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sur 310 notes
Avec L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir, Rosa Montero a-t-elle conscience d'avoir atteint un sommet. Et Piatka, qui m'a fait découvrir cet auteure et ce livre, sait-elle ce que je lui dois ?

Par où commencer et où s'arrêter dans son commentaire pour justement rendre compte de cette lecture ?
Je me garde quelques pages finales à lire pour être sûr de ne pas me laisser gagner par la tentation de tout dévoiler au lecteur, et, d'ailleurs, comment le pourrais-je, quand je vois l'infinité d'interrogations et de conclusions qui naissent sous la plume de Rosa Montero au fil du récit. Prenez ce livre, toutes affaires cessantes, il est d'une richesse, qui ne peut que venir grossir le fleuve des rencontres les plus marquantes que l'on puisse imaginer entre gens de lettres et lecteurs.

Le premier chapitre, L'art de dissimuler la douleur, plante le décor à l'aide de faits, de constats, de questions, de certitudes et de doutes, toutes choses différemment et "mêmement" éprouvées, qui jalonnent les parcours de vie rapprochés et comparés de l'auteure et de la très célèbre savante Marie Curie (1867-1934). C'est l'occasion pour l'auteure de se livrer à une réflexion sur les rapports qu'entretiennent en nous les phénomènes de la vie et de la mort. Premier constat : les naissances et les morts, ces deux bornes, font rupture dans la vie de ceux qui en sont témoins, et donc dans le fil continu du temps. Chacun est unique, et Marie Sklodowska le fut excellemment et simplement aussi, avec ses deux Prix Nobel, un en physique et un en chimie, excellemment car elle fut et est encore la seule femme (44 Prix Nobel pour les femmes toutes matières confondues contre 786 pour les hommes jusqu'en 2011) et surtout la seule personne à en avoir reçu deux dans des disciplines scientifiques différentes, et simplement parce qu'elle parvint à cette consécration par ses seules forces, puisées en elle-même et dans la relation qui l'unit à peine plus de douze ans à Pierre Curie (1859-1906). A quoi donc ces deux-là attachèrent-ils leurs noms ? A la radioactivité pour ce qu'elle peut de bien et ce qu'elle fait de mal dans leurs vies d'abord et dans les nôtres depuis. Pressentaient-ils ces effets ? Savaient-ils ce qu'ils faisaient et ce que cela entraînerait. Que ce soit oui ou non, tout cela est le fruit de notre temps. Passons par-dessus le cas des femmes qui auraient pu engranger des Prix Nobel et qui se firent voler le résultat de leurs travaux par des hommes - bien que tout cela ne soit pas anodin ! : Lise Meitner, Rosalind Franklin, Jocelyn Bell -, et venons-en à ce qui sert de point de départ au livre de Rosa Montero, le projet de préface au Journal de Marie Curie. La lecture de ce dernier l'a entraînée bien plus loin, et nous avec elle, grâce a cela. Un journal personnel qui a directement à voir avec l'accident mortel de Pierre, qu'une voiture à cheval a renversé dans Paris en 1906. Rosa Montero s'appuie sur ce texte et des biographies de Marie, mais elle sent la nécessité de relier celles-ci à autre chose, de les mettre au service d'une histoire où sera explorée la place de la femme dans la société. Première femme à être honorée par le Nobel puis doublement, Marie Curie-Sklodowska avait d'abord ouvert la voie en étant la première femme diplômée en sciences à la Sorbonne et la première à occuper une chaire. Et la première aussi à se faire une place au Panthéon, parmi les Grands Hommes, rejointe depuis par quelques autres femmes qui furent elles aussi remarquables dans leurs vies et leurs engagements.

Dans le chapitre : L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir, Rosa Montero explore le territoire de l'après-disparition et de l'absence, temps du "retenir" et de la sidération. Pierre est parti, à jamais, et Marie s'enferme dans le silence. Mutisme presque complet. Que se passe-t-il et que cache ce refus de parler ? Un abasourdissement ? "Plus jamais", deux mots inconcevables, qui vous mettent à la torture. Mais non, c'est une illusion. Il va revenir, il est là. Ne croit-on pas les voir ces morts, ces "vivants" qui nous sont chers et indispensables ? Et comme Marie-Madeleine et Marie, mère de Jésus, qui s'en vont au tombeau soigner le corps du crucifié (la pierre n'était-elle pas roulée ? L'a-t-on déplacée pour leur permettre d'entrer ?), une autre Marie utilise un mouchoir en pensant soigner le visage meurtri et ensanglanté de Pierre. Que signifie ce geste de soignante ? Pierre n'est-il pas censé être mort ? Il faut l'insistance de la sœur de Marie, Bronya, pour que la veuve accepte de brûler les vêtements du défunt, récupérés le jour de l'accident. Comme nous n'acceptons pas que l'être que nous voulons serrer dans nos bras s'en aille, notre société voudrait oublier la mort, la cacher, la taire. Et pourtant, elle est là !!! Nous la tolérons si peu que nous prenons le deuil comme si nous tombions malades. "Parce que ça se dit précisément comme ça, écrit fort justement Rosa Montero : Untel ne s'est pas encore rétabli de la mort d'Unetelle". Et d'ajouter, tout aussi finement : "La vie se fraie un chemin avec la même opiniâtreté qu'une plante minuscule capable de fendre un sol en béton pour sortir sa tête. Mais en même temps, la peine suit aussi son cours. Et c'est ce que notre société ne gère pas bien : aussitôt nous cachons ou nous interdisons tacitement la souffrance". Dans cet océan de douleur, Marie a dû chercher sa planche de salut et l'a peut-être trouvée grâce à la tenue de son Journal intime, et ce fut pour elle le meilleur moyen de faire son deuil, même si elle ne réussit jamais à le faire complètement. Au moins trouva-t-elle avec la page blanche un moyen de continuer le dialogue avec le défunt, et un autre dans l'œuvre scientifique poursuivie. Tout prit alors d'autres couleurs pour elle, et la mémoire de Pierre et des années passées avec lui furent ainsi embellies. Et Rosa Montero d'écrire : "Nous avons tous besoin de beauté pour que la vie soit supportable. Fernando Pessoa l'a très bien exprimé : "La Littérature, comme toute forme d'art, est l'aveu que la vie ne suffit pas"."

