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Critique de Aline1102


Londres, 1893.

Arthur Conan Doyle ne supporte plus le personnage de Sherlock Holmes, son célèbre détective. Désireux de s'en débarasser, il décide de lui offrir une dernière aventure au cours de laquelle Holmes sera tué. Ensuite, Conan Doyle sera libre et pourra écrire ce qu'il voudra.

New York, 2010.

Harold White vient d'être admis dans la société des Baker Street Irregulars, la plus célèbre association de fans de Sherlock Holmes. Débordant d'enthousiasme, Harold participe à la convention annuelle de ces Sherlockians lorsque l'on apprend que l'un des plus érudits d'entre eux, Alex Cale, a été assassiné. Cale avait trouvé le journal disparu de Conan Doyle et, depuis cette découverte, il se prétendait suivi et épié par de mystérieux inconnus...

Fort de son expérience d'enquêteur glanée au fil de ses lectures, Harold décide de résoudre le mystère de la mort de Cale.


The Sherlockian est en réalité bien plus qu'un polar. Quand on y réfléchit bien, Graham Moore soulève de nombreux points intéressants par le biais des réflexions de ses différents personnages. A travers la vie et les actes d'Arthur Conan Doyle, ce sont nos réflexes de lecteur/lectrices qui sont notamment mis en évidence.

Conan Doyle semble, au début du récit, jaloux du succès de Sherlock Holmes. Les gens lui envoyent des lettres adressées au célèbre détective et lui demandent (du moins le demandent-ils à Sherlock Holmes) de retrouver des chats que l'on a perdu ou de résoudre des mystères apparemment insondables. Les autographes signés Sherlock Holmes ont bien plus de succès parmi les fans que ceux mentionnant Arthur Conan Doyle. Dans l'inconscient collectif des Londoniens, Sherlock Holmes est devenu un personnage en chair et en os, Arthur Conan Doyle n'étant que le chroniqueur des aventures de ce fin limier.

On comprend, dès lors, la colère de Conan Doyle qui souhaite être reconnu pour lui-même et non passer au second plan par rapport à un personnage de fiction qu'il a fini par détester. Ce doit être dramatique, pour un auteur, d'être méprisé alors que la créature à laquelle il a donné vie est adulée.

Alors, Conan Doyle décide de tuer Sherlock Holmes. Et c'est le drame. Londres est en émoi et la population porte le deuil de Sherlock Holmes. C'est à ce moment du récit surtout que les questions sur la lecture commencent à affluer. Comment peut-on s'attacher à ce point à un personnage de fiction ? Pourquoi haïr l'auteur qui lui offre une fin honorable lors d'une dernière aventure ? Il ne me serait jamais venu à l'esprit, par exemple, d'agresser J.K. Rowling si je l'avais (par le plus grand des hasards) croisée en rue après qu'elle ait supprimé certains personnages de Harry Potter. La rancoeur mêlée de chagrin des fans de Sherlock Holmes est donc difficile à comprendre...

Et puis, Moore replace les événements dans leur contexte grâce à quelques petites phrases glissées dans des conversations variées, et l'on comprend mieux le ressenti des Londoniens. A l'époque victorienne, qui est celle de Sherlock Holmes, peu de distractions s'offrent à la population. C'est encore plus vrai lorsqu'il s'agit des plus pauvres des Londoniens, comme ceux que Conan Doyle recontre dans l'East End. Les aventures de Sherlock Holmes, qui paraissaient sous forme de nouvelles dans le Strand, offraient un dérivatif à la morosité de la vie de certaines personnes et étaient, de plus, accessibles à un grand nombre de lecteurs, qui ne devaient pas débourser trop d'argent pour acheter un journal (sur ce point, j'ai particulièrement apprécié la scène finale, les deux ouvriers mettant leurs maigres ressources en commun afin d'acheter un exemplaire du Strand et de lire la nouvelle aventure de Sherlock Holmes).

Peu à peu, alors qu'il enquête avec son ami Bram Stoker sur les meurtres de jeunes filles commis à Londres, Conan Doyle se rend compte de ce que Sherlock Holmes signifiait pour la population. Ses conversations avec de nombreux admirateurs vont lui ouvrir les yeux. Et le fait d'enquêter sur une affaire de meurtres va le rapprocher de ce détective qu'il déteste : Conan Doyle se retrouve à penser comme Sherlock Holmes et à tenter d'appliquer ses méthodes à sa propre enquête.

Si la lecture occupe une place importante dans The Sherlockian, les auteurs sont également bien présents. Outre Arthur Conan Doyle, j'ai déjà mentionné la présence de Bram Stoker. Ami fidèle de Conan Doyle, Stoker va l'aider non seulement dans son enquête, mais aussi le pousser à se " réconcilier " avec Sherlock Holmes.

