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EAN : 9782290334744
93 pages
Librio (24/06/2003)
3.7/5   3105 notes
Résumé :
MOLIÈRE
le bourgeois gentilhomme

Un nouveau riche ébloui par les beautés de la danse, de la musique, de la philosophie et de l'escrime : le personnage est à la fois agaçant et touchant. En s'efforçant d'articuler les voyelles à s'en décrocher la mâchoire, en enfilant un habit du dernier ridicule et en envoyant un mot doux avec des précautions de poète, monsieur Jourdain croit atteindre au sublime. Le pauvre homme ! Mais autour de lui, le bon se... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (122) Voir plus Ajouter une critique
3,7

sur 3105 notes
Bien sûr, nous la connaissons tous plus ou moins cette pièce ; nous l'avons tous plus ou moins subie ou adorée à l'école (au collège en particulier). Cependant, dans nos années " matures " (c'est-à-dire en nos années " ridées "), il ne nous en reste bien souvent qu'un souvenir très vague ou une réminiscence tellement ténue qu'il nous est parfois bien malaisé de s'en faire encore une idée fiable.

J'ai constaté cet état de fait auprès de plusieurs de mes amis et ai été incitée à me replonger dans Le Bourgeois Gentilhomme par les remarques d'un lecteur sur Babelio ce qui m'a permis de redécouvrir le fameux Monsieur Jourdain.

Bien évidemment, il y a des petits côtés désuets chez Molière, la mécanique est parfois lourde et très insistante, notamment dans les quiproquos, mais il y a aussi et surtout de ces finesses qui demeurent intactes et que les siècles n'érodent pas.

Ainsi, les premières scènes avec les maîtres de danse et de musique font dans l'épaisse caricature, en revanche, la scène 4 de l'acte II avec le maître de philosophie, était, reste et demeurera vraiment hilarante pour des siècles et des siècles.

En deux mots, M. Jourdain est nanti d'une richesse matérielle incalculable fruit de son activité de commerçant, et, désireux de s'élever socialement, ne jure que par les artifices de la noblesse. Son esprit étroit lui laisse trop peu d'espace pour se rendre compte que tous se payent sa tête et ne jurent, quant à eux, qu'en l'argent qu'ils arrivent à lui soutirer pour de prétendues leçons d'éducation aristocratique.

Mais le comble du comble, c'est Dorante : un gentilhomme de naissance sans le sou, qui puise abondamment dans la bourse de Jourdain, prétextant le servir et ne servant, bien évidemment que ses propres intérêts, au détriment de Jourdain même. Cherchez bien dans votre entourage, il doit bien y en avoir un ou deux des comme ça, n'est-ce pas ?

Parallèlement, Lucile, la fille de Jourdain, souhaite épouser Cléonte, garçon de bonne famille mais pas assez " gentilhomme " au goût de Jourdain, qui lui refuse donc sa main. Une nouvelle fois, cette situation sera prétexte à duperie pour le pauvre brave bougre, qui se retrouve tout content de se faire rouler une nouvelle fois dans la farine par l'ensemble de ses proches.

Elles sont nombreuses les morales de cette fable théâtrale, bien que la plus évidente, ressemble à s'y méprendre à celle de son contemporain La Fontaine dans Le Corbeau et le Renard : « Apprenez que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute. »

Cependant, on y lit en filigrane d'autres moralités, notamment que l'honnêteté ne paye pas car Cléonte, honnête, se fait éconduire par le beau père tandis que pour le même Cléonte, travesti, on déroule le tapis rouge. Dorante, infâme coquin haut perché, s'en tire toujours par une pirouette.

Cela pourrait encore être : « Ne cherchez pas conseil auprès de ceux qui, tout professionnels qu'ils soient, ont des intérêts dans la réponse qu'ils apportent. » (Souvenez-vous de ça quand vous irez chez le dentiste, quand vous ferez repeindre vos murs ou que vous demanderez conseil pour changer vos robinetteries, par exemple).

L'hypocrisie et le délit d'initié (au sens large du terme, pas au sens boursier) sont les terrains de chasse favoris de Molière. Mais il y a aussi une autre dimension. Suite à la Réforme, le XVIIème siècle est le témoin de la montée en puissance de la bourgeoisie. La vieille aristocratie a encore les reins solides pour quelques temps, mais elle pliera inéluctablement à la fin du XVIIIème par la Révolution que l'on sait.

