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EAN : SIE280022_227
(30/11/-1)
4.07/5   7 notes
Résumé :
Os de seiche (Ossi di Seppia) est le premier recueil de poèmes de Eugenio Montale paru en 1925.
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
J'ai cinq ans, je suis sur une plage de Méditerranée pendant les vacances d'été. Assise sur une serviette, qui n'est pas la mienne. Je sais que ce n'est pas la mienne car elle est propre et parfaitement étendue, alors que la mienne est couverte de sable.
Je mâchonne un bichoco, lui aussi à moitié couvert de sable, mais le goût du biscuit chocolaté est divin mélangé au sel de la mer qui imprègne mes lèvres. Il fait encore très chaud, mais je viens de me baigner, des gouttes d'eau sèchent sur ma peau, salée elle aussi.
Papa essaye de me mettre de la crème solaire, je râle. Maman essaye de me faire asseoir sur ma propre serviette, je râle encore. Mon frère se moque de moi, mes cheveux sont trop blonds et ma peau trop bronzée, il dit que je ressemble à un cornetto vanille/chocolat. Je râle – pour le principe, mais en vrai, je ne vois pas où est le problème, nous raffolons des cornettos.
Mes pieds sont panés de sable et je tortille mes orteils d'alégresse, j'aime plus que tout l'heure du goûter, ce moment de calme au soleil, les cheveux trempés, le bichoco qui fond entre mes doigts. Mes pieds s'enfoncent dans le sable, je creuse, je les enfouis, puis jette d'un petit mouvement des jambes une pelletée de sable devant moi. Un objet curieux émerge. Léger, oblong, blanc, comme un tout petit flotteur de planche à voile. Je le ramasse, maman rouspète car le reste de mon bichoco est tombé dans le sable, je contemple le petit flotteur.
« Oh tu as trouvé un os de seiche ! » me dit maman. Je tiens l'objet devant moi, je répète « Un os de seiche… », je ne fais le lien ni avec la notion d'os, ni avec la seiche, mais j'assimile le fait que « C'est comme ça que ça s'appelle. »
« On pourra le ramener à Tatie Suzette, pour ses poules, elles adorent ça ! »
Je fronce les sourcils, essayant de faire le lien entre les poules et l'objet que je tiens entre mes doigts collants. C'est tellement curieux, comme un flotteur, il ne manque qu'une petite voile triangulaire et un wishbone. Je frotte mes mains sur l'os de seiche, je sens la texture râpeuse sous mes doigts, je regarde les nuances crème de cet objet, la forme d'endive… un os de seiche, simple, rugueux, chaud comme le sable dans lequel il était enfoui, léger comme une plume d'oiseau, les mêmes oiseaux qui paraît-il, raffolent des os de seiche – je viens de l'apprendre, mais c'est acquis pour toujours.
« Il doit y en avoir d'autres, on ira en chercher si tu veux », me dit papa, il adore m'emmener en exploration sur la plage et dans les rochers.
Je ne sais pas ce qu'est une seiche, je ne réalise pas que pour que cet os se trouve là, il a fallu que la seiche meure, je ne sais même pas vraiment ce que c'est que la mort, je ne réalise pas que je suis en train de caresser entre mes mains un bout de cartilage d'une créature qui nageait gaiement dans les eaux transparentes corses avant moi…
Je ne comprends pas vraiment ce qu'est un os de seiche, je sais juste que c'est rugueux et léger, que ça a la forme d'une endive et que c'est tellement curieux de trouver une endive sous mes pieds, sur cette plage aride de la côte Corse… mais à cinq ans, on se pose assez peu de questions, seule compte la valeur du trésor, destiné à enrichir mon cabinet de curiosités estivales.
Je ne sais pas ce qu'est une seiche, je ne connais pas le cartilage, je ne comprends pas encore la vie et la mort, je sais juste que ce que je tiens devant mes yeux éblouis, ce n'est ni un flotteur, ni une endive – et que mon frère, lui, n'en a pas, ce qui confère à l'os de seiche une valeur inestimable.
« Oui, on pourra aller en chercher encore ? »
Papa sourit.
Je retourne vers la serviette (celle qui est propre et sèche), je prends un nouveau bichoco, maman rouspète parce que j'ai mis du sable de partout, je m'assois tout de même contre elle, entre ses bras et finis mon goûter en contemplant les vagues, les pieds panés de sable, la main posée précautionneusement autour de mon nouveau trésor, un os de seiche.
On m'appelle. La voix de mon prof d'italien.
J'ai dix-huit ans, le bac est dans quelques semaines, je suis en cours de littérature italienne, nous avons du retard sur le programme.
Le prof doit répéter sa question, que je n'ai pas entendue, perdue dans mes pensées. Devant moi, le livre de littérature est ouvert à la page d'Eugenio Montale. Nous avons du retard sur le programme oui, nous abordons aujourd'hui seulement l'univers solaire de la poésie de Montale.
Devant moi, sur les pages du livre de littérature italienne, une photo de Montale, cheveux blancs et joues rondes, et à côté, un os de seiche. Ossi di seppia, c'est comme ça que s'appelle son recueil, celui que nous devons étudier pour le bac. Des syllabes tordues et sèches (selon les propres mots de Montale), une poésie rugueuse et aride, épurée et essentielle, aussi essentielle qu'un objet déterré par mes pieds à l'heure du goûter.
J'ignore encore que ce recueil, comme le petit flotteur trouvé il y a treize ans sur une plage corse, aura lui aussi des allures de trésor dans ma bibliothèque, j'ignore encore que je vais adorer la poésie d'Eugenio Montale. Et après tout, c'est précisément ça, Os de Seiche, ne pas pouvoir expliquer ce qui est, et savoir uniquement ce que nous ne sommes pas. Pressentir la valeur des choses sans en comprendre toute l'essence. Conserver précieusement un petit flotteur rugueux dont on ignore pourtant ce qu'il est.
Mon prof répète sa question, il dit quelque chose sur le fait que je suis dans la lune, la classe rigole, le prof sourit, il enchaine, nous avons du retard sur le programme, le bac approche…
Je ne suis pas dans la lune, je suis au soleil, mes pieds sont panés de sable et je pressens déjà que je ne pourrai jamais expliquer à l'examinateur, le jour du bac, que pour moi, la poésie de Montale a le goût divin d'un bichoco au sel de mer, un goût d'éternité.
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
COR ANGLAIS



