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Enora Saby (Autre)
EAN : 9782330165833
208 pages
Actes Sud Junior (07/09/2022)
4.27/5   152 notes
Résumé :
Déménager, c’est toujours dire adieu à une partie de son passé. Léon en a bien conscience, ce matin-là, alors qu’il attend le bateau qui l’emmène au collège. Bientôt, il va devoir quitter la petite île bretonne sur laquelle il a toujours vécu. Comment l’annoncer à Joachim, son meilleur ami, ou à Alex, la fille dont il est amoureux ? Mais tout ça n’a plus d’importance quand soudain une créature gigantesque et mystérieuse émerge de l’océan pour semer derrière elle la ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (81) Voir plus Ajouter une critique
4,27

sur 152 notes
« C'était le tout dernier moment avant la fin du monde tel qu'on le connaissait, également. Quelques minutes plus tard, "la ville dans laquelle j'avais grandi" deviendrait à tout jamais "le point d'Émergence 7".
Heureusement, ça, je l'ignorais encore. »

Vingt ans après le cataclysme de l'Émergence 7, Léon peut enfin retourner sur les lieux. Il y trouve le cimetière de sa jeunesse et des réminiscences traumatisantes, celles de cette journée qui a vu son enfance voler en éclats…

Que sont les Émergences et que dissimule l'État à leur sujet ? Qui a survécu parmi les protagonistes ? Notre curiosité est piquée mais in fine, les conditions de la catastrophe restent floues. Quant au sort des membres de la bande, nous avons trouvé qu'un peu trop d'indices étaient fournis dès le début (un peu comme dans L'île de Vincent Villeminot, que j'ai bien aimé par ailleurs).

L'essentiel est donc autre part. Les aller-retours entre le temps de la narration, les souvenirs du jour de l'Émergence, des années qui l'ont précédée et de celles qui l'ont suivie permettent de varier les rythmes et les perspectives sur la catastrophe, alternant récit de survie et méditation sur la fin de l'enfance, la fragilité des liens humains, les traumatismes des survivants. Léon décrit très bien les cauchemars, les images et les fantômes qui le hantent, sa colère et sa culpabilité. On navigue ainsi entre teen novel, thriller post-apocalyptique et drame.

Surtout : c'est un nouveau format au croisement du roman et de l'album qu'inventent Vincent Mondiot et Enora Saby, leur permettant de jouer sur les deux tableaux. L'ampleur du texte en surimpression sur des illustrations pleine page permet de développer une intrigue nourrie. Mais la narration est au moins autant portée par les illustrations que par les mots. Les trois premières double-pages sont d'ailleurs muettes, la représentation de l'île plongée dans une brume épaisse dont nous approchons en bateau se suffisant à elle-même. le texte n'arrive que progressivement et laisse souvent les images parler. Ces dernières recèlent des indices, comme sur le bureau de Nina, jonché de coupures de presse consacrées aux Émergences (extrait disponible via le lien ci-dessous). Elles portent le récit et stimulent notre imagination – comme dans un film d'horreur, les scènes de paniques sont souvent floues ou focalisées sur le visage ahuri des protagonistes, nous laissant imaginer ce qu'ils voient. C'est hyper réussi.

Haletant et très original, bien que très sombre. J'espère que ce titre fondera un genre à la croisée entre roman et album, nous adorerions retrouver ce format.
Lien : https://ileauxtresors.blog/2..
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Incontournable Décembre 2022

"Heurtée de pleins fouet" serait sans doute la première chose qui me vient en tête si je devais résumer mon état d'esprit après cette lecture. On ne s'y attend pas. En quelques phrases simples mais efficaces, cadrées sur des fonds graphiques habilement choisis, ce récit apocalyptique crée en peu de temps un univers carrément horrible, et il le fait bien mieux que nombre de pseudo dystopies pour ado que j'ai pu lire et qui n'arrivaient pas même un laps de temps beaucoup plus long à recréer la charge émotive, l'exactitude psychologique et le degré d'absurde violence que je retrouve ici. Comme quoi, je le réitère, il vaut mieux un récit authentique, simple et sobre que tout un tas de détails scabreux à la psychologie défaillante mollement accumulés les uns sur les autres, comme une pile de pâtes lasagnes molles et sans goût. Là où Émergence 7 frappe fort, c'est que vous pourriez glisser ce récit dans la tête de n'importe quel personnage en pleine guerre, ou en pleine folie meurtrière humaine ou catastrophe naturelle réelle, et ce serait crédible. Sérieux, woah!

