Dans la catégorie des romanciers insolites, en voici un qui est bien à sa place :
Hubert Monteilhet (1928-2019) est un auteur de romans (essentiellement, mais il a écrit aussi des essais et des écrits polémiques) dans deux genres différents, le roman policier et le roman historique. Et dans ces deux genres, il fait preuve d'une originalité qui le met dans une position étrange, à la fois classique et franc-tireur, à la fois traditionnel et provocateur.
Pour résumer très grossièrement, disons que Monteilhet est un libertin dans la lignée des écrivains du XVIIIème (
Choderlos de Laclos, à qui on le compare souvent, l'abbé Prévost, Crébillon,
Restif de la Bretonne ou encore
Sade), et aussi, d'une certaine façon, aux « Hussards » des années 50 (Nimier et Laurent en particulier). Pour l'élégance du style, jointe à une description des moeurs où se mêlent liberté et impertinence, voire licence. Aussi sans doute pour une vision particulière de la littérature : dans les deux genres qu'il pratique, il dresse (avantageusement, et parfois avec une malicieuse insolence) des tableaux parfois sordides de la société qu'il veut décrire, tout en laissant au lecteur le soin de juger. Ses romans policiers sont plus des romans psychologiques, voire des romans de moeurs, que des romans à énigme classique. Dans ses romans historiques, il fait appel à une Histoire, parfaitement réelle et documentée, mais qui heurte l'idée que nous avons de l'Histoire traditionnelle, parce qu'elle s'oppose souvent à nos opinions morales et religieuses.
C'est en particulier le cas avec «
Néropolis » (1984).
Néropolis, comme le nom l'indique, c'est la ville de Néron. le roman, à travers l'histoire de Kaeso, raconte la Rome des julio-claudiens, à la lumière des écrits de Tacite et de
Suétone (les deux plus grandes langues de vipère de l'Antiquité), mais également des plus sérieux historiens de la vie quotidienne romaine. Prétexte pour l'auteur de nous mettre sous les yeux la vie décadente des romains, et aussi les fluctuations politiques et sociales, tous comme les premiers pas d'un christianisme brouillon et pas toujours convaincant. Les portraits sont dépeints au vitriol, l'analyse qu'en fait l'auteur est souvent teintée de cynisme et de causticité. Voilà pour les points négatifs. Mais, si l'on veut avoir une idée plus juste de ce pavé (près de 900 pages), il faut souligner le sérieux de la documentation (c'est pas jojo, mais tout est vrai), et surtout le style d'écriture : à la fois élégant (sa marque de fabrique) et plein d'humour, de mouvement et de vie. On ne s'ennuie pas une minute, tant la curiosité prend le pas sur l'ennui, lors des descriptions, tour à tour savoureuses et répugnantes, des portraits réjouissants ou inquiétants…
Nous avions l'habitude de voir la Rome des julio-claudiens à travers les récits primo-chrétiens de Sienkiewicz (« Quo vadis ? ») de Wallace (« Ben-Hur ») ou de Douglas (« La Tunique »), d'autres auteurs plus nuancés comme Graves (« Moi Claude, empereur ») ou Waltari (« le secret du royaume »), voire Grimal (« Mémoires d'Agrippine »). Monteilhet est un des premiers à nous donner un tableau aussi complet (et complaisant, il faut bien l'avouer) de la Rome du 1er siècle.
A rapprocher du « Royaume des mécréants » de cet autre trublion qu'est
Anthony Burgess.