La guerre de l'ex-Yougoslavie parait lointaine. C'était il y a vingt ans. On ne comprenait pas exactement les enjeux et les implications d'un conflit qui n'opposait pas un régime dictatorial à un peuple mais des communautés, des ethnies, des territoires. Une guerre multidimensionnelle en somme, avec un paramètre communautaire qui s'est imposé avec force lorsqu'on a découvert des camps de concentration serbes enfermant des bosniaques décharnés.
Dés lors, il fallait réagir. Les États occidentaux, les casques bleus de l'ONU mais aussi de simples citoyens ont pris la route pour les Balkans. Une seule route relie la Bosnie au reste du monde, c'est
la route du salut.
C'est sur cette même route hasardeuse, semée d'embûches et d'obstacles que se sont engagés Mosko, étudiant à Nanterre nouveau converti à l'islam et Fahrudin, fils d'immigré bosniaque.
L'auteur dépeint dans ce roman ô combien réaliste le parcours de deux jeunes hommes qui tâtonnent, ou n'ont pas su tracer les contours de leur trajectoire en France. L'un est rêveur et idéaliste, il a préféré abandonner le punk et les Sex Pistols pour le Coran le jour où il a considéré pouvoir y puiser une expérience de vie inédite et sans compromis. L'autre est nostalgique, il puise dans la chaleur de ses souvenirs d'enfance en Bosnie des sensations familières.
Confrontés à la réalité de la guerre, ils découvrent que l'itinéraire de leur engagement n'est pas une ligne droite, la route est longue parfois douce parfois cruelle.
De prime abord, on pourrait se dire que c'est un roman dans l'air du temps, une littérature qui s'approprie les questions actuelles qui agitent la société : la revendication identitaire à l'heure de la mondialisation, la quête de l'engagement absolu et immédiat, le rejet de nos sociétés assoupies... C'est vrai. Mais la force de cette fiction est de donner à sentir plus qu'à décrire avec précision.
Sentir chez ces jeunes un peu paumés, un peu en marge de la société le lent processus qui voit germer le radicalisme ou la nécessité de s'engager dans quelque chose susceptible de les transcender. Sans un mot, sans trahir ses personnages, l'auteur confronte les deux jeunes hommes à leur illusion, les pousse à habiter l'identité dans laquelle ils se sont drapés jusqu'à éveiller une prise de conscience ? Les faire grandir ? Leur faire accepter la réalité et ses distorsions ?
Etienne de Montety adopte un style volontairement laconique pour éviter l'écueil d'enfermer le récit dans le manichéisme et la facilité. C'est ce qui lui permet notamment de suggérer que ce sont peut-être les serbes qui ont fait des bosniaques des musulmans, et l'identité religieuse est devenue un moyen de résistance pour ceux qui se considéraient yougoslaves jusqu'à présent.
Par contre, c'est une fiction qui parvient à décrire avec une précision et une authenticité peu communes les combats, l'état d'esprit des combattants avant d'en découdre, la gravité de l'instant sans effet d'hémoglobine ni recourir à des scènes grandiloquentes.
Malgré un début laborieux, c'est un roman très enrichissant avec un éclairage particulier sur la guerre des Balkans.