Je compte bien divulgâcher allègrement, alors si vous n'êtes pas convaincus de le lire, laissez votre lecture de côté et plongez dans ce drôle d'hybride roman-roman graphique. Autrement, suivez moi.

Alors que Léon revient sur cette île ou sa vie a dramatiquement basculé, il y a 20 ans, nous observons à travers ses yeux ce qui est advenu, le jour ou la 7e émergence s'est manifestée. Léon attendait le ferry, avec les six adolescents qui habitaient l'île. Il a en tête son déménagement prochain, dont il se garde bien de mentionner aux autres. Comment leur dire? Mais bientôt, sorti de nul part, une entité titanesque émerge prêt de l'île. Ses pas écrasent tout sur son passage. Les sept ados sont alors confrontés à des scènes inimaginables, des douleurs aussi physiques que psychologiques et peut importe leurs décisions, le fait est qu'ils sont bien peu de choses face à ce monstre. S'il s'agit bien d'un monstre.

Il convient, dans un premier temps, de parler de l'objet en soi. C'est un roman, en atteste les paragraphes en prose qui sont employés. Néanmoins, on retrouve le roman graphique en raison des pages illustrées, parfois comme de simples arrières plans, parfois en double pages pleines sans texte. Un hybride donc, que j'espère se voir multiplier joyeusement. J'ai beaucoup de jeunes lecteurs qui apprécie la présence graphique et malheureusement pour eux, sont considérés comme des sous-lecteurs parce que ce sont des amateurs de BD et de mangas. le médium ne devrait jamais être blâmé, mais le contenu , alors là oui! Je m''inquiète mille fois moins pour mes amateurs de BD pertinentes à ces petites ados qui plongent dans les romans porno et qui risquent de se faire croire que le sexe toxique est la base des relations. Mais je m'égare. Je voulais juste préciser que j'aime ce nouveau genre hybride qui allie la présence de texte au graphisme, car ils deviennent ainsi le "No Man's Land" entre la littérature jeunesse et la littérature BD, idéal pour concilier ces deux merveilleux mondes.

Fait étonnant, le graphisme est décalé. Ce que je veux dire, c'est qu'avec leur jolie bouille mignonnes, leurs membres courts et leurs yeux en points, je trouve au graphisme des airs de "South Park", qui proposait des personnages "mignons", dans un univers trash. Un choix intéressant , je dirais, parce qu'avec ses couleurs, son style graphique rondelet sans contours et ses petits personnages, ça rend le tout moins lourd. J'observe que l'illustratrice a choisi un style qui me rappelle la peinture à la palette, en ce sens où les coups sont visibles, il n'y a pas de contours, ce sont les couleurs qui, placés l'une sur l'autre ou l'une contre l'autre qui crée le clair-obscur et les nuances. Les nuanciers sont homogènes, très légèrement agrémentés de plis, de traits ou de textures. C'est que accentue leur côté mignon, je trouve. Mais les personnages sont relativement simples ( attention, pas dans le sens "simplistes!", dans le sens "naïfs"), les décors eux, sont des amas de couleurs , aux formes plutôt flous. Ça leur donne de la douceur et ça rend les éléments perturbants, comme le sang, moins agressant visuellement. Je remarque que ce qui est remarquable avec ces illustrations, c'est de réussir à faire parler l'histoire juste en choisissant un angle, une perceptive ou même un élément de décor qui, placé avec le texte, révèle des éléments sur le récit.


Le graphisme est vraiment intelligent, il ajoute du contenu non spécifié dans le texte, arrive à exploiter en peu d'images l'essence de l'histoire, varie beaucoup dans sa forme, occupe parfois tout l'espace, d'autre fois à peine. Il fait écho au récit, mais d'autre fois, est légèrement décalé pour accentuer un aspect du récit ( comme la scène de l'oeil de Nina). J'aime également beaucoup les objets en apparence banal, mais qui ont tous leur pertinence.