Dans le chapitre : Une petite étudiante polonaise bien sage, visite et interroge le passé de Marie (Manya) Sklodowska, et part pour cela de son apparence physique connue, au travers des photos où nous la voyons apparaître, en notant tout de suite qu'elle a l'air toujours grave sur tous les clichés. "Ce qui prédomine dans ses portraits, écrit Rosa Montero, c'est un front volontaire, des sourcils froncés, une bouche serrée par l'effort". Au total, on lui voit une morphologie à laquelle elle va infliger pendant des années, de par son travail, des radiations qui vont la miner mais qu'elle tentera de supporter stoïquement. On parle aussi de sa frugalité, de son mauvais régime alimentaire. Légende ? Non, cela est réel. Faut-il parler d'anorexie ou de mœurs de jeune fille sportive qui souhaita, devenue femme et mère, la même chose pour ses filles ? N'oublions pas non plus qu'avant de rencontrer Pierre, elle a vécu dans le dénuement et qu'elle a connu les vaches maigres. Que peut-on dire de la partie polonaise de l'existence de Marie ? Qu'elle traversa des moments de privation, fort difficiles, dans une patrie éclatée en morceaux par les ennemis héréditaires, Russes, Autrichiens et Prussiens. Sa mère mourut de la tuberculose lorsqu'elle avait onze ans. En tirera-t-elle la leçon qu'il faut tout faire pour préserver les "siens" des maux destructeurs ? Quand elle se saura malade, atteinte par les effets de la radioactivité, elle s'efforcera, trait caractéristique mais révélateur de souffrance partagée, de ne plus toucher ses filles, qui ne comprendront pas immédiatement ou peut-être jamais. Mais si l'on évite les contacts qui peuvent faire des dégâts chez les vivants lorsqu'on est atteint d'un mal, ou que l'on va l'être, on redouble ceux qui nous relient à nos parents après leur décès. Marie honora sa mère défunte en faisant la carrière que celle-ci n'avait pas pu faire (le sacrifice des femmes mesurable dans le temps, dans les choix durables, dans les gestes du quotidien !) et elle honora son père, qui ne sut pas reconnaître ce geste à sa juste valeur, en s'occupant elle aussi de physique. Elle met tout au service de cette ambition, et renonce aux frivolités et en n'accordant qu'une place très réduite à son apparence. Elle le portait aussi physiquement, comme on l'a noté, et comme le remarquera Einstein, qui ne craindra pas de parler de froideur. Toujours ce masque qui, en réalité, cache beaucoup de sensibilité. Et dans ce personnage sévère qu'elle se compose, et que d'autres femmes qui chercheront à se faire connaître par leur savoir, sculpteront à leur tour, comment éviter le piège de la ressemblance avec un homme ?

Question à laquelle Rosa Montero apporte peut-être un début de réponse dans le chapitre qui suit : Des oiseaux aux ventres palpitants. On y voit Marya Sklodowska adhérer aux idées d'Auguste Comte qui, comme l'écrit Rosa Montero "s'écartait de la religion et consacrait la science comme voie unique pour connaître la réalité et améliorer le monde" (rêve utopique). Mais cela donne des ailes à Marie, qui a de l'ambition. Elle se donne le droit, bravant les interdits et les schémas tout faits, d'être ambitieuse comme un homme peut être ambitieux. Pour les autres, à l'époque, ce n'était "pas naturel", ce n'était pas le rôle d'une femme, qui devait laisser ce rôle aux hommes et se sacrifier pour leur succès et le bonheur familial (homme et enfants compris). Manya a bien failli tomber elle-même dans ce panneau en devenant amoureuse d'un homme pour la première fois de sa vie. L'heureux élu se nommait Casimir Zorawski, et il était étudiant en mathématiques à Varsovie. Marya était institutrice et prenait des risques en donnant des cours de lecture et d'écriture aux paysans (ce qui était alors interdit et sanctionné par une peine de prison qu'heureusement la jeune fille ne connut pas). Très - ou trop - beau, Casimir, était-ce possible avec une jeune fille aussi sérieuse que Manya, faillit bien réussir à détourner la future Marie Curie du noble travail de l'esprit et de sa destinée, n'eût été l'opposition catégorique des parents du jeune homme au projet que ce dernier formait de convoler en justes noces avec elle. Casimir se plie aux volontés de ses parents, et c'est la déception et le désenchantement pour Marya, qui semblait rongée par la passion, une fois n'est pas coutume. Manque de chance et véritable torture : Manya continuera à travailler pour cette famille en étant la préceptrice des autres enfants des Zorawski. Elle se sait "faible" alors notre Marya : comme elle aimerait ne se consacrer qu'à la science et être plus forte ; aura-t-elle jamais raison de cette fragilité (si c'en est une) ? Elle est alors victime d'une "véhémence dans l'autoflagellation", note Rosa Montero. Les dégâts provoqués par un échec amoureux nous font remettre en question beaucoup de choses et nous rendent excessifs dans la réaction.

