Ce tome fait suite à Quand vient la nuit (épisodes 25 à 30) qu'il faut avoir lu avant. Dans la mesure où il s'agit d'une histoire complète, il faut avoir commencé par le premier tome. Celui-ci contient les épisodes 31 à 36, initialement parus en 2015, écrits, dessinés et encrés par
Terry Moore. Il s'agit d'un comics en noir & blanc.
Johnny Woodall (la thanatopractrice et responsable de l'institut médicolégal) est appelée sur le site d'un accident de la route. Elle sort de sa voiture sous la pluie et 2 agents lui indique la voiture encastrée dans l'arrière d'un camion transportant des troncs d'arbre, ainsi que la tête de la conductrice qui a été décapitée et se trouve quelques dizaines de mètres avant au milieu de sa file de circulation. Woodall ne comprend pas comment elle a pu appeler le numéro d'urgence de la police, alors qu'elle avait perdu la tête. Avec un cynisme assumé, l'un des policiers demande à l'autre de lui payer l'argent de leur pari, car il avait eu raison de dire qu'elle était en train d'utiliser son téléphone en conduisant. Il faut que Johnny Woodall leur mette l'évidence sous le nez : elle ne pouvait pas utiliser son téléphone après avoir perdu la tête.
Pendant ce temps-là, Rachel Beck rêve qu'elle se tient devant les grilles d'une grande demeure appartenant à l'auteur Carroll Palmer, aux côtés
De Claire, une petite fille. Puis elle rêve qu'elle se réveille 5 ans plus tard et que Zoe Mann est enceinte à quelques semaines d'accoucher. Elle finit par se réveiller alors que Zoe est en train de lui laver les pieds, prenant soin de son corps pendant le coma de Rachel qui a duré 2 semaines. Rachel finit par avouer à Zoe qu'elle a rêvé d'elle enceinte de l'antéchrist. Ailleurs une femme s'est suicidée dans son bain. Un homme s'apprête à se jeter dans le vide depuis le haut du réservoir d'eau potable de la ville.
Terry Moore continue à raconter son histoire comme bon lui semble, donnant à la fois au lecteur ce qu'il attend, mais dans un déroulé totalement imprévisible. Enfin, il évoque le meurtrier de Rachel Beck, enfin il évoque la grossesse de Zoe Mann. Mais la séquence n'a aucun rapport avec celle par laquelle se terminait le tome précédent. le lecteur retrouve également les séquences muettes que l'auteur réalise régulièrement avec une belle assurance (méritée) dans ses capacités de narrateur. Il ne s'agit pas simplement d'images contemplatives, mais bien de pièces indispensables dans le récit. le lecteur éprouve l'impression de se tenir aux côtés de Johnny Woodall quand elle arrive sur la portion de route où se trouvent la voiture accidentée, encastrée dans le camion. Il l'observe en train de regarder la scène de l'accident, tout en regardant comme elle l'environnement, le placement des véhicules, de la tête décapitée, en essayant comme elle de reconstituer le déroulement chronologique des événements. le lecteur sourit en voyant une femme revenir à la vie en sortant de terre dans une clairière qu'il a appris à reconnaître.
Terry Moore a créé un leitmotiv visuel propre à la série, sans se parodier lui-même pour autant. Pendant 8 pages, le lecteur se retrouve dans cette zone dégagée dans les bois, à voir une femme vomir ses tripes, récupérer ses affaires dans un endroit très inattendu, et abuser le premier automobiliste venu avec une apparence inoffensive très bien trouvée.
L'une des autres séquences muettes montre le rapprochement physique et émotionnel de 2 personnages, geste symbolique formalisant la constitution de leur couple, scène aussi banale qu'émouvante du fait de l'implication émotionnelle du lecteur dans ces 2 protagonistes qu'il a appris à connaître et pour qui il ressent de l'affection. L'auteur sait faire naître l'émotion dans une suite de cases banales. Comme dans les tomes précédents, l'horreur ne se trouve pas dans une forme gore ou très graphique, elle se trouve dans les conséquences de la sorcellerie ou de la cruauté. La séquence la plus horrifiante prend la forme d'une page avec 3 cases de la largeur de la page. Un vieil homme bien conservé se tient debout dans un champ et tombe en avant, mort. Cela suffit pour susciter une profonde tristesse devant le sort arbitraire de cet individu pourtant apparu pour la première fois dans ce tome. Cela rappelle aussi de manière discrète que nombre de personnages de la série se conduisent de manière immorale en tuant des innocents en fonction de leurs envies du moment. La véritable horreur du récit se trouve dans cette absence de justice, et dans ces forces (surnaturelles) qui façonnent la vie des individus, sans qu'ils n'aient aucune prise sur elles, aucune influence.