A l'époque évoquée par Moore, Stoker n'est pas encore le célèbre auteur de Dracula. Ce roman existe déjà en tant que brouillon (Conan Doyle évoque un manuscrit que Stoker lui a fait lire, parlant de goules et d'un sinistre comte suçant le sang de ses victimes), mais les tentatives de Stoker pour faire publier certaines de ses histoires n'ont pas encore été couronnées de succès.

Au fil du récit, ces deux amis deviennent bien sympathiques et Moore parvient à les rendre réellement attachants. Et comme si cela ne suffisait pas de réunir Conan Doyle et Stoker dans un même roman, l'auteur nous offre une surprise supplémentaire : l'ombre d'Oscar Wilde qui plâne sur le récit à deux reprises. Avec, en prime, une tirade très émouvante de Bram Stoker lorsqu'il apprend la mort De Wilde :

(Bram Stoker évoque, avec Conan Doyle, la possibilité pour ce dernier d'écrire de nouvelles aventures pour Sherlock Holmes)

" 'I don't care whether you do or not', said Bram. 'But you will, eventually. He's yours, till death do you part. Did you really think he was dead and gone when you wrote The Final Problem ? I don't think you did. I think you always knew he'd be back. But whenever you take up your pen and continue, heed my advice. Don't bring him here. Don't bring Sherlock Holmes into the electric light. Leave him in the mysterious and romantic flicker of the gas lamp. He won't stand next to this, do you see ? The glare would melt him away. He was more the man of our time than Oscar was. Or than we were. Leave him where he belongs, in the last days of our bygone century. Because in a hundred years, no one will care about me. Or you. Or Oscar. We stopped caring about Oscar years ago, and we were his bloody friends. No, what they'll remember are the stories. They'll remember Holmes. And Watson. And Dorian Gray. "

(" ' Je me fiche que tu le fasses ou pas, ' dit Bram. " Mais tu finiras par le faire. Il est à toi, jusqu'à ce que la mort vous séparent. Tu pensais réellement t'en être débarassé pour de bon lorsque tu as écrit le Problème Final ? Je ne crois pas que tu le pensais. Je crois que tu as toujours su qu'il reviendrait. Mais le jour où tu reprendras ton stylo et continueras à composer ses aventures, tient compte de cet avis. Ne l'amène pas ici. N'amène pas Sherlock Holmes dans une pièce éclairée à l'électricité. Laisse-le dans la lueur mystérieuse et romantique des lampes à gaz. Il ne peut pas vivre ici, tu comprends ? L'éclat de la lumière l'estomperait. Il appartient plus à cette époque qu'Oscar. Ou que nous. Laisse-le là où il vit, dans les derniers jours du siècle passé. Parce que, dans un siècle, personne ne se souciera de moi. Ou de toi. Ou d'Oscar. Nous avons cessé de nous soucier d'Oscar il y a des années, alors que nous étions ses amis. Non, ce dont les gens se souviendront, ce sont des histoires. Ils se souviendront d'Holmes. Et de Watson. Et de Dorian Gray. ")

Il aurait pu ajouter " And Dracula. " Mais même lui, à ce moment-là, ne croyait plus à la publication de son roman...

Les écrivains ne sont pas les seuls héros de ce récit. Harold White est également un personnage essentiel, même s'il se rapproche plus de l'anti-héros.

Harold est un personnage très sympathique. Passionné par Sherlock Holmes depuis son plus jeune âge, il donne l'impression de n'avoir vécu sa vie que pour intégrer les Baker Street Irregulars. Et quand Alex Cale est retrouvé mort, Harold n'hésite pas une seule seconde : avec toute l'expérience qu'il a accumulée en dévorant les aventures de Sherlock Holmes et d'autres polars, il devrait être capable de résoudre le mystère. Et de retrouver, du même coup, le journal disparu de Conan Doyle, qui semble avoir été volé par le meurtrier de Cale.

Au début, ce projet semble un peu fou. Comment un fan de Sherlock Holmes pourrait-il résoudre une vraie enquête ? Mais, petit à petit, secondé par Sarah, une jeune femme qui se prétend journaliste, Harold avance et trouve des pistes auxquelles la police n'aurait même pas pensé. Il faut dire que le meurtre de Cale rappelle certains éléments des aventures de Sherlock Holmes et que la connaissance encyclopédique d'Harold sur ce sujet l'aide beaucoup.

Personnages sympathiques, ambiance d'époque. Rien que pour cela, The Sherlockian vaut la peine d'être lu. Ajoutez les éléments biographiques dont Graham Moore s'est inspiré pour reproduire les personnages de Conan Doyle et de Stoker, et vous aurez compris pourquoi ce roman est totalement passionnant. A découvrir !
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