Le vent qui ce soir joue attentif
— il rappelle un fracas de tôle —
sur l’instrument des arbres touffus et balaie
l’horizon de cuivre
où des raies de lumière s’étirent
comme des cerfs-volants au ciel qui résonne
(Nuées en voyage, clairs
royaumes d’en haut ! D’Eldorados perchés
portes mal fermées !)
et la mer qui, écaille par écaille,
livide, change de couleur,
lance à terre une trombe
de volutes écumeuses ;
le vent qui naît et meurt
dans l’heure qui descend noire
puisse-t-il aussi te jouer ce soir,
instrument désaccordé,
cœur.


CORNO INGLESE



Il vento che stasera suona attento
— ricorda un forte scotere di lame —
gli strumenti dei fitti alberi e spazza
l’orizzonte di rame
dove strisce di luce si protendono
come aquiloni al cielo che rimbomba
(Nuvole in viaggio, chiari
reami di lassù! D’alti Eldoradi
malchiuse porte!)
e il mare che scaglia a scaglia,
livido, muta colore
lancia a terra una tromba
di schiume intorte;
il vento che nasce e muore
nell’ora che lenta s’annera
suonasse te pure stasera
scordato strumento,
cuore.
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S'assoupir, pâle et recueilli…



S'assoupir, pâle et recueilli,
auprès d'un brûlant mur d'enclos,
écouter parmi les ronces et les broussailles
envols claquants de merles, bruissements de serpents.

Dans les craquelures du sol ou sur le vesceron
épier les files de fourmis rousses
qui se brisent tantôt et tantôt s'entrelacent
au sommet de minuscules meules.

Observer dans les feuillages la palpitation
lointaine des écailles de mer
tandis que des pics chauves s'élèvent
de tremblants grésillements de cigales.

Et, marchant au soleil qui aveugle,
sentir, triste merveille,
combien sont toute la vie et ses peines
dans ce cheminement le long d'une muraille


qui porte tout en haut des tessons de bouteille.


/ traduit de l'italien par Patrice Angelini
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FALAISE



extrait 1

Un son de buccins monte
du versant qui s'éboule,
il descend vers la mer
qui frissonne et pour l'accueillir s'ouvre.
Dans la gorge éventée s'enfonce
avec les ombres la parole
que dissout la terre sur les récifs ;
le monde perd la mémoire et peut renaître.
Avec les barques de l'aube
déploie la lumière ses grandes voiles
et trouve place dans le cœur l'espérance.
Mais le matin s'en est allé,
la clarté fuit et se rassemble
sur les hauteurs et les feuillages,
tout est plus ramassé, plus proche,
comme vu au travers d'un chas ;
désormais la fin est certaine
et si même le vent se tait
on entend la lime qui scie
assidûment la chaîne qui nous lie.



/ traduit de l'italien par Patrice Angelini
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E andando nel sole che abbaglia
sentire con triste meraviglia
com’è tutta la vita e il suo travaglio
in questo seguitare una muraglia
che ha in cima cocci aguzzi di bottiglia.

Et, marchant au soleil qui aveugle,
sentir, triste merveille,
combien sont toute la vie et ses peines
dans ce cheminement le long d'une muraille
qui porte tout en haut des tessons de bouteille.
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FALAISE



extrait 2

Comme un éboulis musical
s'éloigne le son, il dévale.
Avec lui se dispersent les voix
réunies aux volutes
arides des crevasses ;
le gémissement des pentes,
entre les vignes que l'entrelacs
des racines enserre.
La falaise n'a plus de sentes,
les mains s'agrippent aux branches
des pins nains ; puis tremble
et décroît la lueur du jour ;
un ordre descend qui dégage
de leurs limites
les choses qui ne demandent
qu'à durer désormais, à persister,
avec tout leur content de labeurs infini ;
un écroulement de pierraille qui du ciel
s'abîme sur les rives…

Dans le soir qui s'étend à peine, arrive
un hurlement de cor, il se disloque.


/ traduit de l'italien par Patrice Angelini
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