La République s'étudiait à faire oublier les menaces et le danger d'une rapide décadence, en offrant le spectacle continuel de banquets, de fêtes, de cérémonies. Si l'âme s'attriste devant ce spectacle d'un peuple qui perd de jour en jour sa puissance, l'esprit est subjugué au contraire par l'éclat des fêtes, l'élégance des costumes, le charme des moeurs. — « C'est la plus triomphante cité que j'aye jamais veu » — s'écriait en 1495 Philippe de Commynes, ambassadeur de Charles VIII.
Il appartint à l'art de fixer l'image de cette joyeuse existence; au milieu de favorables circonstances il passe de la jeunesse timide à l'opulente maturité, reflétant comme un miroir fidèle, dans la richesse, la variété et l'harmonie des couleurs, la sensualité et la joie de la nature et de la civilité au milieu desquelles il grandit.
Une autre collection de dessins, qui gisait ignorée dans le grenier d'un vieux château de Guienne, fut découverte naguère et acquise par le musée du Louvre. Dans ces dessins, qui furent sans aucun doute l'œuvre de sa complète maturité, Jacopo se révèle également à nous comme un amateur passionné de l'antiquité. Mûntz, qui a commenté et mis en valeur cette admirable collection, met en lumière quelques uns des aspects du talent si varié et si souple de ce grand artiste oublié. De l'aveu de Mûntz, Jacopo eut le talent d'unir si heureusement le culte de l'antiquité à l'étude de la nature qu'il peut-être comparé à Paolo Uccello et à Pisanello, dont il fut l'heureux émule.
C'est un fait considérable à Venise que l'influence byzantine ; elle caractérise une période de véritable grandeur dans l'art du moyen âge, et nulle part elle ne se manifeste avec plus d'éclat que dans la basilique de Saint-Marc, où les mosaïques exécutées au XIIe et au XIIIe siècle, nous offrent encore aujourd'hui, en dépit de restaurations fâcheuses, un idéal de beauté plein de puissance. Art merveilleux, digne inauguration des débuts de la grande république !
Les artistes de Murano ne sauraient former une école à part; ils constituent cependant un groupe distinct tout à fait remarquable; il faut y adjoindre Quirizio da Murano, auteur d'une Annonciation dans la sacristie de San Giobbe à Venise, d'un tableau d'autel qui est au Musée des Concordi à Piovigo et d'un beau Christ sur le trône, acquis récemment pour la Galerie de l'Académie de Venise.