Les troupes de comédiens de province du 17e siècle, ont pris l'habitude, pour attirer un public restreint et confronté à une offre de pièce limitée et un peu identique dans toutes ces troupes, à ajouter à la grande tragédie en cinq actes, une petite pièce comique, bricolée par un des comédiens ayant un petit talent d'auteur. La troupe de
Molière, lors de son installation à Paris, où elle partage dans un premier temps le même théâtre que les comédiens italiens, garde cette habitude à la capitale, d'autant plus que sa façon de jouer, « plus naturelle », moins outrée, et permettant moins au public de faire le brouhaha, n'est pas un franc succès auprès du public parisien, qui a à sa disposition à l'époque plusieurs autres troupes installées. Les petites pièces de
Molière, quant à elles, font accourir le public et assurent le succès financier. Mais elles ne sont pas considérées comme une vraie oeuvre, pas d'éditions de ces pièces (beaucoup de ces premières productions de
Molière sont perdues), jusqu'à ce qu'une d'entre elle, ces Précieuses ridicules justement, subisse la tentative d'une édition pirate par un libraire, ce qui pousse
Molière à l'éditer lui-même. le succès à répétition de ces petites pièces de
Molière va aboutir à ce que d'autres troupes adoptent cette pratique à Paris, e1793t cela va devenir la règle ; lorsque la
Comédie Française se crée, une petite pièce sera présentée systématique en complément de la grande pièce, et cela va perdurer jusqu'à la fermeture du théâtre en 1793 pendant la Révolution française.
Plusieurs registres se rejoignent dans ces Précieuses ridicules. le thème du valet déguisé en maître est un grand classique du courant burlesque de la comédie, imité au départ de la comédie espagnole. Et justement la troupe de
Molière vient d'engager Jodelet, l'auteur comique le plus célèbre à son époque, justement grâce à ses rôles de valet déguisé en maître et qui adopte un comportement totalement à l'opposé de celui qu'on attendrait d'un noble seigneur, les pièces comme Jodelet ou le Maître valet de Scarron et Jodelet prince de
Thomas Corneille sont d'ailleurs à l'affiche de la troupe de
Molière à l'époque. Mais Jodelet est à l'époque âgé, et le public connaît trop bien ces pièces. Donc
Molière va créer une pièce qui utilise les talents de Jodelet mais dans un cadre nouveau, celui des salons parisiens de l'époque, en faisant une parodie des usages à la mode, chez son public, qu'il pense être à même d'apprécier une satire, d'autant plus acceptable, que les personnages des Précieuses ridicules sont en réalités des provinciales qui aspirent à une façon de vivre qu'elles ne connaissent que par les livres et qui la singent d'une façon grotesque. Lui-même seconde Jodelet dans un rôle de valet déguisé, Mascarille. Il s'appuie pour inventer sa satire, sur les écrits de
Charles Sorel, qui a parodié les moeurs galantes qui ont cours dans les salons, en particulier dans un texte qui s'appelle Les lois de la galanterie.
Donc nos deux jeunes femmes débarquées de leur province, Cathos et Madelon, traitent fort mal les prétendants choisis par leur père et oncle. Les jeunes gens décident de se venger, en leur envoyant leurs valets déguisés en seigneurs et qui singent les galants fréquentant les salons. Les deux cousines s'y laissent prendre, jusqu'à ce que les valets ne soient dénoncés et houspillés par leurs maîtres qui accomplissent ainsi leur vengeance.
Une pièce courte, d'une grande efficacité comique, qui combine d'une façon condensée mais en même temps très habile divers aspects de la comédie de l'époque, tout en ayant une véritable originalité, il ne s'agit pas uniquement de reprendre des modèles, venus de l'Italie ou d'Espagne, mais d'ancrer la comédie, la satire, dans le contexte de son temps, dans les usages et les moeurs en cours, ce qui permet aux spectateurs d'être plus proches, plus concernés directement par ce qui se passe sur la scène.
Molière fait à fois la preuve d'une grande maîtrise des codes et conventions de l'époque, et d'une vraie inventivité.