C'est sur une note différente que commence le chapitre suivant : Le feu domestique de la sueur et de la fièvre. "L'enfance est un lieu auquel on ne retourne pas, mais qu'en réalité on ne quitte jamais", écrit Rosa Montero, qui ajoute : "Ce que nous sommes aujourd'hui plonge ses racines dans le passé". Qui ne souscrirait à cela, à ces accents de la vraie nostalgie venue de loin, du paradis perdu de notre enfance, que ce souvenir soit "paradisiaque" ou "infernal". Et tout regret se nourrit du souvenir de ce loitain rivage jamais retrouvé et pourtant jamais quitté. A quel souvenir d'enfance, de bonheur fugace, renvoyait chez Marie le souvenir idyllique de ce week-end avec Pierre à Saint-Rémy-lès-Chevreuse, peu avant l'accident qui ôta la vie à son mari ? Mais si les contes des Mille et une Nuits sont un jeu avec la Parque, le silence peut être une façon de s'éviter de raviver la blessure. Car c'est bien par peur de souffrir que Marie interdit à ses filles de parler de leur père défunt. Mais, quoi que l'on fasse, ils sont marqués ces visages de la veuve et des orphelines de père sur cette photo de famille que décrit Rosa Montero et qui a été prise deux ans après le départ de Pierre pour l'autre monde. Et, volonté consciente ou pas, l'une des filles, celle qui est la plus instruite des deux, Irène, est mise dans l'obligation de marcher sur les traces de son père pour obéir à ce que souhaite sa mère. Et Irène occupera en effet la place que l'on a voulu lui assigner. L'occasion pour Rosa Montero de souligner qu'elles sont complexes et néanmoins fort belles les relations qui se tissent entre parents et enfants. Des parents qui voudraient, quoi qu'ils s'en défendent, tel avenir pour leurs enfants et qui donneraient leur vie, leur sang pour cela. Et des enfants qui mettent leurs parents si haut qu'ils ne peuvent un jour qu'être déçus de ne pas les voir habiter sur ces sommets de la divinité où ils pensaient les trouver dans la réalité, dans la confusion qui était la leur de l'imaginaire et du réel. Et des adultes enfin qui réinventent leur vie, comme des enfants, quand le destin l'a brisée. Car devenir veuf ou veuve est l'occasion, souvent (mais pas toujours) d'embellir la relation interrompue, le rapport que l'on a eu avec le conjoint défunt, en lui donnant les couleurs du mythe, quand bien le chemin n'était pas toujours semé de roses sans épines du vivant du cher disparu.

Nous voici au chapitre intitulé : Éloge des gens bizarres. Marya arrive à Paris et fait connaissance avec Pierre en 1894. Elle a vingt-sept ans. Quelque chose se passe dès les premiers regards échangés, dès la première conversation, par l'entremise d'un Polonais. "Quand j'entrai, consigne Marie dans son Journal, Pierre Curie se trouvait dans l'embrasure d'une porte-fenêtre donnant sur un balcon. Il me parut très jeune, bien qu'il fût alors âgé de trente-cinq ans. J'ai été frappée par l'expression de son regard clair et par une légère apparence d'abandon dans sa haute stature". Enfant, il a d'abord été, semble-t-il, dyslexique, comme le furent Einstein et Rutherford. Un tuteur s'occupe de son éducation jusqu'à ses seize ans. Il s'adonne à la recherche scientifique et se fait inventeur avec son frère, mais il redoute encore d'aller jusqu'au doctorat, mais cela va changer au contact de Marie. C'est peu de dire qu'il a eu le coup de foudre : il sait, par intuition, que son avenir est avec Marie. "Ce serait une belle chose, écrit-il dans une lettre à Marie, que de passer la vie l'un près de l'autre, hypnotisés dans nos rêves". "Façon géniale de lui proposer une vie à deux", commente Rosa Montero. Marie ne paye pas immédiatement cet amour de retour. Mais elle ne va cependant pas résister bien longtemps. Ils allaient si bien ensemble, ces deux rêveurs, ces deux idéalistes. Certes, elle semblait être rigide et austère et tendait sa volonté comme un arc en tirant toutes ses flèches au service de la recherche. Mais, nous l'avons vu, c'est une carapace sous laquelle elle cache une profonde sensibilité. Avec le temps, l'armure se fend, et elle apprend, et se met à vivre et à aimer, tous les petits plaisirs lui paraissant être des cadeaux du ciel et des effets de la grâce. Même si cela ne se devine pas au premier abord, il y a bien chez elle, Rosa Montero est en certaine, une sensitive sensuelle. Pierre disparu, saura-t-elle se ressourcer à ces souvenirs ? Elle ne craint rien tant que la trahison de la mémoire, qui n'est jamais très fidèle lorsqu'on la convoque - ou quand on oublie de la solliciter sérieusement. Et pourtant, il suffit d'un lieu, d'un détail, d'un objet et... Boum ! "La bombe du souvenir explose dans votre tête", conclut dans ce chapitre Rosa Montero.

Radioactivité et confitures, tel est le titre du passage suivant. Et 1895 est une année pas comme les autres, car Pierre et Marie se marient civilement en juillet. Pierre a fait le bon choix : avec Marie pour épouse, il partage le même goût pour la science, et sait qu'il n'aura pas à renoncer pour elle à son travail scientifique. C'est le miracle de l'harmonie qui se produit, et celui de l'égalité dans cette vie vouée à la recherche. 1895 est aussi l'année où Wilhelm Rontgen découvre fortuitement les rayons x et radiographie la main de son épouse. Et l'année suivante, Becquerel fait le constat que les sels d'uranium projettent des radiations invisibles. Ces deux découvertes vont orienter les recherches de Marie qui ne chôme pas à ce moment-là, car Pierre et Marie partagent tout, hormis les tâches domestiques, qui restent essentiellement féminines. Il n'y a donc pas de mari parfait. Ajoutons que, par souci d'économie, le couple s'interdit toute aide extérieure. Marie s'occupe de tout, avec abnégation. Elle est sur tous les fronts, et elle fait front. Et si, comme si cela ne suffisait pas, la voici enceinte d'Irene en 1897. Par chance pour Marie, son beau-père, devenu veuf, aida sa bru à s'occuper d'Irène. Du coup, Marie peut préparer soigneusement son doctorat. Si, comme le père de Manya le prétendait, Marie manquait d'équilibre, on veut bien être tous comme elle, et cumuler les déséquilibres, tant Marie nous paraît être forte.

