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Dans le café de la jeunesse perdue, je me suis laissé guider par le titre de ce court roman de Patrick Modiano, avant d'y entrer. Ce titre m'évoquait déjà la nostalgie des rues d'un Paris d'autrefois qu'on aurait encore en mémoire. Je ne connais pas ce Paris d'avant et très peu celui d'aujourd'hui. Seulement quelques rencontres, quelques brefs passages, quelques escales. Le Paris qu'aime Modiano est secrètement protégé des sentiers battus, à la lisière du bruit, à la lisière de tout. Provisoirement... On entre dans ce Paris, comme on entre dans ce livre, comme on entre dans ce café, le Condé, près du quartier de l'Odéon. Un peu par hasard la première fois. Parce qu'on s'est perdu en chemin... Pas de clichés, pas de cartes postales... Un Paris presque invisible, presque éphémère. Ce roman est peuplé de lieux comme il y en a tant à Paris, ou peut-être comme il y en avait tant... Où rien ne se passe, où l'on n'existe pas, où l'on peut disparaître du jour au lendemain comme en glissant au travers d'une trappe. Et la jeunesse de ce récit ressemble à cela, perdue elle aussi, elle ressemble à quelque chose qui s'en va furtivement, un rêve, un fragment d'espoir qu'on ne cherche même pas à retenir... Les personnages de ce roman ressemblent presque à des fantômes, on les sent déjà ailleurs, oubliés, partis vers une autre histoire, un autre destin. Ils sont à la fois attachants et distants de nous, c'est-à-dire qu'on voudrait mieux les connaître une fois qu'on est entré dans ce café, s'approcher de cette table où ils sont plusieurs à boire et à rire, parler fort. Mais à peine s'approche-t-on d'eux qu'ils ne sont déjà plus là ou commencent à s'enfuir pour une autre histoire. Et aussi puisque le narrateur nous parle d'un Paris qui n'existe déjà plus, le Paris des années cinquante ou soixante, ce narrateur qui, au fil des chapitres, n'est jamais tout à fait le même, ni tout à fait un autre... Alors ces personnages, on les croise un peu plus loin, on ne sait pas si c'était avant ou après, on se perd un peu, comme le narrateur qui tente de rassembler les morceaux d'un puzzle, des noms de rues, des noms de personnes, comme dans une enquête, suivre cette fille qu'on surnomme Louki... Mieux la connaître... La retenir elle aussi, fuyante, secrète, avec sa part de mystère... Accepter la part de mystère de l'autre, surtout quand on l'aime, parfois il y a quelque chose d'envoûtant à cela. Il y a une sorte d'ivresse à espérer les choses... Louki est une part de lumière dans ces rues qui paraissent parfois sombres, même en plein été. Louki, j'ai aimé sa petite lumière fragile... Tout au long de ce récit, certains des personnages donnent l'impression étrange de marcher à contre-courant des autres personnes dans la rue, comme dans le flot incessant des gens qui sortent d'une bouche de métro. Et comme nous tentons de les suivre, cela donne un sentiment de vertige, parfois la peur de perdre leur trace. C'est comme s'ils voulaient fuir les mauvais souvenirs de l'enfance, les fuir comme des cauchemars. Mais comment guérir des plaies laissées par l'enfance ? Et puis longtemps après, revenant sur ses pas, le narrateur ne reconnaît plus les lieux. Il y a chez Modiano cette force de retenir nos émotions à fleur de peau, de nous rappeler d'autres émois ailleurs qu'à Paris, dans d'autres lieux peut-être aussi perdus, aussi invisibles, d'autres vies où nous avons laissé une part de nous... À la page 147 mes mains ont juste un peu tremblé. Ou peut-être mes yeux... + Lire la suite |