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Critique de motspourmots


"On pourrait raconter ta vie d'adulte, amoureuse comme professionnelle, par tes retraits, effacements, défections, seconds rôles, planques derrière les arbres, choix par défaut qu'ensuite tu ne cherches plus à remettre en cause, démission de l'intuition, miroir aux alouettes des images flatteuses. Oui, sans doute que s'il y avait une continuité à dessiner dans ta vie éclatée, faite de réalisations avortées, de désirs insuffisamment désirants, elle serait à chercher de ce côté. N'en as-tu pas assez ?"

Je vous le dis tout de suite, cette lecture fut pour moi au-delà du coup de coeur. J'ai rarement eu cette impression de faire corps avec un texte, de le sentir résonner en moi à chaque ligne. Alors que j'étais en pleine sélection des premiers romans pour les 68 premières fois, que j'enchainais des lectures à un rythme assez élevé voici que je me surprenais à savourer chaque mot, à ralentir, à m'arrêter pour relire des paragraphes, à retenir au maximum le moment présent sans avoir nullement envie d'arriver à la fin. Ce livre est sans aucun doute arrivé à point nommé dans ma vie. C'est ce qu'on appelle une rencontre.

Car l'histoire de Bérénice parlera forcément à de nombreuses femmes. L'histoire d'une trentenaire qui affiche toutes les apparences d'une vie réussie : un mari tendre et attentionné, architecte à la carrière ascendante, un bébé tout neuf, un job de cadre dans une agence de communication. le jeune couple tendance bobo dans toute sa splendeur. Pourtant, un événement va lézarder la façade. Au retour de son congé maternité, les attributions de Bérénice sont revues, certaines tâches lui sont retirées. Rien de grave se dit-elle... Avec la crise, c'est normal... Même si Clara, son amie et adjointe à la DRH tente de la réveiller et de la rappeler aux réalités du monde de l'entreprise "il y a des postes, mais surtout des rôles et elle a le sentiment que tu n'as pas choisi le tien, que tu te planques au fond de ton fauteuil de spectatrice". Bérénice a du mal à réagir, habituée à rester en retrait, à adopter les postures et les avis conseillés, à ne pas faire d'ombre à qui que ce soit.

"Tu es à toi-même un gouffre. L'exercice depuis longtemps consiste à maintenir vis-à-vis de ce gouffre une distance salubre. Tirer des bords, trouver des biais. Clara a raison, au fond tu as envie qu'on te laisse tranquille, qu'on ne vienne surtout pas gratter pour savoir ce que tu as dans le ventre car dans le ventre comme dans la tête, tu en es persuadée, tu n'as rien."

L'auteure met en lumière avec une extrême finesse le décalage entre les personnalités dont le moteur est la pudeur et la discrétion dans un monde où tout passe par l'image et la façon de se mettre en scène. Quand le "personnal branding" est le maître mot qui conditionne la réussite, quand le paraître supplante les compétences, comment trouver les armes pour se battre ? Rien d'étonnant à ce que l'entreprise soit le déclencheur du choc pour Bérénice, car c'est elle qui détermine souvent notre rôle dans la société. le lieu où la pression est la plus forte et où l'on est vite balayé si l'on refuse de jouer le jeu (enfin, le jeu... je me comprends). On ajoute à cela des décennies de conditionnement des femmes afin de les cantonner aux seconds rôles et l'on a une idée assez précise des digues à faire sauter pour qu'elles se sentent aussi compétentes, confiantes et légitimes que les hommes.

L'idée du parallèle avec la Belle au Bois Dormant est formidable, et le rythme de la narration, au gré des phases d'apprentissage notées dans le carnet d'éveil du petit Pierre renforce encore cette quête de sens, ce chemin au cours duquel Bérénice Barbaret Duchamp devra se réconcilier avec elle-même.

"Il y a ce conte qu'on connaît tous. Après son évanouissement, les proches de BBD organisent les conditions de son retrait du monde (...). Son sommeil se révèle ainsi indolore, il ne s'est rien passé, il ne se passe rien. Son sommeil, le tien, le nôtre. Nous qui laissons la vie nous traverser, ne nous y sentant pas aux commandes, abandonnant ces commandes à d'autres, nous, rétifs à l'action, tentés par les marges, nous absentant du moment avec une facilité inouïe. Nous les invisibles."

Je l'ai déjà relu deux fois, il va rejoindre l'étagère de mes essentiels et m'accompagner pendant un bon moment je sens. Sa finesse, sa délicatesse, sa justesse m'ont touchée au coeur et permis à son propos de faire son chemin. Celui qui conduit à l'éveil.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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