique est donc autant une terre de promesses que de colères divines.

Une terre de colères, et de dangers. Non contents d'avoir dompté les flots de l'Atlantique, les migrants de Suède ont à affronter une multitude de dangers. On pourrait les classer en dangers visibles ou invisibles, ou en dangers physiques ou bien spirituels. Quoiqu'il en soit, ce sont bien à des épreuves - divines, alors - auxquelles sont soumis les candidats à la vie meilleure en Amérique. Visibles les voyous qui, sur une proportion inquiétante d'un pour dix habitants, menacent, rançonnent, blessent ou tuent à New York : Robert et Arvid sont les témoins directs de ce danger qui les guette. Visibles les arnaqueurs de tout poil, prêts à dépouiller tout migrant qui pose son pied sur le sol américain. Sensible, plus que visible, le terrible hiver du Minnesota, lorsque les températures descendent bien en-dessous de zéro, et gèlent sur place tout téméraire qui s'aventure dehors. L'hiver interdit aussi tout approvisionnement en vivres pour de nouveaux venus qui n'ont pas eu le temps de travailler la terre. La famine, alors, les guette. Cependant les dangers invisibles sont plus terribles encore pour ces migrant arrivant sur cette terre inconnue. La vastitude des espaces fait planer la menace de s'y perdre : il en faut peu pour que Lill-Märta ne soit oubliée lors de l'escale d'un bateau. Invisible la maladie, et notamment le choléra, qui ravage les populations migrantes sur la route du paradis et qui emporte, innocente parmi tous, la plus jeune enfant de Danjel, Eva. Invisible encore, l'incroyance induite par l'absence de pasteurs luthériens pour prêcher la bonne parole des Suédois. Baptistes et méthodistes occupent déjà le terrain et, sous des apparences affables, promettent pourtant l'Enfer au migrant qui succombera. Invisibles aussi, enfin, les tribus indiennes dont on entend, au crépuscule, les hurlements lugubres, et dont on craint les attaques autant que le mode de vie, ou les croyances.

Le troisième tome est celui de la transition. Des Suédois, partis du pays, découvrent l'Amérique, ses promesses, ses dangers ; mais les Suédois ne sont pas arrivés en tant que visiteurs. Ils sont des pionniers chargés de défricher la terre qu'aucune main humaine n'a jamais défrichée. Plus tout à fait Suédois, pas encore Américains, Karl Oskar et ses compagnons doivent s'adapter à un nouveau pays qui sera bientôt le leur. S'ils ont quitté leur pays natal et ses malheurs - on se souvient que, dans le premier tome, Anna, la fille aînée de Karl Oskar et Kristina, est décédée -, les Suédois ont emporté avec eux un peu de nostalgie du pays de l'enfance, de celui des parents. Forte de ses liens, forte d'un vécu aussi éprouvant que formateur, forte enfin d'une langue partagée, la communauté suédoise vit ainsi comme en vase clos, séparée du reste de la population américaine par la barrière de la langue.
Cependant, la transition est en marche. À la suite De Robert, premier truchement officiel du groupe, d'autres personnages, comme Ulrika ou Karl Oskar, commencent à apprendre l'anglais. Deux autres événements marquent l'intégration progressive des Suédois à leur nouveau pays : la naissance, d'abord, du premier citoyen américain de la colonie en la personne de Danjel, cinquième enfant de Karl Oskar et Kristina ; puis le mariage d'Ulrika avec le pasteur méthodiste de Stillwater, qui marque l'ouverture de la colonie à l'extérieur. le voyage est ainsi terminé, mais il reste tant à faire. Bâtir, cultiver, prévoir les années à venir, prendre possession d'une terre et affirmer sa place dans une nouvelle nation.
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