AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de belcantoeu


Cette tragédie fort shakespearienne rappelle le vieux Roi Lear, mais aussi l'opposition entre Philippe II et Don Carlos, avec en toile de fond le vieux thème du conflit entre amour et raison d'Etat. Dans nombre d'opéras, les pères veulent imposer à leur fille le gendre de leur choix. Ici, c'est son fils Pedro que le vieux roi Ferrante du Portugal voudrait contraindre à épouser l'infante de Navarre pour consolider les alliances de son pays. Pedro refuse car il est amoureux d'une roturière, Inès de Castro (jouée lors de la création, le 8 décembre 1942, par Madeleine Renaud). Qu'à cela ne tienne lui répond son père, rien n'empêche de cumuler une épouse dynastique et un amour moins officiel. Rien de plus simple! Et l'infante, mise au courant, n'y verra pas d'inconvénient! Là encore, refus de Pedro, mais aussi d'Inès avec qui le Roi a une conversation au cours de laquelle il est subjugué par la bonté et les qualités d'Inès, mais ça ne suffit pas à lui faire abandonner son projet de mariage d'Etat.
Il apprend bientôt par Inès, plus courageuse que Pedro, que les jeunes gens ont été mariés secrètement par l'évêque de Guarda. Ferrante enrage car le pape n'acceptera pas facilement l'annulation du mariage. Il va réagir différemment envers les trois «coupables». Pedro est arrêté, Inès reste libre, et l'évêque de Guarda devra être exécuté. Trois conseillers de Roi se relayent pour lui conseiller cyniquement de faire plutôt exécuter Inès («Lui faire donner quelque viande qui ne soit pas à sa complexion, serait très à l'avantage de votre Majesté... Les actes ne demeurent pas aussi longtemps qu'on le croit... un seul être vivant, qu'il suffirait de supprimer pour que tout se dénouât...»). Si vous ne le faites pas, lui disent-ils en touchant son point faible, vous montreriez votre faiblesse. Il résiste, mais à la sortie du conseil, commence à hésiter. Ses conseillers ont visé juste. Il doit se montrer fort et peut-être changer d'avis («Aujourd'hui et demain ne sont pas fils de la même mère».
Inès apprend le danger par l'infante, à qui s'est confié un jeune page qui écoute aux portes. La belle figure de l'infante propose à Inès de la suivre en Navarre où elle serait en sécurité (« La chaine de vos médailles a appuyé sur votre cou et l'a marqué d'une raie rouge. C'est la place où vous serez décapitée»), mais la jeune femme refuse courageusement «Si j'avais une aile, ce ne serait pas pour fuir mais pour protéger». Bientôt, on apprend plus qu'un détail par une réplique de Pedro à Inès «Je n'ai osé lui avouer que nous étions déjà mariés, ni que ce mariage allait faire en vous son fruit». C'est à nouveau Inès, plus courageuse, qui informe le Roi, et cette fois, il cède à la colère et donne ses ordres, mais à regret: «Faites la chose d'un coup... je veux qu'elle ne souffre pas». Bientôt, on ramène le cadavre d'Inès sur une civière, et le Roi, au corps usé (et l'âme aussi) meurt à son tour, disant à son perfide conseiller: «Dans un instant, je serai mort, et la patte de mon fils se sera abattue sur toi».
«Le cadavre du Roi reste seul»: dernière ligne de la pièce.
L'infante et le Roi sont les deux grands caractères de la pièce. L'infante ne se pose pas en rivale d'Inès qui est douce, et lui propose en vain son aide.
Montherlant écrira 12 ans après : «Toute la pièce est dominée par la figure du roi Ferrante, qui grandit à chaque acte et semble lentement se séparer de l'humain jusqu'à l'instant où il tombe... L'inconsistance de Ferrante est une des clés de la Reine morte».
«Vouloir définir le Roi, c'est comme vouloir sculpter une statue avec l'eau de la mer» dira Pedro dans une des répliques fortes de la pièce.
Autres répliques du Roi Ferrante: «J'ai remarqué que l'on tue presque toujours trop tôt. Encore quelques jours et le tué n'était plus si coupable. Beaucoup d'assassinats sont des malentendus» et «Aux chefs d'Etats, on demande volontiers d'avoir de la charité. Il faudrait aussi en avoir un peu pour eux. Lorsqu'on songe aux tentations du pouvoir absolu, cela demande le respect».
La pièce De Montherlant, est d'une magnifique écriture, pleine de verve. Elle se fonde librement sur l'assassinat du roi du Portugal Alphonse IV (Ferrante), père de Pedro 1er, qui a fait assassiner Inès de Castro.
Quel bonheur de relire ces classiques en ces temps de confinement!
Commenter  J’apprécie          105



Ont apprécié cette critique (7)voir plus




{* *}