Modiano, comme le dit avec humour
Clara Dupont-Monod, "est notre écrivain GPS".
Dans ce très joli
roman ( son 29ème ), comme dans tous ceux qui constituent l'oeuvre de notre
Prix Nobel ( le 15ème français ), celui-ci nous entraîne dans une visite guidée nostalgique, quelquefois mélancolique mais toujours envoûtante du XVème arrondissement de Paris mais également d'Annecy et de ses environs, sans oublier l'incursion finale à Rome.
Comme dans l'essentiel de sa bibliographie, le narrateur, très jeune apprenti dans une agence de détectives privés, enquête sur une jeune femme, Noëlle Lefèbvre, à propos de laquelle il ne bénéficie que de très peu d'informations, d'une photo si floue que s'il la croisait dans une de ces rues qu'il nous fait emprunter ou s'il était assis à côté d'elle dans un de ces cafés, bistrots, que
Modiano affectionne, il ne pourrait pas la reconnaître.
Il tente donc, thème modianesque, de retrouver sa trace.
"À mesure que je tente de mettre à jour ma recherche, j'éprouve une impression très étrange. Il me semble que tout était déjà écrit à l'
encre sympathique. Quelle est dans le dictionnaire sa définition ? "Encre qui, incolore quand on l'emploie, noircit à l'action d'une substance déterminée."
Ce n'est pas pour le seul plaisir de citer que je fais référence à ce passage du livre.
En fait, ces lignes disent tout sur cet ouvrage, mais d'une manière générale éclairent le parcours, le cheminement littéraire de
Modiano.
L'obsession de
Modiano, c'est tenter de "faire réapparaître un passé oublié, le temps perdu, les souvenirs effacés, des êtres, des objets, des lieux disparus."
Noëlle Lefèbvre, la belle inconnue qui s'est mystérieusement évanouie dans l'espace et le temps se dérobe aux recherches, au temps, aux témoins, aux traces... jusqu'à faire douter le narrateur de sa réalité.
Cependant cette mystérieuse jeune femme a pris en quelque sorte possession de lui... au point de le convaincre qu'il la connaît, qu'il l'a déjà vue, déjà rencontrée...
Le tout se déroule dans un paysage bien connu des lecteurs de l'écrivain.
Le Paris des années 50, avec ses rues, ses cafés, un dancing au bord de la Seine, un garage et son propriétaire vendeur de Chrysler.
Il y a une poste restante, une lettre énigmatique et un agenda qui l'est tout autant.
Le
roman s'articule autour de cette géographie, de ces éléments et de cette quête-enquête.
Ce livre sur la mémoire part de l'idée que ladite mémoire n'est faite que de bribes qui surnagent de l'immense oubli au sein duquel nous vivons.
D'où la métaphore de l'
encre sympathique avec laquelle a été écrit tout ce qu'on a oublié et dont certaines substances, certaines circonstances permettent de faire émerger quelques souvenirs, quelques fragments lisibles de ce passé, de cet oubli écrit à l'encre invisible.
Cela étant, il faut être prudent avec ces souvenirs réapparus à l'occasion de tel ou tel évènement.
Il en faut très peu pour être mystifié par ces souvenirs.
Une mystification née de plusieurs causes, volontaires ou involontaires.
Noëlle Lefèbvre est-elle morte ?
Si oui, dans quelles circonstances ?
Est-ce une fugue ? Et pourquoi ?
Ou bien autre chose dont on saura ou pas en expliquer les raisons.
Suivez
Modiano dans cette enquête.
Vous serez happé par son déroulement et sensible à sa chute.
J'ai lu quelques
romans de
Modiano.
J'ai été bouleversé à la lecture de -
Dora Bruder -.
J'ai beaucoup apprécié -
Rue des boutiques obscures -.
Celui-ci a un charme singulier, une mélancolie tout en grâce.
C'est un livre qui a été qualifié, le mot n'est pas de moi, de "Modianissime", et je suis d'accord avec cette appréciation.
Je le recommande à ceux qui sont un peu réticents à l'égard de l'auteur, et je le conseille à ceux qui veulent faire connaissance avec l'oeuvre de grand écrivain.
C'est l'introduction idéale à l'univers singulier de
Patrick Modiano.