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Critique de Musa_aka_Cthulie


Peut-on devenir modianophile malgré soi et comment devient-on modianophile ? Nous n'aurons pas ici la réponse à cette question, qui mériterait pourtant grandement qu'on s'y penche !


Dans le café de la jeunesse perdue est a priori tout ce qu'il y a de plus modianesque. Publié en 2007, il reprend les thèmes habituels de l'auteur dès le départ, au point qu'on est persuadé qu'on sait déjà où on va, et qu'on y va même les yeux fermés. Ben oui, c'est toujours pareil, Modiano, quoi !


Donc, un jeune homme, étudiant, raconte qu'il allait autrefois (et le lecteur de Modiano comprend que cet "autrefois" se situe dans les années soixante) dans un café, le Condé, où il voyait, plus ou moins de loin, une jeune femme surnommée Louki. Là, on se dit : "C''est parti, le narrateur c'est Modiano, il va sortir quelques temps avec Louki qui en fait s'apellera Jacqueline (bingo pour le prénom, ah, ah !), Louki et les autres personnages qui fréquentent le Condé, plus ou moins louches, vont disparaître et l'étudiant devenu sexagénaire partira à la recherche de traces perdues." Oui. Ah mais non ! Modiano serait donc capable de surprendre ? Il est vrai que je n'en suis avec ce roman qu'à mon neuvième Modiano, ce qui reste modeste au vu de sa production. En tout cas, j'ai rudement bien fait de ne pas lire la quatrième de couverture (je n'en voyais pas l'intérêt, un Modiano étant un Modiano et puis c'est tout).


Il est bien question de souvenirs, mais pas d'histoire d'amour ou ce genre de choses. Et hop, changement de narrateur au bout d'un moment. Ça n'a l'air de rien, mais quand on en est à son neuvième Modiano et que les huit précédents avaient pour narrateur toujours la même personne (à savoir l'auteur à peine déguisé), c'est presque un tsunami. On passe à un détective privé, qui lui aussi nous parle des années soixante et de Louki, qui s'appelait en fait Jacqueline (bon, ça, c'était donc vaguement prévisible). Nouvelle approche du personnage de Jacqueline, mais pourquoi ? Et ne voilà-t-il pas que Jaqueline elle-même prend la parole ! Puis son amoureux, en tant que dernier narrateur qui va boucler la boucle.


Il ne s'agit pas tant cette fois de plonger dans les méandres de la mémoire d'un homme à la recherche d'un passé perdu que de tenter, non pas de cerner la jeune femme (ce sera impossible et Modiano aime trop le flou pour qu'on cerne quoique ce soit avec lui), mais de tenter vaguement de l'approcher - à peine. Jacqueline, qu'on voit adolescente ou jeune femme, est perçue, à travers un brouillard, dans sa fragilité. Jamais cependant on ne comprendra ce qui fait cette fragilité, qu'elle-même ne comprend pas, sinon qu'elle la mène vers des horizons perdus - titre d'un livre sur la spiritualité qu'on lui prête, et qui sera le pendant d'un autre livre sur la mystique Louise du Néant (les deux titres vous donnent un aperçu de la joie de vivre du personnage de Jacqueline / Louki).


Roman qui mêle la tragédie à la mélancolie habituelle de l'auteur, le café de la jeunesse perdue... Ah oui, un mot sur le titre : il ne m'emballe pas des masses. C'est exactement le genre de titre qu'on s'attend à voir sur la couverture d'un roman de Modiano, et qui renforce l'impression qu'on sait déjà ce qu'on va trouver à l'intérieur. Passons. Outre l'aspect tragique du roman, celui-ci a pour moi une particularité : je l'ai vu comme un révélateur de la cartographie que Modiano s'échine à reconstituer de livre en livre. Peut-être que d'autres lecteurs ont connu ça avec un autre roman (je serais curieuse d'avoir des retours là-dessus, si c'est le cas). Au lieu de me dire "Arf, c'est toujours la même chose", il me semblait au contraire que tout ce que j'avais lu avant de Modiano, et que tout ce que je lirais après, commençait à trouver vaguement sa place dans l'univers de l'auteur. Comme si j'entrevoyais enfin, certes fort vaguement, l'intérêt d'écrire quantités de livres dans une infinité de variations.


On retrouve dans le café de la jeunesse perdue ces thématiques qui parfois m'ont semblé un tantinet répétitives ailleurs, et qui cette fois avaient davantage de sens à mes yeux : la nécessité de prendre des notes, de consulter des plans, des annuaires (d'où l'intérêt, notamment, d'avoir un détective privé comme narrateur). L'idée de zones délimitées : pas seulement les rue et les quartiers de Paris, mais aussi les zones du quartier de Jacqueline adolescente, comme les "premières pentes", ou encore les "zones neutres" sur lesquelles écrit son amoureux. La mémoire, les anciennes connaissances, les anciens lieux fréquentés, évidemment. Les ruptures (ou du moins les tentatives de ruptures), non pas amoureuses, mais avec le passé, donc plus radicales. Et ces horizons inatteignables, toujours.


Alors bon, avec le dernier narrateur, on retombe beaucoup dans ce qu'on connaît, et c'est un peu dommage. Et la partie narrée par Jacqueline elle-même souffre un chouïa du flou dans lequel veut nous laisser baigner l'auteur, si bien que la souffrance de la jeune femme reste à quelque distance du lecteur. Quoique... Mais arrêtons-nous là.


Une (légère) surprise, donc. Une bonne surprise. Je ne le conseillerai pourtant pas pour une première lecture de Modiano, car à mes yeux, une partie de ce qui fait son intérêt, c'est bien de s'inscrire volontairement dans un corpus morcelé.
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