Les chambres. Quelle idée astucieuse. Elles apparaissent toutes, pour les sept personnages adolescents. On en apprendra plus avec ces pièces qu'avec une panoplie d'adjectifs. Celle de Joachim m'a bien fait rire. Prêtez-y attention. Les chambres sont nos sanctuaires, elles révèlent beaucoup de nous, pas seulement pour leur contenu, mais aussi dans le traitement ce ce même contenu. le meilleur exemple est celui de la chambre du personnage d'Alex, car elle est n'est pas véridique, mais bien hypothétique. C'est Léon qui l'imagine et pour l'imaginer, il doit justement se fier à ce qu'il connait d'Alex, ses goûts, son tempérament et ses habitudes.

C'est donc des personnages qu'il sera question, en second temps. Intriguants. Ceux-ci sont bruts, attachants, réalistes et diversifiés. On leur découvre une complexité malgré la rapidité du récit. Ce sont des personnages de ce calibre là que je cherche toujours dans mes lectures, car j'estime que nos ados méritent de bons héros, pas de la bouillabaisse dépersonnalisée, stéréotypée et d'une affligeante stupidité ultra-normés.

Léon, notre héro, est du genre discret et un brin mélancolique. Une âme sensible et poète, aux accents existentiels. Un bon choix de narrateur vu sa nature introspective et son regard aigu. Il a des airs asiatiques, mais peut-être océanique aussi. Un amateur de bandes dessinés, d'histoires et de contemplations par la fenêtre ( oui, oui, je t'ai vu le faire dans ta chambre, Léon!). Léon est un garçon capable d'être réaliste aussi bien que créatif, mais semble déteste la confrontation, alors il garde souvent ses opinions pour lui. Il est amoureux d'Alex, mais avec les évènements, ce premier béguin devient plutôt un germe d'espoir et un élément stable auquel se raccrocher dans sa vie adulte.

Romane, merci d'être l'archétype physique de l'intellectuelle à lunette, mais d'être clairement pas cela, au final. Romane a un langage cru, un comportement rustre, voir rude, et elle a un attachement sincère envers Nina, dont elle est la gardienne. Ce n'est pas qu'elle n'aime personne, au contraire, son comportement envers Nina prouve qu'elle est capable d'être protectrice, c'est plutôt qu'elle le fait de manière fermée. Un peu comme ces vieux messieurs qui ont eu une éducation basé sur la punition et qui ont fermé toute manifestation d'émotions pour passer pour de vrais durs à cuire, mais qui ont des gestes qui laissent apercevoir leur sensibilité. Elle me fait penser à ces messieurs, mais comme c'est une jeune fille, quel originalité! Sa coiffure évoque Mini Mouse et elle porte du rose, avec des chaussettes à rayures montées jusqu'au mollet. Tout en elle me semble paradoxal, parce que ce sont des éléments très connus qu'on ne met pas ensemble d'ordinaire, et j'adore ça!

Joachim, le meilleur ami de Léon et petit frère de Romane est "affublé d'une tonne de TOC*, d'un vocabulaire bien trop étendu pour son intégrité physique dans la cour de récré, et d'une propension malheureuse à s'exprimer sur n'importe quel sujet, il a très vite agacé, sur cette île ou se cacher dans la foule n'est pas une option." le "Trouble obsessionnel-compulsif", qui entre dans les troubles anxieux, l'amène à garder un contrôle maniaque sur son environnement, spécialement sa chambre et à procéder à des rituels pour soulager son anxiété, comme se laver les mains 14 fois, compter, classer, lister, etc. Joachim est donc un personnage très anxieux, mais il a aussi une grande intellectualité. C'est un amateur de films et de Bd, un intérêt qu'il partage avec Léon. Tout comme Romane, il est d'ethnie noire. Puisqu'on parle de TOC, je me fais la réflexion que nos sociétés occidentales ont un TOC collectif: celui de faire rentrer les gens dans des cases ( pour ensuite leur reprocher de ne pas rentrer dans les bonnes cases). Dans cette veine, je remarque que Joachim n'entre pas dans la case "apparence de geek" typique, car il n'a ni lunettes, ni vêtements ringards/démodés.


Nina est la plus jeune du groupe, une petite blondinette toute mignonne friande de sports, en atteste les affiches de sportives qui tapissent les murs de sa chambre et tous ses articles de sports. C'est un personnage doux, mais qui démontre aussi une force de caractère remarquable. On apprendra qu'elle sera la représentante des survivants une fois adulte. Sa relation avec Romane est réellement attendrissante, elles pourraient tout aussi bien être des soeurs.

