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Critique de 5Arabella


Après l'échec de l'Illustre Théâtre à Paris, des éléments de la troupe, dont Madeleine Béjart et Molière, se sont joint en 1646 à la compagnie de Dufresne, protégée par le duc d'Epernon, et sont partis sillonner les provinces. Molière deviendra progressivement le chef de la troupe, qui finira par être considérée comme la meilleure des « troupes de campagne », nombreuses à l'époque, et qui se livraient une concurrence acharnée pour gagner la faveur des puissants seigneurs-mécènes et du public dans les villes.

Une des clés du succès résidait dans la possibilité de proposer aux spectateurs un répertoire inédit, ou tout au moins pas ou peu arrivé dans les provinces. L'Illustre Théâtre au temps de son fonctionnement avait commandé des pièces à des auteurs en vue, dont Tristan l'Hermite, ces pièces étaient sans doute au répertoire de la compagnie. Mais ces pièces sont rapidement tombées dans le domaine publique, et il fallait d'autres nouveautés. Les troupes de campagnes tâchaient d'acheter le plus rapidement possible les nouvelles pièces imprimées à Paris, il arrivait même que des copistes au service des comédiens notent les pièces pendant les représentations, avant qu'elles ne paraissent.

Une autre façon de proposer des nouveautés était de les faire écrire par un comédien de la troupe. Il s'agissait de petites pièces comiques, appelées farces, bricolées, réduites par exemple d'une grand pièce pré-existante, et qui laissaient aux comédiens une part d'improvisation. Ces pièces étaient données après la grande pièce en cinq actes, comme une sorte de complément de programme. Ce n'était pas vraiment considéré comme une activité d'écrivain (« de poète »), et ces pièces n'étaient pas publiées. Molière a commencé par ces petites pièces, dont il ne reste pas grand-chose. La première petite pièce publiée sera Les précieuses ridicules, tout simplement à cause d'un succès phénoménale qui a provoqué une tentative d'édition pirate de la part d'un éditeur. Mais Molière va innover : il sera pratiquement le premier comédien à oser se risquer à produire une grande pièce, l'Etourdi, créée à Lyon en 1655. Elle aura une belle carrière, et lors du retour de Molière dans la capitale, sera donnée avec beaucoup de succès en 1658.

Comme pour la plupart des pièces de l'époque, l'Etourdi est inspiré d'une autre oeuvre, L'inavertito de l'auteur italien Niccolò Barbieri (dit Beltrame). Ce n'était plus dans l'air du temps, dans les années 50 du XVIIe siècle, les modèles étaient plutôt recherchés dans le théâtre espagnol, avec ses déguisements, ses faux semblants, et ses valets ridicules. Chez Molière nous revenons aux modèles italiens, inspirés du théâtre romain antique, avec ses serviteurs retors qui mènent le jeu, et qui aident les jeunes gens à épouser la jeune fille de leur choix, malgré la résistance de quelque ridicule parent.

C'est exactement ce qui se passe dans l'Etourdi. Lélie, un jeune homme de bonne famille, est amoureux d'une jeune fille esclave, Célie, achetée par Trufaldin, qui cherche à la vendre avec profit. Lélie n'a pas l'argent, et son père voudrait qu'il épouse Hippolyte. le jeune homme compte donc sur l'habileté de Mascarille, son valet, pour lui permettre d'accéder à la jeune fille. Ce dernier a plus d'un tour dans son sac, et il arrive sans problème à résoudre le problème, mais Lélie est « un étourdi » (je dirais plutôt un sacré imbécile) qui n'a de cesse que de contrarier les machinations de Mascarille : en rendant l'argent escroqué à Anselme par exemple, qui lui aurait permis de racheter Célie, en démentant Mascarille auprès d'un rival, alors que ce mensonge permettait à Mascarille d'amener la jeune fille, en prévenant Trufaldin d'une tentative d'enlèvement que Mascarille comptait détourner etc. Lélie est son pire ennemi, et le challenge de Mascarille ne consiste pas tant à tromper les vieillards crédules ou les rivaux faciles à manipuler, qu'à empêcher Lélie de contrarier ses plans. Mais nous sommes dans une comédie, et tout se termine bien, Clélie se révèle la fille de Trufaldin, et un mariage peut conclure la pièce, comme il se doit.

Molière interprétait le rôle de Mascarille (ce qui veut dire petit masque, les personnages masqués étaient traditionnels dans la comédie italienne), dans lequel il s'est taillé un beau succès, il est, et de loin, le personnage le plus présent sur la scène et dans les dialogues. Il va reprendre encore plusieurs fois ce personnage, jusqu'aux Précieuses ridicules, le remplaçant ensuite par le personnage de Sganarelle, qui joue sans masque. Molière écrit une pièce dans laquelle il peut utiliser au maximum son talent comique ; son talent d'écrivain va contribuer à le mettre en avant, et à le faire reconnaître comme le plus grand acteur comique de son temps.

L'Etourdi est une pièce un peu répétitive à la lecture : pendant cinq actes nous assistons au même schéma : Mascarille élabore un plan infaillible, que ce balourd de Lélie démolit sans s'en rendre compte. Mascarille s'agace, vitupère, avant d'accepter à nouveau de se mettre au service des amours de son maître. Les différents hasards qui favorisent ses plans sont de plus en plus invraisemblables. Les personnages n'ont aucune profondeur psychologique, la jeune fille est pour ainsi inexistante, comme toujours dans les comédies italiennes, et il y a quelques longueurs, dans l'exposé de certains faits par exemple. Bien évidemment, le succès de la pièce reposait en majeure partie sur le talent comique de l'acteur principal. Molière va progresser dans son art d'écrivain, et sur un schéma proche, il donnera quelques années plus tard « Les fourberies de Scapin » tellement plus abouti. Mais nous en sommes à la première étape, et la pièce peut encore fonctionner et être désopilante, à condition de trouver un interprète qui arrive à donner vie au personnage principal.
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