On ne sait donc qui est la dupe de qui. Sont-ce les bourgeois étrillés dans cette pièce ou sont-ce les nobles désargentés qui rient et négligent ce qui fera pourtant leur perte ? Molière était bien assez malin pour flatter ses mécènes tout en pensant exactement le contraire. Le fait est que, depuis le XIXème siècle, ce sont les bourgeois qui rient et se moquent copieusement des manières guindées de la vieille noblesse archaïque.

Et de ce que je perçois du monde, j'ai le sentiment que les bourgeois ont encore quelques beaux jours devant eux avant qu'une autre catégorie sociale ne prenne les commandes et ne s'empresse de faire exactement la même chose que la noblesse et la bourgeoisie avant elle...

Mais, donc, pour revenir à la pièce qui nous occupe aujourd'hui, je considère que le test de passage est réussi pour ce Bourgeois Gentilhomme et ce en dehors de toute contrainte scolaire me concernant.

En outre, ce n'est là que mon avis extraordinairement roturier et de peu de manières, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Peu de scènes de théâtre ont eu autant de succès auprès de moi que la leçon de prononciation que Mr Jourdain reçoit de son maître de philosophie !
(Acte II, Sc. 4)

Le pragmatisme de Mme Jourdain et ses "coups bas" sont excellents et tellement représentatifs des relations conjugales d'un temps où, dans les classes aisées de la société, on ne se mariait que par intérêt et on s'accommodait tant bien que mal du conjoint qu'on vous avait choisi.

Pour goûter tout le piquant d'une telle comédie qui se veut la parodie sans fard de l'arrivisme bourgeois, il faut se plonger dans le contexte social et historique de ce 17ème siècle où l'ascension de la bourgeoisie et de la noblesse dite "de robe" (en opposition à l'aristocratie, noblesse dite "d'épée") prend tout son essor, posant bien avant les écrits des Lumières les bases solides sur lesquelles s'appuiera 120 ans plus tard la Révolution Française.

Il faut imaginer ce que devaient être les premières représentations de cette pièce avec Molière dans le rôle principal (lui-même étant né de cette riche bourgeoisie dont il connaît les utopies et s'étant hissé par son talent et son génie jusqu'à la Cour du Roi-Soleil), sur une musique de Lully, ce devait vraiment être quelque chose !
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Dansez, chantez, c'est une comédie ballet !
Pauvre Monsieur Jourdain, il n'est pas bien futé,
Tentant le menuet, il s'emmêle les pieds,
Et en maniant l'épée, il pourrait s'éborgner.
Il n'a qu'un seul désir : aux nobles ressembler.
Il possède pourtant nombreux biens et argent
Que l'on cherche à lui soutirer en le flattant.
Maître de musique et maître à danser s'affichent
Filous riant sous cape, le jugeant bien potiche.
De plus, Jourdain amoureux se ridiculise
Courtisant Dorimène , au titre de marquise.
Molière écorne ici les bourgeois enrichis
Mais des nobles déchus, il s'est moqué aussi.
Il reste très actuel car ne croyez-vous pas
Que de nos jours encore, les riches et leurs appâts
Certains veulent singer , faibles êtres pathétiques
Qui comme notre bourgeois en deviennent comiques.

"Soyez vous -mêmes, dit Oscar, l'ami,
" Tous les autres sont déjà pris". Eh oui !

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Il me semble l'avoir déjà dit ici, je n'aime pas relire… particulièrement un livre que j'ai aimé ; peur de ne pas retrouver la magie de la première lecture, peut-être … Il m'arrive néanmoins de faire exception à la règle.
Bien m'en a pris : « le bourgeois gentilhomme », une lecture imposée au collège qui ne m'avait pas laissé un souvenir impérissable si ce n'est celui du ridicule ; et je passe les couvertures hideuses de l'époque des classiques Larousse et autres éditions…

Quelques années plus tard, voilà mon aînée au collège, et me revoilà confronté au « problème ». Certes les couvertures des classiques ont évolué vers le moins repoussant, mais bon… Reste le texte : une révélation et relecture, à l'âge adulte. Un régal qui me fera enchaîner sur « le malade imaginaire », « le Tartuffe » (mon préféré), « Dom Juan », « L'avare »…
Je n'ai pas encore relu « Les fourberies de Scapin », dont le souvenir m'est tellement pénible que la relecture ne m'est toujours pas possible.

Comment ai-je fait à l'époque pour passer à côté de répliques telles que :
« Il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j'en susse rien. »
« Ah! La belle chose que de savoir quelque chose ! »
Il y a un temps pour tout, en général… et pour Molière en particulier. Une lecture que je ne conseillerais pas à l'adolescence. Mais ceci n'engage que moi et correspond à ma propre expérience.