Priscille, que Nina aime bien taquiner en l'appelant "Priscilla", n'aura pas fait long feu dans cette histoire. Sa mort a d'ailleurs un aspect choquant: elle prend une photo, ils sont tous projettés dans l'eau, elle se noie. Bêtement. Aussi rapidement que ça. Parce que dans la vie, la mort n'a pas souvent le côté théâtral qu'on lui prête bien souvent, au contraire. Elle peut être abrupte et stupide. Priscille était ce genre de fille qui trippe sur les boys bands coréens, très guirly et pas franchement commode et un peu snob. Ça m'a semblé ironique de sa part d'oser critiquer l'oeuvre Bd de Léon et Joachim quand son genre de lecture, ce sont les Twilight ( en atteste le livre représenté sur sa commode), à mes yeux un des pires romans jeunesse. Quelque chose me laisse penser que Priscille était un peu la meneuse du groupe, celle qui décidait et proposait. Bref, Priscille n'aura pas été présente bien longtemps.

Elliott, visiblement très attaché à Priscille, m'a semblé être le personnage qui a "poussé croche", comme un plant de tomate sans tuteur. Pas très futé, impulsif, il provient d'un milieu qu'on pourrait qualifier de "peu favorable". Un père ivrogne, une maison qui n'en est pas vraiment une, des ressources matérielles limitées et une famille qui a une sale réputation, Elliott n'est pas parti avec de bonnes cartes en mains dans la vie, mais même s'il se comporte comme un imbécile, il semblait avoir un bon fond.

Enfin, Alex, l'ado qui fume, qui détonne et qui semble la plus solitaire du groupe. Enfant laissée à elle-même, fille de milieu très favorisé matériellement, Alex a pourtant une maturité que les autres personnages n'ont pas encore.

Ce petit groupe de 7 nous plongent en pleins chaos, aussi soudainement que certains évènements graves peuvent plonger les gens. Confrontés aux cadavres qui s'accumulent, à la destruction de leur ville et de leur maison, en perte totale de repères, ils sont en mode "survie". Ce qui est intéressant dans cette oeuvre est le travail autours de leur état mental. On l'oublie trop souvent dans les romans dystopiques ou post-apocalyptiques, le fait est que nous sommes aussi fragiles que résilients sur le plan mental. Nos comportements peuvent devenir incohérents, notre personnalité devient exacerbée ( plus de place pour la politesse, les convenances et façades ) et notre esprit se met à se donner mille et une raison de ne pas rester en place, d'aller de l'avant, pour ne surtout pas songer au fait que tout vient de changer, définitivement. Devant l'ampleur du phénomène Émergence , les ados nous le démontrent très bien. Ils se surprennent à faire des choses qu'ils ne se croyaient pas capables, dans le bon ou le mauvais sens. Devant la menace, il existe deux façon de réagir: se battre ou fuir. Mais quand la menace est partout autours de soit, difficile de faire l'un ou l'autre.

Il y a un aspect qu'il ne faut pas oublier et le récit nous fait tendre vers celui-ci : Dans la vraie vie, il n'existe pas forcément de "bon" et de "méchant". "Tess" ( pour "Sept" inversé), le "monstre", est une entité immense. Sa simple taille détruit tout, mais peut-on dire qu'elle cherchait vraiment à semer la destruction? Un peu comme si un chien écrasait des fourmis en courant partout. Cette créature a, en outre, employé la force quand ce qui ressemble à l'armée s'est mit à tirer sur elle. Oui, "elle". Les calamités ont le féminin facile. Peut-on alors songer qu'elle était en position de défense?

Il y a dans cette histoire une dimension spirituelle, en ce sens ou face à tant de destruction et de violence, on est en droit de se demander pourquoi on veut encore croire aux dieux. C'est ce que Léon finit par se demander. Un des grands paradoxes des religions, surtout la chrétienté ( parce que cette religion possède un Dieu supposément "magnanime"), est de faire croire aux gens que Dieu permet cette violence et tend même à la glorifier. "Dieu nous met à l'épreuve", ai-je souvent entendu. Qui a t-il de pire: penser qu'une entité nous soumet volontairement à la souffrance , incluant les enfants, pensant qu'il faut gagner son paradis à travers la violence pour en être dignes, ou bien de croire que des hommes ont pu imaginer un Dieu pour se préserver mentalement d'une violence qui viendra de toute façon? Une chose est sure, devant tant de souffrance, Léon est en droit de douter de ce concept.

