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Critique de absolu


C'est une femme, dans les yeux de laquelle il y eut, au tout début, " 2000 ans de compassion pour l'homme, une éternité d'amour pour [lui]" ; et, quelques années plus tard : " 2000 ans de haine pour l'homme, une éternité de dégoût pour [lui] ". C'est lui qui le dit : au début "si son regard s'était prolongé, je serais mort d'amour sur un trottoir" ; maintenant, "si son regard s'était prolongé, je serais mort par noyade dans un bidet".

Ce livre, c'est un peu le Misery de Stephen King, empreint d'un peu de la verve de Palahniuk, écrit par une jeune femme qui se met dans la peau d'un homme humilié, séquestré dans sa propre maison, aux mains d'une femme, sa femme, qui semble enfler, année après année, du mal qu'elle aime à lui infliger. Et le pire, c'est qu'il ne sait pas pourquoi. Il ne sait pas ce qui l'a conduite à le laisser croupir dans cette pièce, les pieds cassés, obligé de ramper dans sa propre crasse, de chier dans une boîte et la vider quand l'occasion se présente. Et encore, je reste polie. La raison au bord du suicide, la folie au garde-à-vous, il lui est difficile de faire taire ses amis imaginaires avec qui il dispute quelques parties d'échecs. Ses seuls repères temporels sont les hurlements à heure fixe d'un voisin sur ses gosses, et la sonnerie de l'école, pas loin. Assez ironique, quand on sait qu'il a la phobie des petits êtres, de ceux qui font moins d'un mètre cinquante. Si si ! Comble de cette infâmie, les voisins de l'immeuble sont tous sourds, à le faire hurler de rire.



Pour survivre, il développe des compétences hors du commun et un humour à toute épreuve. Ainsi, lui qui peut se contenter de restes de moutarde et de trois miettes de poulet pendant trois jours, ne savoure même pas la douleur de sa femme gastro-entérinée : " Quel gâchis ! Avec les vitamines, minéraux, oligo-éléments, glucides, lipides, protides qu'elle vient d'envoyer dans le gros intestin de l'immeuble, on aurait pu remettre sur pied la population d'un petit Etat d'Afrique Noire. On aurait pu me remettre sur pied." Il devient imbattable en anatomie : " Supporterez-vous la vue de ce qu'en définitive vous êtes ? Un labyrinthe de tissus suintants, de cavités vibrantes, d'artères palpitantes. Elles respirents vos chairs rouges tout contre le blanc de votre squelette." Obsédé également par le regard, son regard, le regard de celle qu'il a eu, celle qu'il n'a plus : " Vous ne pouvez pas savoir ce que c'est. C'est bleu, c'est dur, c'est froid comme le marbre d'une pierre tombale et terrifiant comme ce qu'il peut y avoir dessous." Un bleu qui était au début enivrant, liquéfiant. C'est sa chair à elle maintenant qui se liquéfie.

Une écriture râpeuse comme la peau contre ses os, contre la moquette de sa "prison". Froide comme les poignées des meubles auxquelles il tente de s'accrocher pour grapiller quelques vieux restes de nourriture, comme le sol sur lequel il s'effondre, après chaque tentative d'alimentation. Une écriture millimétrée comme le peu d'espace qui sépare sa raison de la folie. "On n'est jamais soi-même que lorsqu'on est foutu. On n'est jamais soi-même que lorsqu'on est déjà mort." "Ce qui importe, c'est que j'allais connaître un génocide, intérieur. Tout un tas de petits décès, d'un seul coup, la mort instantanée de centaines de certitudes, massacrées en une seconde, disparues à jamais, sacrifiées sur l'autel de l'inimaginable."

On sent le travail d'écriture, mais la technicité est propre. Pour son premier roman, Max Monnehay s'en sort vraiment bien. Chaque mot est à sa place, chaque phrase fait mouche, la mécanique est en marche. J'attends le suivant avec impatience.
Lien : http://www.listesratures.fr/..
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