Nota : l'oeuvre est tellement connue, que je n'aurai pas l'outrecuidance de la présenter ici, alors que d'autres l'ont si admirablement fait.
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Nous sommes, d'emblée, devant un titre paradoxal et on se pose la question : comment un bourgeois peut-il se débarrasser de sa roture initiale pour devenir un gentilhomme comme il faut? Molière y répond à sa manière. Ainsi, M. Jourdain dont il est question s'y prend mal, et choisit la mauvaise voie. Par conséquent, tout le monde en profite et il devient une risée pour eux.

On sait qu'au temps de Molière, il y avait des roturiers qui voulaient être anoblis à tout prix car cela leur rapportait tant de privilèges. Molière saisit cette opportunité pour présenter son personnage, l'un des plus comiques du répertoire moliéresque. Autre élément que Molière a employé, c'est le rapprochement franco-turc ainsi que cette fascination envers l'Orient et ce qu'on appelle les turqueries.

Le Bourgeois Gentilhomme, comme j'avais avancé est l'un des personnages les plus comiques de Molière, par sa naïveté et son ignorance excessives et cela apparait dans sa relation avec les sciences, la mode et même l'amour. La pièce comporte une suite de scènes hilarantes, de scènes inoubliables ; surtout celles des maîtres qui viennent chez M. Jourdain pour lui apprendre l'art d'être à l'instar des gens comme il faut. On apprécie aussi ce dialogue entre le maître à danser et le maître de musique où il est question de deux visions de l'art.
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Citations et extraits (83) Voir plus Ajouter une citation
MONSIEUR JOURDAIN
- Je vous en prie. Au reste, il faut que je vous fasse une confidence. Je suis amoureux d'une personne de grande qualité, et je souhaiterais que vous m'aidassiez à lui écrire quelque chose dans un petit billet que je veux laisser tomber à ses pieds.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
- Fort bien.

MONSIEUR JOURDAIN
- Cela sera galant, oui ?

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
- Sans doute. Sont-ce des vers que vous lui voulez écrire ?

MONSIEUR JOURDAIN
- Non, non, point de vers.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
- Vous ne voulez que de la prose ?

MONSIEUR JOURDAIN
- Non, je ne veux ni prose ni vers.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
- Il faut bien que ce soit l'un, ou l'autre.

MONSIEUR JOURDAIN
- Pourquoi ?

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
- Par la raison, Monsieur, qu'il n'y a pour s'exprimer que la prose ou les vers.

MONSIEUR JOURDAIN
- Il n'y a que la prose ou les vers ?

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
- Non, Monsieur : tout ce qui n'est point prose est vers ; et tout ce qui n'est point vers est prose.

MONSIEUR JOURDAIN
- Et comme l'on parle, qu'est-ce que c'est donc que cela ?

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
- De la prose.

MONSIEUR JOURDAIN
- Quoi ? Quand je dis : "Nicole apportez-moi mes pantoufles, et me donnez mon bonnet de nuit", c'est de la prose ?

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
- Oui, Monsieur.

MONSIEUR JOURDAIN
- Par ma foi ! Il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j'en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m'avoir appris cela. Je voudrais donc lui mettre dans un billet : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour ; mais je voudrais que cela fût mis d'une manière galante, que cela fût tourné gentiment.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
- Mettre que les feux de ses yeux réduisent votre cœur en cendres ; que vous souffrez nuit et jour pour elle les violences d'un...

MONSIEUR JOURDAIN
- Non, non, non, je ne veux point de tout cela ; je ne veux que ce que je vous ai dit : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
- Il faut bien entendre un peu la chose.

MONSIEUR JOURDAIN
- Non, vous dis-je, je ne veux que ces paroles-là dans le billet ; mais tournées à la mode, bien arrangées comme il faut. Je vous prie de me dire un peu, pour voir, les diverses manières dont on les peut mettre.

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
- On les peut mettre premièrement comme vous avez dit : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour. Ou bien : D'amour mourir me font, belle Marquise, vos beaux yeux. Ou bien : vos beaux yeux d'amour me font, belle Marquise, mourir. Ou bien : Mourir vos beaux yeux, belle Marquise, d'amour me font. Ou bien : Me font vos yeux beaux mourir, belle Marquise, d'amour.

MONSIEUR JOURDAIN
- Mais de toutes ces façons-là, laquelle est la meilleure ?

MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
- Celle que vous avez dite : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d'amour.

Acte II, scène 5.