Dans La sorcière au chaudron, on voit Marie étudier le degré de conductivité électrique de l'air, et Pierre se mettre sur le coup et lui prêter main forte. Trop accaparée par ses travaux et sa manipulation de la pechblende, minerai qui nous semble tout droit sorti d'un atelier d'alchimiste, elle ne mange que fort peu. Et la voici qui extrait le radium, sans bien le comprendre au début. Le couple ne saura qu'il a réussi à l'isoler qu'en 1902. C'est le polonium qui est d'abord identifié. Tout cela est bien sûr largement plus radioactif que l'uranium. Mais les Curie n'y prêtent pas attention et font leur première communication à l'Academie des Sciences le 26 décembre 1898. Immédiatement, on se mit à chercher des applications possibles dans le monde médical. De nos jours, on a, en médecine, la radiothérapie pour traiter les cancers, mais le cobalt a maintenant remplacé le radium. Cependant, ce dernier servit d'abord à tout, par exemple en cosmétique. Comme si le radium avait des vertus sanitaires. Avant le radium, d'autres produits dangereux avaient aussi été utilisés par les femmes pour se rendre belles, et ce fut le cas du sulfure de mercure, du sulfure de plomb et de la chaux vive, que l'on utilisa pour les poudres à joue et les rouges à lèvres. Et vint le radium, que l'on allait utiliser partout et pour tout, avant que le pétrole ne vienne le supplanter, même si c'était en faible quantité. Et heureusement qu'il était coûteux d'utilisation, car on imagine le résultat si tel n'avait pas été le cas. Mais l'on fit ainsi pendant plus de trente ans, avant qu'un charlatan ne prescrivît, en 1925, une potion douteuse, le Radithor qui envoya ad patres un champion de golf millionnaire, Ében Byers, qui avait englouti des litres de ce breuvage. L'événement fit grand bruit et porta un rude coup à l'industrie qui faisait usage du radium dans nombre de produits commercialisés, tels des vêtements pour bébés et pour enfants. Mais l'on n'en était pas encore là, et c'est à son risque seul - un risque permanent et qui sera toujours menaçant - qu'en 1902, Marie parvint à mesurer la masse du radium. Son père mourut peu après, sans savoir que sa fille allait acquérir la célébrité avec cette découverte dont il mesura mal l'intérêt sur le moment. "Quel dommage que ce travail ne présente qu'un intérêt théorique", avait-il déclaré en mauvais prophète.

Après son père, Marie a donc perdu son époux. Pierre est mort le 19 avril 1906. Il avait 47 ans et elle 38. Ils vivaient ensemble depuis onze ans et, bien sûr, elle n'avait pas vu venir cet événement. L'inhumation de la victime renversée en plein Paris par une voiture hippomobile est relatée dans un quotidien où l'on dépeint une Marie Curie au "regard constamment fixe et dur". Ici, c'est pour Rosa Montero le moment de réfléchir sur ce point : l'ignorance de ce qui va venir, de
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Coup de coeur et - chez moi c'est souvent lié - coup au coeur. Rien que le titre... On y ressent toute l'incrédulité, le déni, la détresse face à la mort de l'être aimé.
En l'occurrence, le point de départ de ce livre est la réédition du journal de Marie Curie, qu'elle a tenu après la mort de son époux, Pierre Curie. L'éditrice de Rosa Montero lui a demandé d'en écrire la préface, dans un moment où celle-ci ne s'était pas encore remise du décès de son mari après une longue maladie. Rosa Montero, plongée dans cette douleur depuis quatre ans, n'arrive plus à écrire. Mais le journal de Marie Curie, d'effet miroir en coïncidences, va l'entraîner dans un flot d'émotions et d'interrogations sur la mort et le deuil mais aussi l'amour, la vie, la culpabilité, le devoir, la science, les relations hommes-femmes, le pouvoir des mots et de l'imagination. Elle reprend alors la plume et retrace le parcours hors du commun de Marie Curie, une femme brillante et courageuse, souvent bridée par le sexisme de son époque. Elle raconte son amour indéfectible pour Pierre, qui le lui rend bien, et du deuil insurmontable qui la frappe quand celui-ci meurt absurdement, renversé par une carriole. Mais ce livre est bien plus qu'une biographie, parce que Rosa Montero nous parle aussi de sa propre histoire, de la perte terrible qu'elle subit à la mort de Pablo, de ses propres étapes de deuil (qui ne correspondent pas forcément à celles que ses amis ou les bouquins de développement personnel expliquent en théorie), des souvenirs qui ne s'effacent jamais mais qui, avec le temps, font doucement une place à la légèreté, à la joie de vivre, même si "dans ma tête, il est tout entier".
Dans ce parallélisme entre les deuils subis par Rosa Montero et Marie Curie, ce livre vogue donc entre les souvenirs personnels de la première et la biographie d'une scientifique exceptionnelle. Loin de larmoyer sur son sort, l'auteure ne reste pas coincée dans sa douleur, elle avance, désormais bien consciente de la mortalité de l'être humain et de la brièveté de la vie dont, par conséquent, il faut s'efforcer de jouir avant qu'il soit trop tard.
Ce livre génial, bourré de réflexions magnifiques sur la vie, la place des femmes, la douleur, respire l'authenticité : dans son propos, Rosa Montero est désarmante de simplicité, de sincérité, de fougue et de tendresse. Pour elle, l'écriture est vitale : "un satané enfer, parce qu'en perdant l'écriture, j'avais perdu le lien avec la vie". Ou encore : "Pour vivre, nous devons nous raconter. Nous sommes un produit de notre imagination". Quand un écrivain (se) raconte avec une écriture qui vient du coeur, moi c'est là que ça me touche.
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Le 30 avril 1906, Marie Curie désespérée par la mort accidentelle de Pierre, son mari, commence la rédaction d'un journal sous forme de lettres qu'elle lui adresse pendant une année environ, façon pour elle d'exorciser la douleur, d'atténuer l'absence après onze années de vie commune. Il avait 47 ans et elle 38.
" Cher Pierre que je ne reverrai plus ici "

Un siècle plus tard, l'éditrice de Rosa Montero lui demande de rédiger une préface pour ce même journal, court document d'une vingtaine de pages d'une densité manifeste. Commence alors pour l'écrivain une quête singulière puisqu'elle vient elle-même de perdre son compagnon et se trouve aussi confrontée au dénuement violent causé par la perte d'un être cher.
Mais, " Ce livre n'est pas un livre sur la mort. "

Bien sûr, l'écrivain s'est documentée sur la vie de pionnière de Marie Curie.
" J'ai toujours trouvé cette femme fascinante, comme pratiquement tout le monde d'ailleurs, car c'est un personnage hors norme et romantique qui semble plus grand que la vie. Une Polonaise spectaculaire qui a été capable de remporter deux prix Nobel, le Nobel de physique en 1903 avec son mari, Pierre Curie, et le Nobel de chimie en 1911 en solitaire. "
" La seule personne que la gloire n'ait pas corrompue. " disait d'elle Albert Einstein.

