Les carnets de Théodore Monod

Il est si facile, voire si agréable de se laisser engluer par la médiocrité générale, les mille petitesses de la vie quotidienne et ce qu'il faut bien nommer le démon de la matière.
Et pourtant, qui n'avance pas recule, qui ne monte pas descend. Il faut grandir, ne fût-ce que pour faire grandir nos enfants, car comment oser leur présenter un idéal que nous-mêmes consentirions à trahir, leur enseigner une pureté que nous ne saurions nous-mêmes pratiquer, une foi que nous ne partagerions pas ? Grandir, donc, pour eux.

L'homme est fait pour comprendre l'Univers dans lequel il vit. C'est là sa noblesse, sa grandeur. Voilà où le mot "mystère" peut se justifier. Nous sommes entourés de mystère. La vie est un mystère considérable... J'ai beaucoup de peine à imaginer que le hasard, à lui seul, puisse suffire à expliquer le monde.

Mais je suis d'une autre race ; celle des douteux, de celle qui préfère la lutte et la défaite à l'édredon d'un optimisme satisfait.

Quelle loterie que le mariage ! Quel triomphe de la chance et du hasard ! Quelle aubaine, parfois, mais souvent quel drame ! Réduire la part du hasard, oui, l'annihiler : impossible. Nous ne connaissons jamais d'une femme, avant le mariage biologique, qu'une certaine proportion de ce qui fait sa personnalité morale ou intellectuelle et sa personne physique. Quelle tragédie si l'accord spirituel allait se compliquer d'incompatibilités physiologiques, organiques ! Oh ! que ces jeux sont dangereux ! [...]
Et revoilà l'antithèse : on n'épouse pas qu'un visage, certes, mais on n'épouse pas non plus qu'un cerveau. Alors, quelle improbable coïncidence faudrait-il pour réunir les deux, le visage qui plaît et le cœur qui attire ! On n'épouse pas une femme pour la seule raison d'une communion d’idées ou de sentiments. [...] nous ne sommes ni tout corps ni tout esprit : et voilà précisément le drame.

Nous avons tant besoin de raccrocher nos attitudes à quelque chose de stable, que nous ferons dire aux idées, voire aux textes, ce que nous désirons qu'ils nous disent ! Et jetterons un voile pudique sur ce qui nous gêne.

Il est certain que mes opinions me nuiront, mais j'en suis heureux et fier : seuls les renards ont des tanières. [...] Si on est en règle avec sa conscience, le reste n'est que misère et ce n'est pas l'intérêt qui me fera dévier d'une ligne de la voie que je me suis tracée. Je sais que, dans plusieurs circonstances, mes convictions seront, pour moi, une entrave : ce me sera une occasion de plus pour les formuler.

Il n'y a pas de plus beau pays que l'Europe, peut-être même, que la France. Il y en a de plus austères, de plus grandioses, de plus écrasants, il n'y en a pas de mieux taillés à la mesure de nos cœurs d'hommes civilisés.