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Critique de Presence


Réunion hétéroclite
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Ce tome est le premier d'une histoire en 10 épisodes, regroupés en 2 tomes, qui correspond au début de l'univers partagé des personnages de Terry Moore. Il regroupe les épisodes 1 à 5, initialement parus en 2018, écrits, dessinés et encrés par Terry Moore. Il s'agit d'une histoire en noir & blanc.

L'éclair ne fait pas de bruit tant qu'il n'a pas frappé. Dr. Martin Luther King. Dans un grand centre commercial, Scott Higgs marche calmement, avec sa sacoche à la main, tout en consultant ses messages sur son portable. Il le replace dans sa poche et tousse dans sa main droite. Il replonge sa main dans la poche de son imperméable et constate que son téléphone n'y est plus. Il remarque un enfant sur un escalator, en train de le regarder. Il se met à courir en lui intimant de s'arrêter. L'enfant se met également à courir et un peu plus loin, après avoir tourné un angle qui le met hors de vue de son poursuivant, il lance le téléphone à un autre garçon, Higgs toujours à ses trousses. Ce dernier arrive enfin à un passage avec une rambarde en verre et jette un coup d'oeil en contrebas : il voit une femme en train de retirer la puce dans son téléphone qu'elle jette par terre une fois son geste accompli. Elle relève la tête et le regarde droit dans les yeux. Elle s'appelle Katina Choovanski, surnommée Katchoo. Une fois arrivé à son travail, et installé à son bureau, Scott appelle son épouse Laura et papote un peu avec elle. Il finit par lui indiquer qu'il sera un peu en retard car il faut qu'il achète un nouveau téléphone.

Laura souhaite en savoir plus sur les circonstances du vol du téléphone, et elle tique tout de suite quand il évoque le vol de la carte SIM. Elle exige de savoir à quoi ressemblait la femme qui l'a regardé dans les yeux. Elle insiste presque agressivement pour avoir une description précise, et elle raccroche d'un coup une fois qu'elle a sa réponse. Elle va prendre son ordinateur portable. Elle se rend dans sa penderie, s'assoit au sol et lance ses deux pieds contre le mur, brisant la cloison. Elle passe la main par l'ouverture ainsi créée et en retire un sac en bandoulière tout prêt. Elle s'habille, et sort avec le sac, sous le regard de la chatte à la fenêtre. Peu de temps après, une voiture se gare devant le pavillon et Katchoo en descend. Elle sort son téléphone et consulte un code qu'elle tape sur le clavier de l'alarme. Elle rentre à l'intérieur et observe le meuble dans l'entrée : les clés de la voiture se trouvent dessus, ainsi que le sac à main. Elle monte à l'étage et voit la chatte. Elle fait le tour des pièces et rentre dans la chambre. Elle voit le trou dans le mur et soupire. À Santa Fe, il y a quelques temps de cela, Francine est dans la piscine de son pavillon en train de jouer avec sa fille. Katchoo est assise à côté d'une table, avec Tambi Baker. Celle-ci arbore un air sombre. À l'invitation de Katchoo, elle s'explique en commençant par évoquer l'explosion du collisionneur en Alaska. Ce n'était pas un accident. le gouvernement des États-Unis l'avait fait construire pour pouvoir générer des trous noirs et les étudier. Stephanie Kelly, sous le nom de Laura Higgs s'est trouvée impliquée, et c'était l'une des filles Parker et elle pourrait bien tout raconter à une commission sénatoriale.

Avant d'en arriver là, Terry Moore a réalisé quatre séries : Strangers in Paradise (de 1993 à 2007), Echo (2008-2011), Rachel Rising (2011-2016), Motor Girl (2016/2017). S'il n'a aucune connaissance préalable de ces séries, le lecteur est un peu surpris de tomber sur des personnages qui semblent partager un passé bien fourni. Il peut s'interroger sur cette histoire de collisionneur racontée par Tambi en 2 pages bien denses. Dans l'épisode 2, il ne comprend pas forcément pour quelle raison l'auteur insiste sur cette belle femme avec une marque au cou dans la ville de Manson dans le Massachussetts, ou le cimetière juste à l'extérieur de la ville. Il ne comprend pas pourquoi Earl et Jet ne ressentent pas le froid à -10°C. À l'inverse, s'il a suivi l'auteur au fil de ses créations, le lecteur retrouve avec plaisir ces personnages, même si l'apparition de Rachel est totalement gratuite, ou si la nature du récit a bien évolué depuis Strangers in Paradise. Pour cette série, ou plutôt cette saison, Moore écrit un thriller mâtiné d'espionnage, sans trop s'appesantir sur les relations entre les personnages. L'intrigue prime sur le reste. L'enjeu est simple : parvenir à arrêter Stephanie Kelly avant qu'elle ne lâche le morceau et mette en l'air la vie de Katchoo et son bonheur conjugal et familial.

