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EAN : 9782918682387
260 pages
Arkhe (09/03/2018)
4.38/5   4 notes
Résumé :
On a longtemps dépeint les cannibales comme des êtres monstrueux et exotiques, des sauvages hantant les terres lointaines. Pourtant, nos ancêtres se délectaient eux aussi de chair humaine. Uniquement en cas de disette, pensez-vous ? Pas vraiment : en Occident, les situations où l'homme en vint à dévorer ses semblables sont nombreuses. De la préparation de précieux remèdes à base de cadavres aux rituels de vengeance destinés à outrager la dépouille de l'ennemi, jusqu... >Voir plus
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
Une histoire de l’anthropophagie en Occident ne peut négliger un fait avéré : au centre de l’activité de culte et du système symbolique et métaphorique des chrétiens du Moyen Âge, réside un corps à la fois divin et humain, glorieux, éternel, invincible et d’une douce fadeur : le corps miraculeux de Jésus qui, bien que rompu reste toujours intact ; (« l’hostie toujours se brise, mais le Christ ne se rompt pas, pas plus que les os du Christ »), un miracle quotidien auquel tout le monde peut accéder et dont tout le monde peut bénéficier.

L’Eglise et les fidèles se nourrissent de la substance d’un Dieu sucré et parfumé : ingérer le Très Haut, décrit par des formes verbales telles que manducare, pascere, pasci, sapere, fruor, edere, esurire et gustare. Les exégètes parlent le langage des odeurs et des saveurs, sublimant la sapidité du pain des anges, la nourriture de la manne, le mielleux de l’hostie, la nourriture angélique, la table du Seigneur et la satiété spirituelle : de la blancheur du corps du Christ émane une « douce saveur » destinée à charmer le palais toute la journée de son goût de miel. De sorte que même en temps de pénurie, le « pain » est omniprésent en signe de dévotion : « Je suis le pain de vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim, et celui qui croit en moi n’aura jamais soif » (Jean 6:35) avait assuré le Christ. Et effectivement, le sacrement représente une mystérieuse et invitante source de nourriture, au point que l’on parle çà et là d’hommes et de femmes ayant survécu en se nourrissant uniquement, des années durant, du « corps du Christ ».

Les embarrassantes conséquences du sacré dans la réalité sont analysées avec une subtile maîtrise : à en croire les calculs de l’archevêque Frédéric Visconti, le Christ demeure dans l’estomac environ une heure et demie, c’est-à-dire jusqu’à ce que l’entremise du pain et du vin ait été consommée. Tout le processus de la digestion est minutieusement passé au crible : dans sa Somme théologique, saint Thomas d’Aquin lui-même ressent l’obligation de rassurer les fidèles quant aux reliefs de nourritures restés logés entre les dents qui, accidentellement avalés, n’empêchent pas de communier. (pp. 31-32)
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Doux viscères, membres gracieux, « rendez à la mère ce que vous avez reçu », s’exclame la génitrice dans le texte d’Hégésippe de Jérusalem : l’enfant cannibalisé paye une dette en restituant la matière dont il s’est nourri. « Découpé en morceaux, l’enfant revient dans le ventre maternel » écrit le Pseudo-Quintilien en relatant un cas analogue : la transmission de substances d’un corps à l’autre est, selon un certain point de vue, réversible.
(…)
L’idée que la chair de l’enfant appartient aux parents, figure aussi dans La Divine Comédie, soutenue par Dante. En effet, dans L’Enfer, alors que les enfants d’Ugolin l’invitent à se nourrir de leur propre corps, ceux-ci s’exclament : « tu nous as revêtus de ces misérables chairs, et toi aussi dépouille-nous en ! ». Les auteurs chrétiens étaient cependant réticents à croire les pères capables de dévorer leurs enfants. Le passage de la Bible « C’est pourquoi des pères mangeront leurs enfants au milieu de toi, et des enfants mangeront leurs pères (Ez 5:10) surprenait les exégètes. En effet, se souvenant du siège de Jérusalem, saint Jérôme expliquait qu’il était question d’épisodes d’anthropophagie maternelle qui avaient eu lieu au cours de l’histoire, sans trouver d’équivalents paternels. Il est toutefois vraisemblable, admet l’exégète, que des conditions d’extrême nécessité peuvent pousser un homme à accomplir des massacres cannibales sur ses enfants.
(…)
Ainsi, la dévotion pousse des pères à trucider leurs enfants au nom du Seigneur (ou de leur seigneur, comme on l’a vu en Castille), mais les femmes ne participent pas à ce rapport de faveur entre homme et dieu ou entre homme et homme. La loi castillane qui permet l’anthropophagie paternelle précise explicitement que la mère n’a pas le droit de vendre ni de manger son enfant :

« Le pouvoir que le père a sur ses enfants, qui sont en son pouvoir, la mère ne l’a pas. » (pp. 97-99)
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Cette fonction tactico-militaire du cannibalisme est également mentionnée dans les chroniques. Guillaume de Tyr raconte que, afin de terroriser ses adversaires, Bohémond avait donné l’ordre de tuer des prisonniers turcs et de les faire rôtir comme s’ils étaient destinés à être mangés. Adémar de Chabannes narre qu’au cours de son expédition en Espagne, à la moitié du XIe siècle, Roger de Tosny avait utilisé un semblable stratagème : il faisait découper des prisonniers en deux devant les yeux de leurs compagnons et, après les avoir fait bouillir leurs dépouilles mortelles, leur en donnait une moitié à manger, précisant qu’il mangerait l’autre moitié plus tard avec ses hommes. Après quoi l’astucieux Normand laissait s’enfuir certains prisonniers afin qu’ils puissent raconter ce qui s’était passé et que l’information se diffuse parmi les musulmans. Guibert de Nogent attribue la même pratique intimidatrice aux Tafurs, et plusieurs chroniqueurs s’interrogent sur l’effet psychologique des actes de cannibalisme sur les adversaires.
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Il s’agit donc d’un revirement de l’action métaphoriquement cannibale que le tyran a exercé sur le corps social. En effet, les épisodes cannibales prennent place dans des rituels renversés complexes, railleurs et infamants : le détrônement du « tyran » est le revirement symbolique des rituels coutumiers d’intronisation. A l’adoubement correspond le dévêtement, au couronnement, la décapitation, à la procession lustrale, le défilé à dos d’âne.
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Le versant opposé du sang infecté est le sang salutaire et thérapeutique, antidote contre la vieillesse, le rabougrissement du corps exténué et flétri, lymphe vitale pour les membres languissants et déshydratés. Les liquides épuisés des personnes âgées doivent être purifiés. Le corps, tari par la phlébotomie se régénère à travers l’ingestion de sang jeune, frais et bien trempé dans les humeurs. Remède par antonomase, le fluide écarlate entre dans la composition de nombreuses préparations médicinales et constitue ce que Paracelse et ses disciples nomment « la liqueur de momie ». Elixir de longue vie (parfois mélangé à du sperme, de la moelle et des testicules), cette potion est décrite par les traités médicaux comme une « humeur chaude et humide », de couleur très rouge. Quant à l’odeur et à la saveur, elle est doucereuse, « suave et bénigne ».
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