La difficile quête de l'autonomie.
(Critique de
Des Inconnues)
La recherche de l'autonomie, de « la liberté » représente toujours un problème, surtout pour les jeunes femmes des années 1960. Dans
Des Inconnues,
Patrick Modiano éclaire différentes phases de ce passage difficile et périlleux.
Son ouvrage regroupe trois longues nouvelles d'une cinquantaine de pages chacune mettant en scène à chaque fois une héroïne différente qui est la narratrice et qui se trouve aux prises avec les aléas de ce changement de vie. Les personnages secondaires féminins viennent souvent compléter une sorte de vision panoramique de cette quête. Chaque nouvelle explore un cheminement particulier de l'héroïne : l'aventurière, la servante et l'embrigadée. Aucune de ces voies n'est satisfaisante et toutes semblent plus ou moins sans issue, dans le droit-fil de ce à quoi nous a habitué l'auteur dont on pourrait se demander, à tort, s'il ne défend pas une certaine vision moralisatrice. En effet, toutes ces héroïnes ont le déracinement et la solitude comme point de départ ainsi qu'une certaine désespérance courante lors de ce passage de l'adolescence à l'âge adulte. Malgré ces particularités, on reste dans l'univers et l'atmosphère caractéristiques du récent prix Nobel de littérature. Paris, avec ses rues et ses quartiers précisément décrits, représente toujours l'espoir d'une vie meilleure et réussie, les villes de province sont soit des lieux de passage, soit le symbole de l'échec des ambitions avec leur caractère étroit et mesquin. Ces héroïnes sans nom se retrouvent en errance ou en fuite et se situent dans un milieu interlope où l'on a bien du mal à saisir la réalité des choses, des actions et des personnages à coup de non-dits, de faits à moitié suggérés dans lesquels évolue tout ce petit monde. Enfin, nous nous retrouvons dans un temps indéterminé mais qu'on peut facilement situer dans les années 1960 : tout ce flou, cette brume, cet à-peu-près chers à
Modiano constituent probablement sa marque de fabrique ! Tous les éléments sont donc réunis pour une bonne lecture.
Et pourtant … Pourtant, pour moi, dans ce roman, la magie de
Patrick Modiano n'opère pas ! Pourquoi ? Peut-être, d'abord, parce qu'à force de lire les écrits de cet auteur, on devient plus exigeant, on va rechercher des détails plus spécifiques, plus étonnants et on devient moins sensible à ce qui nous aurait ébloui lors de la découverte de cet écrivain. Peut-être aussi est-ce dû à la forme originale de ce roman constitué de trois longues nouvelles indépendantes en forme de variations sur un thème principal et qui ne convient pas parfaitement à la pleine expression littéraire propre à
Modiano apparaissant ainsi rebelle à toute forme de contrainte. Peut-être enfin qu'un auteur a beau tendre à être au sommet de son art, ramasser les plus prestigieuses consécrations, sa réussite n'est pas toujours au bout du chemin : il ne suffit pas qu'un livre soit signé
Patrick Modiano pour que ce soit un chef-d'oeuvre. Les plus grands génies ne sont pas tous les jours touchés par la grâce !
Des Inconnues n'est donc pas un livre que je conseillerai à ceux qui veulent découvrir l'oeuvre du prix Nobel de littérature 2014. C'est d'ailleurs une oeuvre à part dans l'épaisse bibliographie de
Patrick Modiano, une tentative qu'à ma connaissance il n'a jamais renouvelée. Malgré la présence de tous les ingrédients habituels (un univers typique, une nostalgie indéfinissable et diffuse, une incompréhension puérile du monde), le charme, le ravissement et l'envoûtement de Doria Bruder ou de
Un Pedigree trouvent difficilement leur place dans cet opus.
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/6fcbad3e-b23d-11dd-b87c-1c3fffea55dc/Livres_Patrick_
Modiano_Des_Inconnues