Ce livre, loin d'être une nième biographie de la célèbre physicienne est un récit intime croisé de deux chemins de vie, de deux vies de femmes à des époques différentes. À partir d'extraits du journal de Marie, Rosa évoque tour à tour la chercheuse mais aussi ses propres souvenirs, elle s'interroge sur l'évolution de la place des femmes dans la société, sur les relations au sein d'un couple.
C'est ce qui rend ce récit original et intéressant, même si j'admets que par moments certains passages personnels de Rosa ne m'ont pas autant intéressée que ceux concernant Marie, qui s'est révélée être, sous la plume alerte de Rosa, une amoureuse passionnée, une personnalité engagée et combative.

Loin de sombrer dans la tristesse et le renoncement, ce texte souvent tendre est truffé de magnifiques réflexions sur le pouvoir des mots, de l'amour, de l'inaltérable flamme vitale qui anime chacun. Marie et Rosa l'ont intuitivement compris :
" Pour vivre, nous devons nous raconter. Nous sommes un produit de notre imagination. "
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J'aime depuis ses premiers livres, la fougue, la joie de vivre, la sensualité de Rosa Montero, sa sincérité et l'impression qu'elle donne d'écrire sans fards, directement. Et ma foi, malgré la perte douloureuse de son compagnon Pablo, douleur qui rien ne peut s'effacer, elle reste une auteure qui, dans des moments où l'on peut avoir envie de baisser les bras, vous redonne le désir de continuer, désir de vivre et d'aimer encore.
Elle parle avec émotion mais sans larmoiement, de la douleur mais aussi de l'espèce de paix, du gain d'un regard plus serein, plus ouvert et d'une grande acuité sur le monde qui l'entoure suite à la perte de l'amant et l'ami, du complice.

Elle a traversé une période stérile après le décès de Pablo Liscano
« j'ai passé presque quatre ans sans pouvoir écrire. Un satané enfer, parce que en perdant l'écriture j'avais perdu le lien avec la vie. Je ressentais une atonie, une distance avec la réalité, une grisaille qui éteignait tout, comme si je n'étais pas capable de m'émouvoir de ce que je vivais si je ne l'élaborais pas mentalement à travers des mots. »

Période dont elle sortira grâce à Elena Ramírez, directrice éditoriale chez Seix Barral, qui lui demande une préface à une réédition du journal de Marie Curie tenu suite au décès brutal de son mari, Pierre : “J'ai pensé à toi parce que ça reflète avec un dépouillement cru le deuil lié à la perte de son mari. Je crois que si le texte te plaît tu pourrais faire quelque chose de formidable, sur le personnage ou sur le dépassement (si on peut appeler ça comme ça) du deuil en général. Je crois aussi que, selon comment tu te plongeras dans le livre et comment tu te sentiras en écrivant, ce pourrait être une préface ou bien le corps central du texte, et le journal de Curie un complément… Je laisse la porte ouverte à toutes surprises.”
J'ai lu le texte. Et il m'a impressionnée. Mieux : il m'a happée. »


Et l'envie revient : « L'envie d'utiliser sa vie comme un mètre étalon pour comprendre la mienne, (…) L'envie d'écrire comme on respire. Avec naturel, avec #Légèreté.

Au gré du journal de Marie Curie elle revisite la vie de cette femme géniale et courageuse que l'on découvre en même temps qu'elle avec l'impression qu'elle écrit pour nous. Ce livre est un mélange de tout ce qui jalonne une vie, réflexion sur la difficulté d'être femme et de se faire entendre dans un milieu dominé par les hommes, de concilier sa vie de femme, ses enfants et sa vie de chercheuse au côté de Pierre Curie, puis d'affronter après sa mort les critiques et la hargne du milieu scientifique auxquels s'ajoutera la calomnie quand elle devient la maîtresse de Paul Langevin.
On sent une osmose entre Rosa Montero et Marie Curie mais elle reste très pudique sur sa propre douleur qui reste sous-jacente, n'envahissant pas ses propos.
Ce n'est qu'à la fin qu'elle parle directement de Pablo Lizcano :
« Dans ma tête, il est tout entier.
Mais la littérature, ou l'art en général, ne peut pas atteindre cet espace intérieur. La littérature s'applique à tourner autour du trou. Avec de la chance et avec du talent, peut-être qu'on parviendra à jeter à l'intérieur un coup d'oeil rapide comme l'éclair. (...) plus vous vous approchez de l'essentiel, moins vous pouvez le nommer. La moelle des livres se trouve aux coins des mots. le plus important des bons romans s'amasse dans les ellipses, dans l'air qui circule entre les personnages, dans les petites phrases. C'est pour ça, je crois, que je ne peux rien dire de plus sur Pablo : sa place est au centre du silence.
Et le lecteur le sent, toujours présent au long de ce beau livre comme il l'était dans la fiction « Des larmes sous la pluie » écrit pendant les mois où elle l'a accompagné dans sa maladie et qu'elle lui avait dédié.

Je regrette que, dans la version française du livre électronique, soient supprimées les photos qui accompagnent le texte espagnol ce qui donne l'impression de détenir un carnet de note et donne encore plus de vie, de proximité. de même à la fin le journal de Marie Curie est fourni en intégralité. Peut-être ces éléments sont-ils gardés dans la version papier…
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Bazar génial, ce livre mêle une biographie de Marie Curie, des réflexions sur le deuil, le couple ou la place des femmes dans la société et le témoignage de l'auteure sur la mort de son amour à elle, comme un miroir à la souffrance de son héroïne lors du décès de Pierre Curie.