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MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.- Ce sentiment est raisonnable, Nam sine doctrina vita est quasi mortis imago. Vous entendez cela, et vous savez le latin sans doute.
MONSIEUR JOURDAIN.- Oui, mais faites comme si je ne le savais pas. Expliquez-moi ce que cela veut dire.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.- Cela veut dire que sans la science, la vie est presque une image de la mort.
MONSIEUR JOURDAIN.- Ce latin-là a raison.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.- N’avez-vous point quelques principes, quelques commencements des sciences ?
MONSIEUR JOURDAIN.- Oh oui, je sais lire et écrire.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.- Par où vous plaît-il que nous commencions ? Voulez-vous que je vous apprenne la logique ?
MONSIEUR JOURDAIN.- Qu’est-ce que c’est que cette logique ?
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.- C’est elle qui enseigne les trois opérations de l’esprit .
MONSIEUR JOURDAIN.- Qui sont-elles, ces trois opérations de l’esprit ?
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE.- La première, la seconde, et la troisième. La première est, de bien concevoir par le moyen des universaux. La seconde, de bien juger par le moyen des catégories : et la troisième, de bien tirer une conséquence par le moyen des figures. Barbara, celarent, darii, ferio, baralipton, etc.
MONSIEUR JOURDAIN.- Voilà des mots qui sont trop rébarbatifs. Cette logique-là ne me revient point. Apprenons autre chose qui soit plus joli.
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M. JOURDAIN - Cela sera galant, oui ?

MAITRE DE PHILOSOPHIE - Sans doute. Sont-ce des vers que vous lui voulez écrire ?

M. JOURDAIN - Non, non, point de vers.

MAITRE DE PHILOSOPHIE - Vous ne voulez que de la prose ?

M. JOURDAIN - Non, je ne veux ni prose ni vers.

MAITRE DE PHILOSOPHIE - Il faut bien que ce soit l'un ou l'autre.

M. JOURDAIN - Pourquoi ?

MAITRE DE PHILOSOPHIE - Par la raison, monsieur,, qu'il n'y a pour s'exprimer que la prose ou les vers.

M. JOURDAIN - Il n'y a que la prose ou les vers ?

MAITRE DE PHILOSOPHIE - Non, monsieur: tout ce qui n'est point prose est vers: et tout ce qui n'est point vers est prose.

M. JOURDAIN - Et comme l'on parle, qu'est-ce que c'est donc que cela ?

MAITRE DE PHILOSOPHIE - De la prose.

M. JOURDAIN - Quoi ! quand je dis: "Nicole apportez-moi mes pantoufles et me donnez mon bonnet de nuit", c'est de la prose ?

MAITRE DE PHILOSOPHIE - Oui, monsieur.
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Monsieur Jourdain :
Je vous en prie. Au reste, il faut que je vous fasse une confidence. Je suis amoureux d’une personne de grande qualité, et je souhaiterais que vous m’aidassiez à lui écrire quelque chose dans un petit billet que je veux laisser tomber à ses pieds.

Maître de philosophie :
Fort bien.

Monsieur Jourdain :
Cela sera galant, oui.

Maître de philosophie :
Sans doute. Sont-ce des vers que vous lui voulez écrire ?

Monsieur Jourdain :
Non, non, point de vers.

Maître de philosophie :
Vous ne voulez que de la prose ?

Monsieur Jourdain :
Non, je ne veux ni prose ni vers.

Maître de philosophie :
Il faut bien que ce soit l’un, ou l’autre.

Monsieur Jourdain :
Pourquoi ?

Maître de philosophie :
Par la raison, Monsieur, qu’il n’y a pour s’exprimer que la prose, ou les vers.

Monsieur Jourdain :
Il n’y a que la prose ou les vers ?

Maître de philosophie :
Non, Monsieur : tout ce qui n’est point prose est vers ; et tout ce qui n’est point vers est prose.

Monsieur Jourdain :
Et comme l’on parle qu’est-ce que c’est donc que cela ?

Maître de philosophie :
De la prose.

Monsieur Jourdain :
Quoi ? quand je dis : « Nicole, apportez-moi mes pantoufles, et me donnez mon bonnet de nuit », c’est de la prose ?

Maître de philosophie :
Oui, Monsieur.

Monsieur Jourdain :
Par ma foi ! il y a plus de quarante ans que je dis de la prose sans que j’en susse rien, et je vous suis le plus obligé du monde de m’avoir appris cela. Je voudrais donc lui mettre dans un billet : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour ; mais je voudrais que cela fût mis d’une manière galante, que cela fût tourné gentiment.