La dynamique d'une course-poursuite, ça fonctionne toujours bien pour donner du rythme à un récit. En plus, l'auteur peut s'appuyer sur des éléments d'histoire qu'il a déjà développés dans ses propres séries précédentes, comme cette histoire de réseaux de femmes formées à s'intégrer dans la haute société, à espionner, à déstabiliser : les filles formées par Darcy Parker. du coup, l'intrigue devient plus nourrie, moins prévisible, le lecteur pouvant ressentir la profondeur de champ qu'amènent ces histoires passées, même s'il ne les connaît pas. Les personnages sortent de l'ordinaire : l'auteur réussit à combiner des éléments très domestiques (l'enfant qui joue dans la piscine avec sa mère, sous le regard de son autre mère) et des éléments purement Aventure avec ces femmes aux compétences de combat et d'espionnage de haut niveau. S'il ne connaît pas cet artiste, il découvre des dessins descriptifs minutieux, avec un fini précis, sans perdre une saveur plus immédiate. Il est parfois un peu décontenancé par certaines surfaces que Moore laisse vierges de tout trait, en particulier des endroits du sol du centre commercial, ou certains de ses murs. L'effet déstabilise par comparaison avec les autres éléments dessinés soit avec un niveau descriptif plus avancé, soit avec des petits traits secs pour l'ombre portée, pour rehausser un relief, ou pour rendre compte d'une texture. Cette bizarrerie s'atténue au fil des épisodes, pour finir par être utilisée à bon escient dans le dernier épisode.

Derrière une couverture bizarre (tous ces gens au visage masqué par un foulard), le lecteur commence par une belle scène d'action de 4 pages : un homme se fait piquer son téléphone. Il y a en a une par épisode : Katchoo en position précaire sur la paroi à pic d'une falaise, une grille de portail défoncée par une voiture, une nuque brisée (2 fois). Ces séquences sont claires et dramatiques, avec parfois une touche de recul amusé. Les personnages de premier plan sont des femmes et l'artiste leur donne une douce puissance de séduction sans jamais en faire des objets. le lecteur apprécie la banalité de Francine et son sourire, la caractère alerte de Katchoo, la dureté Tambi, l'expressivité de Jet, la mauvaise humeur de l'écossaise en train de peler ses pommes de terre. Il est frappé par l'aisance avec laquelle le dessinateur transcrit le naturel de chacune, par leurs gestes, leurs postures, leur tenue vestimentaire. L'histoire emmène le lecteur dans des endroits variés représentés dans un registre naturaliste : les allées du centre commercial, le salon de la demeure des Higgs, puis le meuble à chaussure de Laura avec ses nombreuses paires, le grand jardin sous la neige qui continue à tomber, la paroi de la falaise, la lande écossaise sous la pluie, etc. Autant d'endroits à la fois normaux et uniques, avec quelques touches touristiques ou de randonnées, comme la villa avec sa plage privée, ou la scène plaquée contre la paroi rocheuse.

Le récit comprend également des éléments surprenants en plus de la profondeur apportée par les séries précédentes. le récit autour du collisionneur introduit un élément de science-fiction très léger, car en fait il n'a pas d'incidence sur l'intrigue autre que l'introduction de Laura / Stephanie Kelly. Pour autant, cette fibre science-fiction revient de manière très inattendue quand Tambi commence à parler de Cléopâtre à Katchoo : surprise ! Comme à son habitude, l'auteur place une citation en début de chaque épisode. Pour le 1 : L'éclair ne fait pas de bruit tant qu'il n'a pas frappé, citation du docteur Martin Luther King. Pour le 2 une citation de Pablo Picasso : Je ne cherche pas. Je trouve. Pour le 3 une citation de H.V. Morton : Il n'y a pas de lumière du soleil dans la poésie de l'exile. Il n'y a que la brume, le vent, la pluie, le cri du courlis, et les nuages lents au-dessus de la lande humide. Voilà la véritable Écosse. Pour le 4, une citation de François d'Assise : Celui que vous recherchez est celui qui observe. Pour le 5 une citation de Martin Luther : La paix si possible, la vérité à tout prix. Elles agissent comme un doigt pointé pour attirer l'attention sur une facette de l'histoire, soit de manière évidente, soit en apportant une intention qui peut être ironique (Picasso) ou spirituelle (François d'Assise). le lecteur y est plus ou moins sensible en fonction de son propre ressenti sur l'épisode afférent.

Ave ce titre de série, Terry Moore annonce un anniversaire pour les débuts de sa série emblématique. le lecteur de la première heure retrouve bien les personnages qu'il attendait (Katchoo & Francine), mais sans la profondeur émotionnelle et affective qu'il espérait. Il retrouve également la narration visuelle de l'auteur, avec ses particularités, et une amélioration significative dans la qualité des finitions. Il découvre aussi le croisement avec les autres séries de l'auteur, le plus souvent de manière organique, enrichissant d'autant l'intrigue. Cette histoire se conclut dans le second tome.
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