Il est foisonnant, toujours passionnant, parfois déroutant. Quelques semaines après ma lecture, je n'en garde pas le souvenir d'un tout uniforme, mais de certaines bribes particulièrement chatoyantes : sur la vie de couple toute en tendresse et en douce routine des Curie, sur toutes les femmes spoliées de leur Prix Nobel au cours du temps, sur les dérapages passionnés de la scientifique privée de son équilibre en même temps que de son mari, sur son féminisme disons modéré, elle qui fut pionnière en de nombreux domaines, et pourtant en charge de toutes les tâches ménagères et jamais trop ostensiblement brillante en présence de son mari...

Les passages sur l'auteure et son homme sont intéressants également, mais plutôt dans la retenue et la pudeur. Pas de scènes de maladie, de douleur ou de mort comme je m'y attendais, ni de grandes démonstrations de sentiments. Juste une absence, un portrait en creux, quelqu'un qui devrait être là et n'y est plus... Et une grande empathie pour Marie Curie qui a vécu ça également et a pourtant réussi à poursuivre sa vie et ses recherches.

Il y a mille choses à découvrir ici, et mille raisons de lire ce livre. Alors s'il vous plait n'ayez pas l'idée ridicule de ne jamais le lire...

Challenge PAL et challenge Petits plaisirs 34/xx
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Quelle belle idée de rendre hommage à Marie Curie par le biais du coeur et non celui de la science. de la grande histoire des découvertes qui conduiront aux prix Nobel nous n'apprendrons pas grand chose que nous ne sachions déjà. Mais de l'âme passionnée de Marie alors oui, nous apprendrons. Pour cela Rosa Montero est allée chercher un livre devenu introuvable, le livre des écrits intimes. Ce sont des lettres envoyées à Pierre pendant l'année qui suivit sa mort. Se dessine alors une autre image de Marie Curie. Non plus seulement une femme au caractère bien trempé mais aussi une grande amoureuse, une femme fragilisée par la perte de l'être cher. Elle lui parle encore, à "son Pierre", comme s'il était vivant, avec une infinie tendresse. Et Rosa Montero de croiser la douleur de Marie avec la sienne. Pablo, le mari de Rosa est mort et Rosa est encore dans la peine, trois ans après. Cela est-il "normal"? Est-elle "dans les temps"?, dans "ce qu'il convient de faire"?
Alors, ce livre, biographie de Marie Curie ou autobiographie de Rosa Montero? Je dirais que c'est un peu des deux et bien plus que cela. Un livre universel sur l'amour et le chagrin d'avoir perdu celui ou celle que l'on aimait. C'est Marie, c'est Rosa et tous les veufs et toutes les veuves qui se retrouvent là, sur une route semée de cailloux, une route de douleur, une route si longue parfois que certains n'en verront jamais la fin. Rosa Montero écrit ce livre avec infiniment de pudeur et nous le lisons aussi comme un hommage délicat à nos souffrances. C'est d'une grande profondeur et ça vous met les larmes aux yeux. On pleure pour Marie et pour Rosa. On pleure de compassion. On pleure aussi sur soi. On pleure un chagrin qui déborde. Car c'est cela le miracle de la littérature. A travers d'autres histoires, d'autres destins, parfois nous frayer un chemin vers notre blessure la plus secrète.
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Je dirai avec malice mais aussi le plus sincèrement du monde qu'il est toujours « délicat » de rédiger une chronique après la très convaincante et communicative amie, « Piatka »… que je remercie abondamment au passage de m'avoir fait découvrir Rosa Montero, et ce texte en particulier…

Il se présentera obligatoirement des redondances… mais je me « lance ». Cette fiction a de multiples attraits . L'auteure fut chargée d'écrire une préface au journal que Marie Curie a rédigé après la mort brutale et accidentelle de son époux, Pierre Curie. Rosa Montero explique son admiration inconditionnelle à la fois pour la femme de science et la femme , simplement !

Ainsi nous est offert un portrait inédit de Marie Curie, hors des sentiers battus !

Parallèlement Rosa Montero est doublement interpellée par ce journal intime, qui se présente comme une longue lettre d'amour au mari aimé, vénéré, décédé si prématurément. Complicité intellectuelle, sentimentale, amoureuse, etc. l'auteure, elle-même, souffrait dans sa chair du décès de son mari, Pablo. D'abondantes remarques et analyses très fines sur l'épreuve du deuil de l'être aimé…ainsi que parrallèlement, des observations, constatations sociologiques concernant les inégalités des parcours féminins et masculins, les difficultés, les obstacles si nombreux que l'on opposait aux femmes, dans les études, les universités, et sans parler du domaine très machiste de la Science et de la recherche !

« Je me demande combien de Manya (Marie Curie) ont été perdues de la même façon en cours de route…Combien de possibles peintres, écrivains, ingénieurs, inventrices, exploratrices, sculptrices, docteures en médecine, géomètres, géographes, astronomes, historiennes, anthropologues… Combien d'autres merveilleuses femmes radioactives n'ont jamais réussi à irradier ? (p.58-59)

-------« Marie Curie ne fut pas seulement la première femme à recevoir un prix Nobel et la seule à en recevoir deux, mais aussi la première à être diplômée en sciences à la Sorbonne, la première à obtenir un doctorat de sciences en France, la première à avoir une chaire… Elle fut la première sur tant de fronts qu'il est impossible de les énumérer. Une pionnière absolue. Un être différent. Elle fut aussi la première femme à être enterrée pour ses mérites personnels au panthéon des Grands Hommes (sic) de Paris. (p.20)

---------« J'ai acheté une demi-douzaine de biographies de Mme Curie, dont je savais déjà certaines choses auparavant, mais pas tant que ça. Et un truc informe a commencé à pousser dans ma tête. L'envie de raconter son histoire à ma façon. L'envie d'utiliser sa vie comme un mètre étalon pour comprendre la mienne... » (p.18)

-----------« Madame Curie- Cette femme est véritablement tellement immense en tout, tellement exceptionnelle, que vous courez le risque de tomber dans l'hagiographie et d'en faire une icône de carton-pâte. Heureusement que, de temps à autre, j'ai trouvé un petit détail misérable avec lequel j'ai pu l'humaniser, car il n'y a pas une seule vie sans sa part de noirceur, même en petites proportions. » (p.155)


Un style, une sensibilité singuliers, vivants, original, naturel…qui nous emportent véritablement dans l'univers mental et la sensibilité de Rosa Montero… Ce texte m'a enchantée , m'a fait approcher une autre réalité du parcours exceptionnel de Marie Curie, mais comme le dit justement l'auteure, ce n'est pas à proprement parler une biographie… cela donne un texte multiple, au ton libre… qui aborde des sujets graves comme la difficile considération des femmes dans le monde universitaire, scientifique, etc…l'épreuve du Deuil pour chacun de nous, notre condition de « mortels »…la sexualité, La Vie dans son ensemble....etc.