Maître de philosophie :
Mettre que les feux de ses yeux réduisent votre cœur en cendres ; que vous souffrez nuit et jour pour elle les violences d’un…

Monsieur Jourdain :
Non, non, non, je ne veux point tout cela ; je ne veux que ce que je vous ai dit : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour.

Maître de philosophie :
Il faut bien étendre un peu la chose.

Monsieur Jourdain :
Non, vous dis-je, je ne veux que ces seules paroles-là dans le billet ; mais tournées à la mode ; bien arrangées comme il faut. Je vous prie de me dire un peu, pour voir, les diverses manières dont on les peut mettre.

Maître de philosophie :
On les peut mettre premièrement comme vous avez dit.
Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour. Ou bien : D’amour mourir me font, belle Marquise, vos beaux yeux. Ou bien : Vos yeux beaux d’amour me font, belle Marquise, mourir. Ou bien : Mourir vos beaux yeux, belle Marquise, d’amour me font. Ou bien : Me font vos yeux beaux mourir, belle Marquise, d’amour.

Monsieur Jourdain :
Mais de toutes ces façons-là, laquelle est la meilleure ?

Maître de philosophie :
Celle que vous avez dite : Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour.

Monsieur Jourdain :
Cependant je n’ai point étudié, et j’ai fait cela tout du premier coup.
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MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
Par où vous plaît-il que nous commencions ? Voulez-vous que je vous apprenne la logique ?
M. JOURDAIN
Qu'est-ce que c'est que cette logique ?
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
C'est elle qui enseigne les trois opérations de l'esprit.
M. JOURDAIN
Qui sont-elles, ces trois opérations de l'esprit ?
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
La première, la seconde et la troisième. La première est de bien concevoir par le moyen des universaux. La seconde de bien juger par le moyen des catégories ; et la troisième, de bien tirer une conséquence par le moyen des figures Barbara, Celarent, Darii, Ferio, Baralipton(6), etc.
M. JOURDAIN
Voilà des mots qui sont trop rébarbatifs. Cette logique-là ne me revient point. Apprenons autre chose qui soit plus joli.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
Voulez-vous apprendre la morale ?
M. JOURDAIN
La morale ?
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
Oui.
M. JOURDAIN
Qu'est-ce qu'elle dit, cette morale ?
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
Elle traite de la félicité, enseigne aux hommes à modérer leurs passions, et…
M. JOURDAIN
Non, laissons cela. Je suis bilieux comme tous les diables ; et il n'y a morale qui tienne, je me veux mettre en colère tout mon soûl, quand il m'en prend envie.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
Est-ce la physique que vous voulez apprendre ?
M. JOURDAIN
Qu'est-ce qu'elle chante, cette physique ?
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
La physique est celle qui explique les principes des choses naturelles, et les propriétés du corps ; qui discourt de la nature des éléments, des métaux, des minéraux, des pierres, des plantes et des animaux, et nous enseigne les causes de tous les météores, l'arc-en-ciel, les feux volants, les comètes, les éclairs, le tonnerre, la foudre, la pluie, la neige, la grêle, les vents et les tourbillons.
M. JOURDAIN
Il y a trop de tintamarre là-dedans, trop de brouillamini.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
Que voulez-vous donc que je vous apprenne ?
M. JOURDAIN
Apprenez-moi l'orthographe
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
Très volontiers.
M. JOURDAIN
Après, vous m'apprendrez l'almanach, pour savoir quand il y a de la lune et quand il n'y en a point.
MAÎTRE DE PHILOSOPHIE
Soit. Pour bien suivre votre pensée et traiter cette matière en philosophe, il faut commencer selon l'ordre des choses, par une exacte connoissance de la nature des lettres, et de la différente manière de les prononcer toutes. Et là-dessus j'ai à vous dire que les lettres sont divisées en voyelles, ainsi dites voyelles parce qu'elles expriment les voix ; et en consonnes, ainsi appelées consonnes parce qu'elles sonnent avec les voyelles, et ne font que marquer les diverses articulations des voix. Il y a cinq voyelles ou voix : A, E, I, O, U.
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MOLIÈRE – Variations sur les fêtes royales, par Michel Butor (Genève, 1991) Six cours, parfois coupés et de qualité sonore assez passable, donnés par Michel Butor à l’Université de Genève en 1991.
Dans la catégorie : Littérature dramatiqueVoir plus
>Littérature (Belles-lettres)>Littérature des langues romanes. Littéraure française>Littérature dramatique (842)
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