Comme le disait Dostoïevski, « il faut aimer la vie plutôt que le sens de la vie « . Il nous faut aimer la vie par- dessus tout, et de cet amour naîtra peut-être un sens. Mais « si cet amour de la vie disparaît, rien ne peut nous consoler « .
Si l’amour tient tout entier dans les souvenirs, et si les souvenirs s’ancrent dans des lieux, alors l’amour s’enracine dans ces paysages.
Ces lieux secrets et sûrs qui ont un sens pour nous : un chemin usé par nos pas au bord de la rivière, un bosquet de roses trémières auquel s'attachent le pollen et l'essaim d'abeilles.
La tristesse est un lieu sacré.
La vie éternelle, si elle existe, ne consiste pas à prolonger indéfiniment la durée de notre existence, mais sa profondeur.
Sur l'étagère, quelques recueils - le livre des fougères, le livre des lichens, le Guide des rivières et des étangs - me viennent de ma mère. C'était une femme qui s'émerveillait d'observer la nature et saluait les grenouilles comme de vieilles connaissances, toujours ravie de rencontrer en pleine forêt ce qu'elle ne connaissait que comme une image dans un livre. La toute première pomme de mai, un aperçu de Scorpion dans le ciel au-dessus des montagnes assombries par la nuit, la première rencontre avec une moucherolle vermillon… tous ces phénomènes éveillaient en elle ce que Joseph Wood Krutch nomme "la joie qui ne se laisse pas penser". "Songe donc, s'exclamait-elle, que nous habitons le même univers que le tyran à longue queue". Songe donc. C'était comme si ces mots ouvraient grand leurs bras. Un passerin non pareil. Un scinque des prairies. Des pédiculaires du Groenland, dont les fleurs ressemblent à de petites têtes d'éléphants placées tout le long de leur tige, dans les prés de haute montagne. Des marais remplis de tabac du diable, des choux qui sentent la citronnade. Si ces créatures existent, rien n'est impossible. "Tout simplement fabuleux !" disait ma mère.
Parfois le monde naturel vous fait un don si précieux, si merveilleux, qu'il ne reste plus qu'à demeurer là, en larmes.
L’exultation ressentie devant l’orage n’est peut-être qu’une façon de rendre grâce d’être encore vivant, saint et sauf, d’avoir encore un chez-soi.
Comme le disait Dostoïevski : « Il nous faut aimer la vie, plutôt que le sens de la vie. »
La frontière qui sépare la création de la destruction est ténue, et je ne devrais pas être surprise de découvrir la joie si proche de la crainte.