Enfin, le traumatisme est un thème central. Il faut survivre à ses blessures, mais celles qui marquent l'esprit sont bien plus difficiles à traiter que les physiques. Tout est bousculé pour Léon et ses amis survivants: plus de famille, plus de maison, plus de communauté, des blessures graves pour certains, des questions graves sans réponses, des morts peut-être évitables, des visions qui les hanteront pour le reste de leurs jours, l'incapacité à les effacer ou les atténuer. Les traumatismes ne marquent pas les esprits faibles, ils marquent tout le monde. Aujourd'hui, on parle généralement de l'États de choc post-traumatique (ESPT) et le grand drame est le fait que peu de moyens sont réellement mis à la disposition des personnes qui en souffrent.

Aussi, et on le voit dans l'histoire, le déni et la minimisation des instances gouvernementales face à la catastrophe est une épine de plus dans le processus de guérison des survivants. Plutôt que de gommer la réalité avec de jolis mots mensongés et des commémorations plus ou moins sincères, une transparence et une réelle empathie auraient certainement fait moins de mal. Mais non. "Tess" incarnait la menace, une menace peut-être même connue des gouvernants, et elle fut abattue. Il se dégage de toute cette folie un goût amer de non-dits, de communication défaillante, de déresponsabilisation, et elles font plus mal encore que les évènements eux-mêmes. Certains trouveront la motivation de se battre contre cet état de flou, comme Nina, qui a peut-être trouvé ainsi sa façon de survivre aux évènements. Mais pour Léon, le combat était introspectif. Comment donner un sens à quelque chose qui en est dénué? Comment rationnaliser quand il n'y avait peut-être rien de très causal à tout ça? Deux mondes sont entrés en collision et il y a eu des morts. La réponse est peut être aussi moche et plate que ça. Et maintenant, comment y survit-on?

La vie est précaire. La violence n'a aucun sens et n'en aura jamais. Donc, que reste-il comme possibilité? Sombrer ou aller de l'avant. Fuir ou lutter. Certains trouveront leur chemin plus tard que d'autres, comme ce fut le cas pour Léon, qui avait besoin de "boucler la boucle" en allant sur l'île. Parfois, ce sont les tempérament ou l'expérience qui serviront de remparts, comme ce fut le cas pour Alex. D'autres fois, c'est la rage face à l'injustice qui donnera un souffle nouveau, une cause à défendre, une raison de vivre, comme pour Nina. D'autres ne semblent pas s'en remettre, comme Romane. La résilience est différente pour chacun et se manifestera de manière différente. Certains en auront presque naturellement et d'autres moins, dépendamment de facteurs aidants ou aggravants, du tempérament, de l'expérience et de bien d'autres éléments encore . Mais la résilience est l'une des grandes forces de l'humain, sa capacité à surmonter les obstacles et de s'adapter à sa nouvelle réalité.

Aussi, le processus de guérison est présent, bien que peu extrapolé. Il implique parfois d'accepter qu'on n'ailles pas toutes les réponses, comme ici. Il implique du temps, parfois beaucoup ( 20 ans pour Léon) et comme il s'agit d'un processus, les étapes peuvent fluctuer, ce n'est donc pas une ligne droite.

Par ailleurs, un enfant ou un ado traumatisé devient soudainement adulte et ne peut revenir en arrière. C'est un drame, parce que cela signifie que le développement sain de l'enfant ou de l'adolescent est compromis, peut-être de manière irrévocable. Léon nous en glisse un mot quand il parle de sa propre chambre, teintée de ses hobbies, de ses aspirations et dans laquelle il pouvait être parfaitement lui-même. Ce sanctuaire lui semble bien loin, tout comme cette époque insouciante ou il songeait à Alex, ses Bd et son déménagement. Depuis l'émergence, chaque jour est une lutte.

Enfin, je remarque un phénomène très universel: notre fâcheuse tendance amnésique. Heureusement que des gens se font les défenseurs de la mémoire collective, autrement, on se lasse et on se rabat sur les derniers trucs d'une inanité débilitante , histoire de ne pas trop se rappeler que certaines choses sont à travailler et que nous devons rester minimalement vigilants. Et après on se demande pourquoi on refait les mêmes conneries...
J'aime bien cette fin ouverte, quand Léon se promet d'aller de l'avant si Alex revient. Et elle revient. J'aime penser que les survivants ont quelque chose de précieux à partager, une sorte de compréhension mutuelle, une bienveillance empathique. Ce n'est pas pour rien que les groupes d'entraide existent: souvent ce sont les personnes qui ont vécu l'enjeu qui peuvent mieux le comprendre. L'empathie est la qualité humaine qui fait le plus grand bien et j'aime que cette qualité ait eu de la place dans ce récit.

