« A force de partir, vous vous déshabituez de vous-même, vous vous déshabitez. Vous n'êtes plus qu'un étranger partout. »
Sultana vit à Montpellier. Médecin, cette femme originaire d'Algérie vit seule, des livres entourent son lit, « des âmes d'encre encloses dans leurs rêves de papier. » Elle retourne en Algérie pour enterrer Yacine, un amour, qui était resté dans le village où elle était née et avait grandi. « Village natal, pèlerinage fatal ».
Elle eût une jeunesse emplie de douleur, sa mère et sa soeur mortes alors qu'elle avait cinq ans et son père la laissant seule face à la bêtise des gens qui la disent « maudite ». Elle sera aidée par le médecin du village, un ''roumi'' (veut dire romain et par extension chrétien) ce qui ne fera que renforcée la hargne des habitants. Il organisera son départ et lui fera poursuivre des études dans une grande ville. de ses douleurs et déracinements elle gardera des fêlures. « Partir ou rester, qu'importe. Je n'ai pour véritable communauté que celle des idées. Je n'ai jamais eu d'affection que pour les bâtards, les paumés, les tourmentés et les juifs errants comme moi. Et ceux-ci n'ont jamais eu pour patrie qu'un rêve introuvable ou tôt perdu ».
Vincent vient de recevoir une greffe de rein, un « presque rien ». Cet organe qui lui sauve la vie provient du corps d'une jeune femme algérienne, morte récemment. « Le hasard est un ange barbare. J'étais un receveur potentiel, préférentiel, sur son échiquier ». Il n'en sait pas plus, mais éprouve un besoin de communion avec cette partie de lui, ce rein qui le métisse de l'intérieur. « Nous sommes un homme et une femme, un Français et une Algérienne, une survie et une mort siamoise ».
Le voilà découvrant le ciel algérien : « il est si grand, si enveloppant » « on se croit grain de poussière dans une mousse de lumière, poussière de soleil ivre de miroitements ». Il doit comprendre ce pays et cette vie qui filtre en lui. Elle, « elle est si loin dans l'insolite et le différent, si seule dans le manque. Elle est un défi. »
Leurs chemins vont se croiser.
Pour lui : « On retombe en amour, comme en enfance, avec une mémoire et une conscience expurgées de leurs défenses devenues caduques et encombrantes. »
Pour elle : « J'en ai bu des amours et pourtant j'ai toujours perdu mes amants sur des chemins sans retours. Il ne me reste jamais qu'un désir béant, inassouvi. »
Deux visions compatibles ?
Ils feront la connaissance de Dalila, une petite fille perchée sur une dune. Un être étrange qui leur expliquera bien des choses, à mi chemin entre le Petit Prince et le Tambour.
Au travers de ces chemins, l'auteur montre l'imbécilité du racisme de part et d'autre de la Méditerranée (« En France, je ne suis ni algérienne, ni même maghrébine. Je suis une Arabe. Autant dire, rien. » et parle de l'exil, « aire de l'insaisissable, de l'indifférence réfractaire, du regard en déshérence ».
Elle pourfend « les faussaires de la foi », pointe du doigt l'attitude des hommes à l'égard des femmes, des hommes qui ne regardent pas mais qui « zyeutent » les femmes, et celle des garçons qui « agressent, faute d'avoir appris à aimer ». Elle ne décolère pas quand elle diagnostique des ''koulchites'', « pathologies féminines très répandue, symptôme des séismes et de la détresse au féminin. »
Elle décrit aussi l'erg, ses dunes qui avancent au gré du vent et le sable « tombé du soleil » qui « fait de la lumière et des étincelles » et qui peut être violent loin de l'image touristique, elle évoque « des lieux où la vie n'est jamais qu'une mort vicieuse qui se délecte et prend son temps .»
« Il n'y a de vrai que le mélange. Tout le reste n'est qu'hypocrisie ou ignorance. »
Un livre d'une justesse incroyable qui recèle mille et une nuits. J'ai apprécié la poésie de
Malika Mokeddem et la profondeur des personnages.