Energies bloquées

Recueil d'histoires courtes publiées entre 1998 et 2003, Énergies bloquées donne à voir six situations familiales et individuelles à la fois banales et anormales, au sens où elles mettent en valeur l'irrationnalité qui peut présider aux actions et décisions de chacun(e). Six histoires courtes, donc, et inégales par la taille et par la valeur, qui évoquent les rapports entre parents et enfants - tantôt avec le point de vue du parent, tantôt avec celui de l'enfant -, la relation amoureuse sous l'angle de la culpabilité ou de l'ennui, ou encore une forme particulière de folie, plus ou moins acceptée socialement parce que répondant aux codes de la sociabilité familiale. Pourtant, le recueil peine à convaincre, car ces nouvelles, par leurs formats, ne font qu'effleurer les thèmes précédemment cités.

Il faut reconnaître que Rutu Modan a fourni un travail graphique pensé, sinon élaboré, de telle manière qu'à chaque histoire corresponde une manière graphique de la traiter. Traitement en noir et blanc ou en couleurs, plusieurs cases par planche ou un seul dessin par planche, texte enfermé dans des phylactères ou libres, qui fait de l'image son illustration. Toutefois, le graphisme étonne et déstabilise quelque peu, par le caractère à la fois très rond et très aiguisé des personnages ; l'utilisation d'une pointe fine - stylo ? - accentue, de même, le caractère presque enfantin des dessins, et renforce l'impression d'immaturité graphique.

Énergies bloquées représente des moments de vie, des moments de vérité pour chacun des personnages. C'est l'adolescente qui découvre un secret familial ; c'est le septuagénaire veuf qui se déleste, au cours d'un voyage en train, de son sentiment de culpabilité ; c'est la machination d'une jeune femme pour enfin revoir son père, une quinzaine d'années après qu'il l'ait abandonnée. Chacun de ces personnages fait un pas de côté par rapport à la normalité, à ce qui serait attendu de lui ou d'elle dans pareille situation. Si cela semble parfois absurde, ou dangereux, leur comportement permet de montrer leur humanité profonde. Ainsi la jeune femme, prête à se marier, qui court au secours d'un homme blessé au cours d'un attentat, et entrevoit ainsi une autre possibilité pour son avenir amoureux ; ainsi le père qui croit voir son fils disparu dans le mystérieux pilote dont l'avion survole, une vingtaine de minutes durant, la colonie ; ainsi le veuf qui croit reconnaître dans le chien d'une voyageuse la réincarnation de son épouse décédée. Tant de raisons font que les énergies vitales des personnages sont bloquées, et il est à noter que ces raisons sont toujours intimes. le conflit israélo-palestinien, lui, n'est jamais qu'une toile de fond, un prétexte narratif, pour seulement deux histoires sur six. L'amour tu, l'amour contrarié, l'amour obsessionnel et presque fou sont autant de bouchons que les personnages tentent de faire sauter afin que se répandent enfin, leurs énergies bloquées.

Ce roman graphique est en fait composé de 6 nouvelles. Chaque histoire est dérangeante, car elles nous parlent de secrets de famille, de personnes qui ont décompensé suite à un traumatisme de guerre ou familial, bref de personnes qui vivent plus ou moins dans un autre monde, de cynisme, de folie. Et la folie et la déstabilisation, j'adore ça.
Par contre, je ne suis absolument pas fan du dessin de Rutu Modan, ces corps ronds et mous, ces têtes hideuses. Cette détestation du dessin contribue à l'ambivalence que je ressens pour ces nouvelles, entre attrait et répulsion. Un mélange étonnant.
Un ouvrage qui ne peut pas laisser indifférent.

Recueil de six récits publiés entre 1998 et 2003.

À travers la diversité du travail graphique et littéraire se dessine la cohérence d'un univers : les descriptions de troubles psychiques ou affectifs, de familles déconstruites ou recomposées, d'individus brisés par les carcans des règles sociales et collectives, permettent à cette artiste israélienne de décrire les perturbations de microcosmes sociaux. Elle donne aussi à voir la vie quotidienne à Tel-Aviv et dans les kibboutzim.