Je redouble l'expression de mon amicale gratitude à Piatka…qui m'a permise cette fort belle lecture…et dans un temps pas trop lointain, je poursuivrai ma « découverte » de cette auteure, Rosa Montero…qui me touche beaucoup, par son appréhension des êtres, de la Connaissance, de la littérature...en un mot, son univers m'attire et m'intrigue ...


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Partant d'une commande de son éditrice qui lui propose d'écrire la préface du journal de Marie Curie, Rosa Montero se penche alors sur le destin incroyable de cette femme brillante, cette amoureuse passionnée qui a su s'imposer dans un monde d'hommes à une époque où les préjugés étaient particulièrement difficiles à combattre et qui décrochera par deux fois le prix Nobel, l'un de physique et l'autre de chimie.

Ce qui a convaincu Rosa Montero d'écrire sur cette femme d'exception, ce ne sont pas tant ses brillantes découvertes concernant la radioactivité, le radium ou le polonium, mais les profondes similitudes qu'elle perçoit entre leurs deux histoires. L'auteur a le sentiment de se retrouver dans certains bouleversements de la vie de Marie Curie, notamment celui de la perte de son mari, Pierre Curie, décédé brutalement suite à un accident de la route. Elle-même vient de perdre son conjoint des suites d'une longue maladie et parvient difficilement à faire son deuil. En dépeignant la détresse de cette grande scientifique, c'est également sur la sienne qu'elle va travailler.

De fait, l'investissement de l'auteur est tel que l'écriture déborde de sincérité et d'émotions, sans jamais être larmoyante et parvient à toucher le lecteur droit au coeur. Une tendresse et une profonde empathie pour les deux femmes se forment au fil du texte et lient intimement le lecteur à son propos. Sans être vraiment une biographie sur Marie Curie, « L'idée ridicule de ne plus jamais te revoir » nous donne néanmoins un large aperçu de ce que fût sa vie, les obstacles qu'elle a pu rencontrer, sa rage de vivre et d'apprendre, son caractère strict et néanmoins passionné, sa difficulté à être femme, mère et chercheuse à la fois, son amour pour son travail au détriment des risques de radiation…

A travers le portrait intimiste de cette femme d'exception, Rosa Montero rend un magnifique hommage, empreint de respect et de bienveillance, à toutes ces femmes d'avant-garde, ces féministes courageuses qui ont défendu chèrement leur place dans une société machiste. Un roman bouleversant et intense, sur le deuil mais aussi, et surtout, sur la vie, véritable hymne à l'amour et à la liberté.


Challenge Variétés : Un livre publié cette année
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Après Alan Turing journée spécial génie de la science avec un livre sur Pierre Curie, enfin plutot sur sa femme Marie. En effet, en avril 1906, lorsque Pierre Curie, renversé par une voiture à cheval, meurt écrasé (ce que j'ignorais totalement du reste). Marie Curie, restée seule avec ses deux petites filles, rédige au cours de l'année qui suit un bouleversant journal d'une vingtaine de pages.

Dans son nouveau livre, la romancière espagnole Rosa Montero ( auteur entre autres du très beau "Des Larmes sous la pluie" ) croise de bien habile façon le récit de la vie de Marie Curie après son deuil, avec quelques anecdotes personnelles issues de sa propre vie à elle. Axé sur une langue forte, qui prend le risque de dérouter le lecteur,ce roman à mi chemin entre l'autofiction, la biographie et le roman est surtout ( deux ) très beaux portraits de femme, qui dit des choses profondes et justes sur le couple et le difficile travail de deuil.