Comme dans les tomes précédents, la distribution est dominée par les personnages féminins : Rachel Beck, Jet (Clara James Adams), Zoe Adams, tante Johnny, une revenante. L'auteur continue de bien s'amuser avec le comportement enfantin de Zoe Mann. Il associe dans le même personnage, une dimension comique (les grimaces qu'elle effectue pour se moquer des attitudes des adultes), et une dimension horrifique car le lecteur ne peut pas oublier qu'il s'agit d'un individu prêt à tuer le premier venu pour résoudre ses problèmes. Moore pousse encore la représentation féminine un peu plus avec l'apparition de plusieurs femmes âgées, plus de 60 ans, voire plus de 70 ans, une catégorie largement sous représentée, tout type de BD confondu. À l'évidence, Lillian Griffith et Dorothy n'ont pas vocation à devenir les Statler et Waldorf (Muppet Show) de la série. Elles disposent de leur dignité d'êtres humains, et de toutes leurs facultés intellectuelles, avec un corps âgé.
Terry Moore réussit à aborder d'autres aspects de la vie en société complètement improbables dans le contexte d'un comics, comme l'aide aux personnes malades (Zoe lavant le corps de Rachel dans le coma), ou la maternité (Zoe risquant de devenir enceinte contre son gré). Il le fait sans aucune exagération dramatique ou tragique, les montrant comme des facettes normales de la vie humaine.
Indépendamment du mode de narration, le lecteur est avant tout content de retrouver les personnages dont il est devenu familier. Rachel Beck reste une jeune femme magnifique, mais avant tout décidée, établissant un relationnel agréable avec tous les individus qu'elle rencontre. Elle se conduit comme un être humain normal, sans intuition miraculeuse pour comprendre ou deviner ce qui se passe, mais allant toujours de l'avant. Jet continue d'être une jeune femme atypique au comportement surprenant, mais elle aussi sensible aux émotions des autres. le lecteur regrette un peu l'absence d'apparition de l'inspecteur Jim Corpell et du docteur Wesley Siemen. Il se demande aussi où est passé Louis, le personnage d'origine asiatique se tenant sur sa véranda avec sa glacière. Par contre, il retrouve avec une grande émotion Earl, toujours aussi timide et prévenant, mais quand même déterminé. Les postures des personnages expriment bien leur état d'esprit, tout en restant naturelles, sans besoin de recourir à des bulles de pensée.
Terry Moore sait aussi bien exprimer la gêne passagère de Rachel Beck quand elle se rend compte qu'elle a été lavée par Zoe, que l'assurance générée par des années d'existence de Lilith, ainsi que sa manière de jouer la comédie pour mieux tromper son monde. le visage fermé de Lillian Griffith atteste aussi bien de sa détermination, que de l'effort physique lié à l'âge.
Au fil des séquences, le lecteur se rend compte que l'intrigue générale continue de progresser à un rythme soutenu, malgré la forme de la narration. le scénariste en dévoile beaucoup sur le meurtre de Rachel Beck, mais aussi sur son passé, ainsi que sur la situation peu enviable de Zoe Mann, future maman de l'antéchrist. Il accroche le lecteur dès la première page avec cet accident de la route aux circonstances incompréhensibles. L'intrigue est enrichie par la complémentarité parfaite entre scénariste et dessinateur (normal puisque c'est le même créateur). Régulièrement, le lecteur observe des éléments visuels qui donnent de la consistance à la narration. Cela peut aller du caisson réfrigéré pour conserver la tête de Cassie séparée de son corps, à la dégustation d'un hamburger, en passant par une personne âgée se déplaçant à l'aide d'un déambulateur, ou deux personnes entretenant leur jardin.
À l'instar du tome 5, celui-ci correspond à plusieurs chapitres dans un roman riche et nuancé.
Terry Moore raconte bien une histoire qui s'inscrit dans le genre de l'horreur, que ce soit un doigt récupéré dans la bouche d'un cadavre ou l'existence d'individus capables de ressusciter. La véritable horreur n'est pas de nature visuelle, mais bien générée par les tourments de l'existence, à commencer par les tendances suicidaires et la destruction engendrée par des forces de la nature sur lesquelles l'humanité n'a aucune prise, aucune incidence. En outre l'intrigue présente une consistance qui la légitime et qui dépasse le simple récit de genre qui ne reposerait que sur une accumulation de stéréotypes, ou de conventions de genre. Ce récit parle d'autant plus au lecteur que
Terry Moore sait faire exister ses personnages, les rendant chacun unique et très humain.