Sur le plan du texte, j'ai trouvé le tout franc, poignant et pourtant assez accessible. Si la première partie est très axée sur l'action et la présentation des personnages, le dernier quart est plus axé sur la vie des personnages survivants, sur Léon surtout. Il se pose de bonnes questions, il relativise est s'affranchit progressivement de son fardeau - pas totalement, mais un peu.

Il y a donc une dimension philosophique et psychologique à travers cette histoire, très intéressants et surtout, très accessible. J'apprécie aussi que nous soyons dans la tête de Léon, personnage sensible et capable d'introspection, qui nous propose une certaine critique sociale par le fait même. J'ose croire que les lecteurs et lectrices qui s'aventureront dans ce récit y trouveront de quoi réfléchir et regarderons peut-être leur vie différemment par la suite. Peut-être. Je leur souhaite.

Pour les bibliothécaires et profs: certaine scènes sont choquantes: Nina perd un oeil, Joachim se fait exploser une partie de la tête et ont voit des traces de sang dans quelques scènes. Ce n'est pas le degré de détail des mangas seinen, cependant, car le graphisme atténue le tout. Il y a également la présence de gros mots tels que "Vos gueules". "connasse", "con", ce genre de mots.

Pour un lectorat du second cycle secondaire, 15-17 ans+
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En voyant la couverture, j'ai cru que ce livre était une BD bien qu'édité par Acte Sud Junior et c'est en fait un vrai roman illustré bien que le terme illustré ne soit pas tout à fait adéquat ! Chaque page est illustrée, le roman est en surimpression et ces illustrations renforcent le récit !

Plusieurs nuances de couleurs sont utilisées pour différencier les périodes : l'époque de l'Emergence et des drames ; les souvenirs d'avant la catastrophe et la période actuelle qui est le retour commémoratif sur l'île. Ses couleurs spécifiques facilitent l'immersion dans l'ambiance et j'ai trouvé ça excellent car le cerveau s'y coule aisément sans ressentir la nécessité de réfléchir et donc de sortir du récit !

De prime abord les dessins m'ont semblés grossiers et enfantins, voire un peu flous mais au fur et à mesure je me suis rendu compte que c'était très bien car ainsi ils ne prennent pas le pas sur le texte et la lecture est plus fluide et plus immersive. Nous sommes au coeur des événements et dans la tête du narrateur !

C'est une première pour moi que ce genre de roman “graphique” ! Ne pas se méprendre malgré son aspect enfantin, les événements sont violents et entrainent beaucoup de drames et de peines qui ne sont pas masqués !

Pour résumer j'ai beaucoup aimé l'ensemble ! L'histoire de ces jeunes iliens entre conflits et amitié puis leur vie qui tourne au drame en leur ôtant leur jeunesse et leur espoir ! le côté fantastique est plutôt bien vu, il permet de ne pas s'appesantir sur le pourquoi de la catastrophe en laissant le roman se centrer sur les ados et leurs réactions face à la terreur, la mort, l'éloignement !

#Emergence7 #NetGalleyFrance #rentreelitteraire2022

Challenge Jeux en Foli...ttérature XII
Challenge Multi-Défis 2022

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Léon Lascan revient vingt ans plus tard sur l'île sur laquelle il a grandi en Bretagne dans un petit village de trois cents habitants. Ce matin-là, il attendait le bateau pour partir au collège avec son ami, Joachim Traoré, la grande soeur de celui-ci, Romane et leurs camarades, Nina Delage mais aussi Elliott et Priscille et enfin Alex dont Léon était amoureux. Un monstre est venu tout balayer sur son passage, l'île mais aussi la vie de tous ces personnages…


“Né en 1984, Vincent Mondiot vit en région parisienne. Adolescent, il découvre le punk-rock, dans lequel il se plonge avec une grande passion. C'est elle qui le mène, au début des années 2000, à s'investir dans le fanzinat, façon d'assouvir une autre passion : l'écriture. Une passion peut-être pas étrangère au fait qu'il travaille actuellement comme professeur de français langue étrangère” (source : éditions Sarbacane) le jour et réceptionniste la nuit, notamment pour enrichir sa collection de disques de punk-rock.