Un beau livre, puissant et exigeant, à retenir parmi les nombreuses sorties de ce début d'année 2015!!!
Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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«Feindre est le propre du poète./Il feint si complètement/Qu'il arrive à feindre qu'est douleur/La douleur qu'il ressent vraiment» (Fernando Pessoa, cité par l'auteure). Voilà peut-être qui pourrait définir, selon Rosa Montero, la démarche de l'artiste quand, par l'intermédiaire de ses créations imaginaires, celui-ci cherche à «ressentir sa propre douleur» en la feignant et en la construisant «avec ces mots qui collent les choses à leur place, qui complètent, qui consolent, qui calment, qui vous rendent conscient d'être vivant».
Avant de se lancer dans l'écriture hasardeuse de ce livre, Rosa Montero n'arrivait pourtant plus à se mentir-vrai, ni à feindre sa propre douleur : elle venait juste de prendre la décision d'abandonner le roman qu'elle était en train d'écrire, dont l'idée avait surgi et commencé à être développée durant les mois éprouvants de la maladie qui allait lui ravir son mari, Pablo.
C'est alors que son éditrice la sollicite pour écrire la préface d'un petit volume consacré au journal rédigé par Marie Curie au cours de l'année qui a suivi la mort de son mari, Pierre Curie. Rosa lit le texte et, nous dit-elle, est littéralement «happée».
La douleur confine au silence, vous enlève les mots. «La douleur véritable est indicible». Rosa s'accrochera à ceux de Marie Curie pour essayer de sortir du mutisme dans lequel elle s'était enfermée depuis la mort de Pablo, pour se sentir moins seule aussi («La peine aigüe est une aliénation. La sagesse populaire le dit bien : Untel est devenu fou de douleur»), pour tenter, enfin, de faire remonter à la surface tangible de son intellect «ces idées à moitié formées qui ondulent au bord de la conscience, comme des poissons nerveux et glissants» et ayant essentiellement pour but de rejeter l'inconcevable. Telle cette idée de ne plus jamais revoir Pablo : «une mauvaise blague, une idée ridicule», dont elle trouvera chez Marie Curie un écho parfait dans cette autre pensée tout aussi aquacole consignée dans le journal de deuil de cette dernière: «Quelquefois, l'idée absurde que tout cela est une illusion et que tu vas rentrer. N'ai-je pas eu hier en entendant fermer la porte d'entrée l'idée absurde que c'était toi». Peut-être voudrait-elle de la sorte apprendre avec Marie à mieux conjuguer cette absence, l'apprendre par (le) coeur d'une fois pour toutes, et pouvoir ainsi récupérer ses mots engloutis avec ceux du deuil, dans le puits sans lumière de sa douleur.
Depuis cette rencontre hasardeuse (vraiment ?), l'idée du livre a germé spontanément dans son esprit, et finit par s'imposer. Elle sait alors ce qu'elle doit absolument écrire avant de pouvoir envisager l'écriture de toute autre chose : raconter l'histoire de Marie Curie «à sa façon», et celle de son deuil à elle, Rosa, aussi ; elle veut écrire à la fois «son» histoire de Marie Curie et sa propre histoire, l'histoire de Marie lui servant en l'occurrence, nous dit-elle, «comme d'un mètre étalon» pour comprendre la sienne. Exercice, réussi de mon point de vue, à la fois de biographie et d'essai autobiographique, ce mélange curieux de genres s'entrelacera tout naturellement, avec fluidité, sans heurts.
C'est ainsi que, au-delà des mots de douleur liés au deuil et partagés par les deux femmes, d'autres, emblématiques du parcours et de la personnalité fascinante de la scientifique polonaise, deux fois prix Nobel, «personnage hors norme qui semble plus grande que la vie», viendront progressivement intégrer le récit de Rosa Montero, créant une sorte de courant, de «continuum spirituel» plus large entre elles, et permettant à Rosa de s'approprier à nouveau ses mots, qui s'étaient dispersés et «tournaient dernièrement dans (sa) tête comme des chiens errants». L'auteure s'y accrochera avec détermination, non seulement pour réussir à éloigner donc définitivement ces chiens d'Artémis qui rodent encore autour de sa maison, mais aussi, pour ré-apprivoiser les siens, qu'elle avait abandonnés à leur sort depuis la mort de son mari et qu'elle continue, malgré tout, d'entrepercevoir errant, affamés de vie et de légèreté autour de son esprit brisé par le deuil.
L'auteure voudrait pouvoir s'astreindre à écrire son livre de manière totalement «libre, sincère», sans fard, sans feindre. Mais peut-on écrire «en apesanteur parfaite»? En fin de compte, pas tout à fait, avouera-t-elle, ne serait-ce parce qu'«il y a des liens personnels profonds dont (on) ne désire pas, ou dont (on) ne sait pas (se) détacher». Elle finira ainsi par supprimer volontairement des paragraphes racontant des scènes qui ne lui appartenaient pas exclusivement, mais à Pablo aussi («j'ai n'ai pas pu briser ce noyau dur d'intimité parfaite et silencieuse entre lui et moi»). «Intimité» : notion malmenée de nos jours, s'il en est, et que l'auteure inclura par ailleurs parmi les divers hashtags qu'elle épingle (ironiquement ? je ne crois pas, ou pas que...) tout au long du récit : #Intimité. Ces mots-hashtags, assez nombreux et répertoriés en fin d'ouvrage (une vingtaine, environ, allant de #Ambition à #HonorerSesParennts, #Mutante ou encore #Légèrete, pour ne citer que ceux-là) seraient-ils en quelque sorte les laisses dont elle se serait librement servi pour mieux capturer ces idées «tournant comme des chiens errants» dans son esprit ? J'avoue avoir été un peu gêné au début de ma lecture par ce qui m'avait semblé toute de suite comme une concession trop facile à l'air du temps. Quoi qu'on en pense, au fur et à mesure qu'on avance, et probablement en grande partie grâce à la constance manifestée par l'auteure vis-à-vis de sa recherche de sincérité et de liberté de ton, on ne peut qu'admirer l'entreprise de cette femme dotée d'une intelligence émotionnelle et d'une intuition remarquables, admirer sa plume sensible, directe et décomplexée qui, par le biais d'«insights» étonnantes, réussit à approcher avec une justesse incroyable des sentiments aussi ineffables et paradoxaux que le deuil d'un proche, et à frôler avec autant d'aisance l'essentiel d'une vie , «au coin de ses mots», sans aucune prétention, droit et simplement.
Plutôt qu'au récit de la grande histoire, « les grands évènements, les actes de poids, la solennité et l'ambition» d'une vie, Rosa Montero s'attelle ainsi davantage à scruter ce qui aurait pu se cacher derrière l'image publique de dureté et d'endurance résignée de la grande Marie Curie, et que véhiculent notamment la plupart de ses biographies consacrées, ou derrière ces portraits peu avenants et exposant à notre regard une femme avec «un front volontaire, des sourcils froncés, une bouche serrée par l'effort», qui ne sourit jamais et qui, «quand elle n'est pas droite et sèche comme un coup de trique, affiche une expression résolument triste». L'essentiel d'une vie, ne serait après tout qu'une «question de narration» se demande-t-elle? En se cherchant elle-même dans l'image de son modèle, dans un acte de pure création et en miroir, Rosa réussit à superposer, à forger une autre version crédible à cette image figée d'un combat de vie aigre et d'une personnalité froide dans laquelle la postérité de Marie Curie semble l'avoir définitivement enfermée. En même temps, c'est d'elle-même dont il s'agit au fond, c'est à elle-même qu'est adressée in fine cette tentative de faire émerger un récit imaginaire et «consolateur».
Pour conclure ce billet, écoutons-la, à mon avis on ne pourrait pas mieux dire : «Les êtres humains sont tous de romanciers, et par conséquent je le suis doublement puisque, en plus, je me consacre à écrire. J'écris des romans dont les péripéties n'ont rien à voir avec moi, mais qui représentent fidèlement mes fantasmagories. Et maintenant qu'avec ce livre j'ai essayé de dire toujours la vérité, peut-être ai-je fini par écrire en fait bien plus de fiction».


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