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Critique de Alzie


« Pourquoi ont-ils peint ? » c'est la question à laquelle tentent de répondre maints savants et scientifiques depuis la découverte d'Altamira en 1879 et à laquelle la découverte de la grotte Chauvet a redonné un écho ; Pedro Lima retraçe un siècle d'interrogations sur le sens des figures animalières préhistoriques (P. 81), dans ce hors série du Monde d'avril 2015. Mais s'il n'y avait qu'un article à recommander, parmi tous, j'opterais pour celui de Philippe Dagen : « Une si blanche préhistoire », qui liste tous les clichés, poncifs et incongruités sur la période, véhiculés par les arts (peinture, gravure, littérature et cinema), du XIXe siècle jusqu'à nos jours. La photo de Raquel Welch en bikini de peau de bête, extraite de One Million Years BC de Don Chaffey, en 1966, illustrant le sujet, vaut à elle seule le détour par ces pages. Un hors série qui fait aussi un peu l'histoire de la Préhistoire.

Il y avait Lascaux, il y a maintenant Chauvet. L'Europe occidentale, pour ce qui a été découvert au jour d'aujourd'hui de par le monde, concentre, certes, une grande partie des grottes ornées, dont Altamira, Lascaux, Chauvet ou Cosquer, sont les fleurons. Mais ne pas s'y tromper, l'art pariétal n'a pas été inventé en Ardèche, ni ne se réduit aux grottes ornées. Des milliers de sites préhistoriques éparpillés sur cette planète, à l'air libre ou non, existent en Afrique, en Asie ou en Amérique, et parfois bien plus anciens encore (gravures géométriques de Blombos en Afrique du Sud, datées de - 75 000).

« Il existe certainement d'autres épicentres de la naissance de l'image, en Asie du Sud-Est et en Océanie. Après l'émergence africaine, et avant le développement en Europe occidentale, il y a eu aussi des ferments cognitifs, techniques, psychologiques et sociaux qui ont permis l'apparition d'images », nous dit Jean-Michel Geneste, préhistorien, Directeur des recherches à Chauvet, un des nombreux contributeurs de ce numéro dont l'intérêt est de présenter aussi les principaux sites mondiaux, connus ou moins connus : vallée du Côa au Portugal, sites d'Algérie, du Niger, d'Inde, d'Australie etc., dans : « L'art pariétal présent sur tous les continents », par Jean Clottes, et dans : « A la recherche des Lascaux de Bornéo », par Jean Michel Chazine.

La grotte Chauvet, d'époque aurignacienne, découverte il y a vingt ans, fin 1994, par trois spéléologues, est le sujet central du numéro, paru à l'occasion de l'ouverture prochaine de la réplique : la Caverne du Pont-d'Arc. Numéro qui offre d'ailleurs la possibilité aux détenteurs de smartphone et de tablette d'explorer, avant l'heure, quelques salles de la grotte, en même temps qu'il retrace la genèse et les conditions de la création de son fac-similé. Mais d'une manière plus générale il s'agit, par la même occasion, de faire le point sur l'art paléolithique et sur plusieurs décennies de recherches et d'avancées dans ce domaine et dans ceux touchant à sa périphérie ; particulièrement celui des procédures de datation (par carbone 14, dendrochronologie, stratigraphie et thermoluminescence, ou chlore 36, qui sont commentées ici pour nous). Plusieurs entretiens ou articles, contributions de spécialistes, préhistorien, anthropologue, ethno-archéologue, géologue, et autres scientifiques, pour la plupart - car les méthodes de travail privilégient l'interdisciplinarité - mais aussi d'artistes : cinq écrivains et les six dessinateurs de « Rupestres » (Futuropolis), viennent illustrer ou enrichir le propos.

C'est sa beauté qui rend la grotte Chauvet exceptionnelle et les photos en témoignent. Belle, elle l'est à plusieurs titres selon les rares témoins oculaires, happy few, qui ont pu s'y glisser pour l'approcher : en tant qu'espace souterrain naturel tout à fait singulier, d'abord, avec ses concrétions et ses splendides cristaux de calcites et surtout, bien sûr, en raison des représentations animales conservées sur ses parois, depuis environ 36 000 ans, grâce à plusieurs effondrements d'une falaise, ayant définitivement obstrué l'entrée voici 20 000 ans et permis la conservation de l'ensemble, dans un état de fraîcheur remarquable. Ici, la triade félin- mammouth-rhinocéros s'impose silencieusement en ocre ou en carbone, dans une maîtrise du trait qui laisse pantois. Valérie Féruglio, préhistorienne et graphiste, montre parallèlement (« de la faune au bestiaire » p.34) comment les récurrences thématiques, inventoriées dans chaque grotte, peuvent fournir aujourd'hui des connaissances beaucoup plus vastes concernant le paysage, les écosystèmes et l'évolution des équilibres généraux à l'époque paléollithique.

Et c'est bien parce qu'elle est aussi belle que la grotte Chauvet chamboule tout. Patatras ! Lascaux était la référence. Mais Chauvet, pas moins de quatre-vingts datations - contestations obligent - viennent le confirmer, lui est bien antérieure. Quant à son « style », il contraint à revoir toutes les théories échafaudées depuis les années 1950, elles-mêmes héritées de la fin du XIXe siècle, du célèbre Abbé Breuil au non moins célèbre Leroy-Gourhan. le schéma d'évolution progressif de l'art pariétal tombe ainsi à l'eau, plouf ! mais bien plus : tous les référentiels sur l'évolution de la pensée et des capacités du cerveau avec. Et Voilà !

En France, les découvertes et les recherches se poursuivent bon train. En 2000 (de notre ère :-D), la grotte de Cussac (« L'énigmatique sanctuaire de la grotte de Cussac », Pedro Lima) au sud de la Dordogne a révélé des gravures animales aux formes monumentales et des ossements humains, attestant peut-être d'éventuels rites funéraires ; elle a été datée du gravettien moyen (-30 000) avec son bestiaire de bisons, de mammouths et de chevaux. La préservation absolue des sites et les méthodes d'études non invasives qui sont maintenant de rigueur, sont largement facilitées par les technologies numériques actuelles d'exploration, d'enregistrement ou d'analyse et laissent supposer que les attaques pathogènes subies précédemment à Lascaux (on apprend au passage que la grotte a retrouvé son équilibre intérieur), pourront être évitées à l'avenir ou du moins mieux maîtrisées.

Amis de l'ocre rouge, de la ligne charbonneuse, de la SF à l'envers, des aventures modernes en duplicata, précipitez-vous vers ces pages explicatives et saisissantes qui sont un avant goût notoire à la visite de la Caverne du Pont-d'Arc, si proche de son original, surface mise à part, que vous percevez, semble-t- il, les subtilités les plus infimes de ce « gouffre d'émotions ».
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