En 2005, il est lauréat du prix du Jeune écrivain français, grâce à une nouvelle publiée par le Mercure de France. Il a publié huit titres, Teliam Vore en 2011, Tifenn 1-punk 0 en 2013, Nightwork - mention du jury du prix Vendredi 2018 - en 2017, Les mondes-miroirs en 2018, Rattrapage en 2019, L'ombre des arches en 2019, Les derniers des branleurs en 2020 qui lui apporte la consécration de son travail d'écriture avec le prix Vendredi 2020. Il tient un blog Survivre la nuit.


Vincent Mondiot présente ce nouveau titre comme “[s]on roman le plus brutal et explicite dans sa violence”. “Émergence 7, surtout, c'est l'histoire de Léon, Joachim, Romane, Nina, Alex, Elliott et Priscille. C'est l'histoire de sept ados et de l'île bretonne sur laquelle ils vivent. C'est l'histoire d'un monstre géant qui apparaît soudain et qui, en quelques minutes, change tout à ce qu'ils pouvaient espérer de demain.
C'est une histoire qui parle de la mémoire et de ce qu'on décide d'en faire. Des souvenirs et des couleurs avec lesquelles on les repeint. C'est une histoire de colère, de regrets, de dépression, de perte. D'espoir, aussi, peut-être. C'est une histoire qui parle (...) du monde dans lequel on vit actuellement, et de ce à quoi commence à ressembler notre horizon.”


Vincent Mondiot propose tout d'abord avec l'illustratrice Enora Saby un magnifique objet, un roman illustré pleine page avec de grands tableaux aux couleurs contrastées des ciels bleu-gris du matin en Bretagne aux profondeurs vertes de la mer puis les décors de la catastrophe en nuances de noir, des incendies et des explosions en nuances de jaune et d'orange. Les portraits sont absolument saisissants dans le flou des traits du dessin rehaussé par les touches de peinture. L'illustration est complémentaire du texte, Enora Saby ajoute mille et un détails à découvrir, à observer et à mettre en relation avec le texte.

Vincent Mondiot nous plonge dans un roman d'horreur brut avec le récit d'un cataclysme sur un petite île bretonne quand un monstre ravage le village laissant derrière lui des morts et des ruines. L'écriture est quasiment cinématographique et rappelle dans certains passages le travail de Guillaume Guéraud dans l'écriture de l'horreur. Vincent Mondiot ajoute une part de mystère puisque le monstre n'est pas identifié et peut être compris de multiples manières - une métaphore de la guerre ou d'une catastrophe environnementale - et il prolonge cette description horrifique par une réflexion sur le traumatisme et ses séquelles sur la vie des individus. le héros narrateur est à la fois un homme qui se souvient et a vécu depuis vingt ans un syndrome dépressif post-traumatique et le petit garçon du jour de la catastrophe qui voit son village ravagé, ses amis morts ou mutilés et ses rêves anéantis.
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Si de prime abord, les couleurs m'ont plus attiré que les illustrations elles-mêmes, force est de constater que cette simplification des dessins permet de laisser une place importante à l'imagination. En effet, Émergence 7 est un roman illustré où toutes les pages sont couvertes d'illusions sur lesquelles viennent se poser les mots. Et cette absence de mise en avant des images nous offre une ambiance où nous sommes libres d'y apporter le fruit de notre imagination.
Dans ce roman rythmé comme un slasher, nous nous laisserons compter par Léon, un trentenaire de retour sur l'île qui l'a vu grandir les événements qui vingt années plus tôt auront mît brutalement fin à son adolescence.
Plus que les événements mêmes, ce récit à la première personne dans lequel les dialogues ont une place importante, s'attarde plus sur les relations entre le groupe de sept ados ainsi que leurs réactions face à la catastrophe qui se produit.
Une très belle expérience de lecture pour les jeunes lecteurs de 14 à 99 ans. Attention aux plus jeunes, la mort ainsi qu'une part de violence sont très présentes.
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critiques presse (1)
Syfantasy
02 mars 2023
Émergence 7 est un de ces romans jeunesse que l’on lit par mégarde sans savoir qu’il nous suivra toute notre vie. C’est aussi l'un de ces romans jeunesses que l’on peut lire à tout âge, car il parle des enfants que nous étions aux (presque) adultes que nous sommes
Lire la critique sur le site : Syfantasy
Citations et extraits (23) Voir plus Ajouter une citation
Comme le matin de ce jour-là, sur le quai, seul, j'attends.
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Premières lignes…

Vingt ans que je n’ai plus mis les pieds sur l’île où j’ai grandi. Pour ma défense, nos adieux, à elle et moi, ne se sont pas faits de la plus paisible des façons. Vingt ans de souvenirs ressassés, de visages oubliés, de paysages déformés par le temps.

