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Critique de LesNotesdAnouchka


Alan Moore, vous connaissez ? Non ? Et si je vous dit, allez, au hasard, V pour Vendetta, Watchmen, From Hell, ça vous parle un peu plus ? Aaah, voilà. Parce que ce cher monsieur est le scénariste de ces BD, excusez-moi du peu !

La Voix du Feu est un recueil de 12 nouvelles qui content sur près de 6000 ans l'histoire de la ville de Northampton, initialement publié en 1996, et paru en 2019 aux Éditions ActuSF dans la collection de poche Hélios. Je remercie vivement l'éditeur pour l'envoi de cette oeuvre magistrale et inclassable en SP.

Toi lecteur qui t'apprêtes à ouvrir ce livre, sache que tu vas entrer dans un univers proche du nôtre, une réalité cruelle et viciée interprétée via le prisme du mysticisme. Ici règne la folie, aux limites (parfois allègrement franchies) du surnaturel. Ici, il faut prendre garde aux mauvais présages, aux visions, et surtout se méfier de son prochain.

Si les histoires qui composent La Voix du Feu, narrées à la première personne, se déroulent à des époques très différentes, elles sont néanmoins intelligemment liées de tant de façons qu'une seule lecture ne suffit pas pour tout appréhender, et qu'il s'agit bien ici d'un ensemble, à la limite du fix-up. Ce qui relie ces récits, outre la ville malfamée de Northampton à L Histoire jonchée de meurtres et autres rituels aux consonances morbides, ce sont les mythes et légendes. La petite histoire qui se répète à travers les âges. le crime originel qui a des répercussions encore des milliers d'années plus tard. Les rituels qui sont toujours les mêmes, effectués à la même époque de l'année, mais dont le sens s'est perdu pour mieux se réinventer. Un cercle de sang, de sexe et de crasse.

La galerie de personnages mis en scène nouvelle après nouvelle, tous plus surprenants les uns que les autres, n'est pas très agréable à contempler et encore moins sympathique. Parce qu'ils sont humains, et pas dans ce que l'humain a de plus noble ; plutôt globalement dans ses gros travers. Attention, si vous aimez les personnages nuancés, criminels, fous, illuminés, mesquins, perdus, à la psychologie toujours complexe, vous risquez d'apprécier fortement cette oeuvre. Nul héros ne franchira ces pages (par contre y'a des vrais salauds).

Par ailleurs, à noter parmi les éléments qui relient l'ensemble de ces textes : le corps qui, dans toute sa bestialité, est central. le corps couvert de pisse, de merde, de boue. le corps malade, estropié. le corps en décomposition, le corps mort. le corps jeune, vieux. Beau ou laid. le corps qui pue. le corps empli de désir ou désiré. le lecteur se retrouve ainsi très intimement lié avec les sensations corporelles de chacun des personnages qu'il suit, pour le meilleur et surtout pour le pire.

J'ai décidé de prendre mon courage à deux mains, me retrousser les manches et de vous parler de chaque nouvelle. Afin de ne pas pondre un article-fleuve indigeste, cette chronique est donc coupée en deux avec 6 nouvelles en première partie et 6 nouvelles en deuxième partie. Je vous les présente dans l'ordre de lecture qui semble le plus évident à priori : l'ordre chronologique. Mais sachez qu'une des forces de cet ouvrage est que vous pouvez en lire les récits dans n'importe quel ordre. Simplement, votre expérience de lecture sera probablement différente de la mienne car vous n'effectuerez pas les mêmes liens au même moment. Mais très honnêtement, débuter par la dernière et les lire dans l'ordre dé-chronologique (ça se dit ça ?), ou les piocher au hasard, est une expérience qu'il me semble intéressante à tenter !

Le cochon de Hob - 4000 av J.-C.

Sans aucun doute la nouvelle la plus difficile d'accès, puisqu'elle nous place directement dans la tête d'un personnage qui souffre d'un fort retard mental, possède un langage extrêmement rudimentaire et ne fait pas la différence entre rêves, hallucinations et réalité. le lecteur est avec lui dans l'immédiateté, plongé dans les pensées d'un personnage qui décrit ses ressentis au moment où il les perçoit et avec un vocabulaire très limité.

Notre narrateur est un jeune homme, ou jeune adolescent, dont on ne saura ni le nom, ni l'âge, issu d'une tribu nomade et qui vient de perdre sa mère. Incapable de travailler ou même d'aider, inutile à la survie collective, son groupe le rejette. Il va donc tenter de s'en sortir seul.

Le cochon de Hob est la nouvelle qui pose la plupart des éléments qui constitueront la mythologie de ce recueil, un récit fondateur en quelques sortes. L'auteur y dépeint des hommes capables d'une incroyable cruauté envers quelqu'un qui n'est pas à même de comprendre, et encore moins se défendre. Mais également une réalité où vivre seul, sans un groupe en soutien, sans personne qui tienne à soi et se porte garant pour soi auprès des autres, est extrêmement difficile. La chute, que je n'ai pas vue venir, est quant-à-elle glaçante. du genre qui apporte un nouvel éclairage au récit.

Néanmoins, comme je le disais, cette longue nouvelle (58p.) est difficile d'accès. N'hésitez pas à passer à la deuxième et à y revenir ultérieurement si vous sentez qu'elle constitue un frein à votre lecture.

Les Champs de crémation - 2500 av. J.-C.

Deux jeunes femmes qui voyagent séparément se croisent près d'une rivière. L'une, Oussine, explique à l'autre qu'elle doit rejoindre le père qu'elle n'a jamais connu et qui, à l'approche de la mort, souhaite la rencontrer. Peut-être pour lui confier un héritage ?

Oussine arrive au village de Pont-dans-la-Vallée et demande à rencontrer son père, Olune. Il s'agit de l'homme-Hob, sorte de druide/chamane, gardien des croyances, des trésors et des secrets de sa vallée. Son fils, Garn, qui devait lui succéder, s'est détourné des croyances anciennes. Ainsi, à l'approche de la mort, l'homme-Hob souhaite former sa fille afin de perpétuer un savoir vieux de plusieurs millénaires.

Cette longue nouvelle (74p.) est une grosse claque. Tout d'abord parce qu'elle place le lecteur dans la tête d'un des personnages les plus tordus que mon chemin de lectrice m'ait amenée à croiser (Mycroft Canner de Trop Semblable à l'Éclair a de la concurrence), et ensuite parce que l'auteur est parvenu à me faire éprouver une forme d'empathie très bizarre pour ce personnage grâce à une excellente maîtrise du suspense. Sorte de thriller teinté de surnaturel, Les Champs de crémation possède également un second niveau de lecture, centré sur l'évolution des croyances et traditions.

Par ailleurs, l'auteur sait planter un décor et narrer des éléments presque banals de la vie quotidienne en y instillant juste ce qu'il faut de tension et de suspicion, de non-dits, avec une subtilité et un talent fou. On y croit et on est directement happé dans l'atmosphère étrange du village et de la vallée, on est pris par le doute, on guette les signes afin de deviner ce qu'il risque de se passer. Et on observe ce personnage qui cherche à se rassurer en se raccrochant à sa vision rationnelle du monde, mais que son instinct prévient d'un danger.

Contrairement au Cochon de Hob, qui se posait du côté des récits fondateurs, Les Champs de crémation serait plutôt annonciateur de changement.
(...)
Lien : http://lesnotesdanouchka.com..
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