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Alan Moore... Non, je vénère
Alan Moore, serait plus juste. Watchmen et Promethea en particulier, que je considère être des chefs-d'oeuvre absolus. J'attends encore le bon moment pour attaquer son pavé de
Jérusalem, et en attendant j'ai lu
La Voix du Feu.
C'est un pseudo-roman, composé de 12 nouvelles qui s'étalent de 4000 ans avant J-C à 1995, qui se déroulent toutes à Northampton (là où vit Moore) et qui sont liées entre elles par des occurrences, des auto-références plus ou moins cryptiques.
C'est du très bon travail,
Alan Moore oblige, c'est ciselé, admirable. Les connexions entre les nouvelles donnent du mystère, le panorama temporel exploré donne lieu à une grande variété, et Moore adapte à merveille son style littéraire à chaque époque et personnage... La nouvelle la plus frappante concernant le style est sans aucun doute la première, où nous sont livrées les pensées d'un jeune homme préhistorique (probablement un des moins favorisés sur le plan cognitif, d'ailleurs), avec une grammaire hyper restreinte ; c'est un début assez difficile pour le lecteur qui doit s'adapter mais l'expérience m'a plu. Après ça, tout se lit sans accroc.
Je ne donnerai pourtant que 3 étoiles à
La Voix du Feu. Avec la dernière nouvelle, Moore dévoile les tenants et aboutissants de sa démarche avec ce pseudo-roman, et ce qu'on y lit est bien ce que je craignais pendant toute ma lecture...
Moore s'est servi de l'histoire, et des petites histoires surtout, qui circulent depuis longtemps dans la ville de Northampton, pour en faire un mythe d'une religion inconnue, présente qu'on le veuille ou non dans les esprits, consciemment ou inconsciemment, chez les habitants les plus réceptifs et/ou fous, les conduisant à des aventures fantastiques et souvent néfastes.
Il s'en dégage un charme indéniable, et certaines nouvelles restent vraiment à l'esprit avec des impressions vives.
Ce qui me rend mitigé sur tout ça, c'est que Moore se serve de "coïncidences", d'occurrences entre les nouvelles, pour illustrer son propos sur la puissance des occurrences et coïncidences dans la vie réelle. Je vois ce serpent qui se mord la queue (auquel
Neil Gaiman, dans sa préface, fait référence en estimant que les nouvelles peuvent être lues dans un sens comme dans l'autre, par le début ou par la fin, car elles forment un cercle), je vois donc cet ouroboros littéraire, et je trouve que Moore y a perdu de sa superbe. Avec Watchmen, comme avec Prométhéa, Moore avait mis cette obsession des coïncidences subtiles au service d'un récit qui parlait d'autre chose, donnant de la puissance à ses idées. Ici, dans
La Voix du Feu, cela a beau être judicieux, le fond et la forme étant parfaitement en symbiose, ça ne fait que servir à illustrer une idée qui par essence devrait être : ou bien fictionnelle, ou bien réelle. Je parle de cette idée des coïncidences intrigantes ; ou bien on parle du réel, et on voit des coïncidences et c'est super mystérieux et tout, ou bien on crée une fiction habilement intriquée de coïncidences qui la rendent plus profonde. Mélanger les deux, c'est ôter au réel sa force, et l'injecter dans une fiction qui ne sert en définitive qu'à rendre une version amoindrie de cette force au réel initial. Cela appauvrit le réel. J'ignore si je me fais bien comprendre... Moore prend des éléments impressionnants du monde réel, les modifie pour en faire une fiction qui brode bien au-delà, pour finalement nous ramener au réel, sauf que
La Voix du Feu nous a montré une vision améliorée de ce réel et ce réel nous déçoit là où il aurait pu nous impressionner.
Le sujet de la synchronicité, ces coïncidences troublantes, est sans doute le plus inadaptable en fiction ! On cherche à montrer la force des coïncidences en créant de toutes pièces un livre de coïncidences ! Mais c'est de la fiction, ces coïncidences sont inventées pour coïncider, c'est absurde ! Pour moi
Alan Moore s'est perdu dans son délire, sur ce coup.
Reste un ouvrage audacieux en matière de styles et qui nous fait bien vivre des moments mémorables. Un bon bouquin. Juste : pas le chef-d'oeuvre escompté pour moi. J'ai quand même hâte de me mettre à
Jérusalem :-)