Vingt ans de cauchemars récurrents, également.

Et ce matin, elle est là, face à moi, émergeant progressivement de la brume dans laquelle s’enfonce le bateau affrété par le gouvernement. Dans moins de dix minutes, nous accosterons, quelques autres passagers et moi. Ainsi, évidemment, que la trentaine de soldats qui nous accompagnent. Pardon, pas des “soldats”. Des “agents de protection”. L’armée a été très claire sur cette terminologie. Ils sont là pour s’assurer que tout se passe bien, rien de plus. Et les armes automatiques qu’ils tiennent ne changent rien à l’affaire, n’est-ce pas ? En tant que survivants, nous avons le droit de visiter le mémorial avant son ouverture publique. Un privilège que j’ai décidé d’honorer après, oh, à peine deux mois d’hésitation. Là, tout de suite, je me dis que j’aurais peut-être dû hésiter encore quelques années de plus… Qu’est-ce que je fous ici, bordel ? J’ai discuté avec Romane, hier. Cinq minutes de conversation téléphonique. Un record. Je lui ai demandé si elle venait. Réponse : “Non.” Ou plus précisément : “Non. Qu’ils aillent se faire foutre.” Romane est devenue assez vulgaire, ces derniers temps. Je crois que je la comprends. Nina, elle, a eu droit à une visite en avant-avant-première, la semaine dernière. Il faut croire que ça paie, d’être présidente de l’Association des survivants de l’Émergence 7.

Alors que le bateau se rapproche, je sens mon cœur qui bat de plus en plus fort. Je ne sais pas ce que je ressens. Je sais juste que j’aurais aimé que les autres soient là avec moi. Mais, eh bien, les autres, ils ne sont pas là. Plus là. Ni sur ce bateau ni nulle part. “Les autres”, ils ne font pas partie des survivants de l’Émergence 7. “Les autres”, ils sont restés, comme mes cauchemars, coincés dans cette journée-là. Le bateau arrive. Plus que quelques secondes avant de revivre tout ça. Je ne suis pas prêt. Mais je crois bien que je ne le serai jamais.

Alors je referme mon ciré, je mets ma capuche et, les mains serrées en poings dans mes poches, j’attends que les soldats baissent la passerelle, entouré des autres visiteurs. Personne ne parle. De toute façon, il n’y a rien à dire. Face à moi, c’est juste l’île où j’ai grandi. L’île où, ce jour-là, j’ai perdu mes amis. Ma famille. Mes espoirs. L’île où tout s’est terminé. La passerelle tape contre le béton du quai. À part l’humidité de l’air, je n’ai rien oublié. Vingt ans plus tard, je suis enfin de retour à la maison. Nous commençons à débarquer, à l’endroit exact où tout a commencé.
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Nous vous confirmons donc, grâce aux informations fournies par nos sources, qu’outre l’armement très spécifique utilisé ce jour-là par les différentes armées nationales, les enregistrements administratifs des bases scientifiques de l’ONU, sur la période ayant précédé le drame, révèlent que… (suite de l’article disponible pour les abonnés)
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Au moment de mourir, le temps s'allonge, oui.
Ce qui n'a duré que quelques secondes m'a paru s'étirer sur plusieurs heures. Mais je n'ai pas revu mon existence; je me suis contenté, plutôt, de sentir mon cœur s'affoler. Ma gorge se serrer. Mes poumons se remplir d'eau de mer tandis que mon visage, mes yeux, mes narines me donnaient l'impression de gonfler à en exploser. Mon visage rentrait dans mon crâne, mon corps se retournait sur lui-même.
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C’était le tout dernier moment avant la fin du monde tel qu’on le connaissait, également. Quelques minutes plus tard, « la ville dans laquelle j’avais grandi » deviendrait à tout jamais « le point d’Émergence 7 ».
Heureusement, ça, je l’ignorais encore.
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