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Critique de BazaR


BazaR
02 septembre 2018
Une fois de plus imprévoyant, je me suis retrouvé en voyage sans rien à lire. J'ai acheté ce roman à cause de l'intrigante critique de Bifrost et surtout des recommandations du libraire local (et ce bien que je n'accroche pas au style de l'illustrateur Qistina Khalidah).

Mon impression générale est plutôt positive sans que j'en saute au plafond pour autant. J'y ai sauté avec enthousiasme au début, découvrant une ambiance immédiatement étiquetée dark fantasy, un univers original et maîtrisé dans ses dimensions, une « magie » assez rationnelle et une importance de la culture de l'écrit.

La clé de voûte de ce roman est sans doute l'univers dichotomique inventé par Patrick Moran : le petit monde encerclé par l'outre-monde, le réel flottant dans le néant, la goutte d'ordre gardant contenance dans l'océan d'entropie. Banal penserez-vous ? Eh bien non. Cette construction simple s'affirme comme l'un des enjeux principaux du roman au fur et à mesure de l'avancement du récit. Elle prend un corps plus satisfaisant que, par exemple Ambre et le Chaos de Zelazny ou l'Ordre et le Chaos de Moorcock ; simplement parce que les chaos cités ci-dessus ne sont pas si chaotiques que cela, car ils renferment des structures, des êtres et des dieux. L'outre-monde de Moran est une forme de vide quantique en perpétuelle agitation, qui ne peut générer des formes stables qu'en entrant en contact avec le monde. Moran fait emprunter par les lignées de philosophes de son monde des descriptions de l'univers issues de la physique moderne, telles les onze dimensions de la théorie des supercordes. Il accorde aussi à certaines civilisations une vision formalisée mathématiquement du monde, vision à la base d'un pouvoir sur le réel qui s'apparente à la magie. Cette magie qu'emploie la Crécerelle est donc le résultat d'une science. Est-on encore dans un roman fantasy ?
La description de cette magie est également simple et étonnante, faisant appel à deux extensions du réel qui sont l'espace intérieur et l'espace latéral, des « lieux » que je ne décrirai pas plus avant, considérablement plus vastes que l'apparence des choses qui forment le réel, mais malgré tout non-mesurables devant l'immensité de l'outre-monde. L'emploi de la magie a un coût physique immédiat et important, traduction de l'effort que représente la courbure volontaire du réel.
Mais le monde réel en lui-même est bien pourvu. On y trouve des civilisations variées, parfois raffinées, et une impression certaine d'ancienneté, de éons de civilisations perdues, d'un passé dont les traces ne semblent pas humaines. L'ombre de Lovecraft plane sur ce décor. J'ai plusieurs fois pensé que les Grands Anciens, lassés de la Terre, étaient venus ici en vacances.

Le personnage de la Crécerelle s'annonçait au début encore plus noir qu'Elric, tueuse à la botte d'une entité dont la forme rappelle certaines créatures du manga Fullmetal Alchemist. Je pensais qu'on allait partager les pensées d'une femme psychopathe et artiste du meurtre, le genre qui plairait à Maxime Chattam.
Mais – et c'est là une de mes déceptions – Patrick Moran opte pour une autre approche, plus orientée vers la volonté de rédemption. L'auteur associe la Crécerelle à une autre femme, Mémoire, avec laquelle elle va fonctionner comme des vases communiquant. L'une est froide, sans pitié, violente, l'autre est naïve, empathique. A force de se côtoyer, le noir et le blanc vont se fondre dans des niveaux de gris. Le côté dark du récit va du coup se diluer. L'auteur a d'ailleurs du mal à stabiliser le caractère en pleine évolution de la Crécerelle : un instant elle abat un innocent avec ce qu'elle aime appeler une note artistique, peu après elle ne supporte pas l'idée d'abattre un autre type tout aussi innocent. Je ne regrette pas l'idée plutôt intéressante et tout à fait centrale de ce duo, mais la vitesse à laquelle la Crécerelle se radoucit qui oblige à biffer la mention « dark » de ce roman. En revanche j'ai apprécié l'attitude inconséquente de la Crécerelle. Elle agit sans se soucier des conséquences qui sont toujours néfastes.
Il faut dire que la manipulation de l'espace latéral (non, je ne vous dirai pas de quoi il s'agit) permet de ne pas se préoccuper des conséquences. Son usage dans le roman est d'ailleurs un élément de facilité, scénaristiquement parlant. Je me suis dit plusieurs fois « évidemment, comme ça c'est facile de contourner les difficultés ». Autre facilité : les migrations qui permettent un contact entre monde et outre-monde. Même si elles donnent lieu à des descriptions oniriques réussies, elles me semblent impossibles de par la construction même de l'outre-monde qui prend de ce fait trop de substance.

De l'histoire elle-même, je ne vous parlerai pas. Lisez le quatrième de couverture. Tout bien pesé, j'ai passé de bons moments à la découverte de cet univers et j'espère que Patrick Moran nous y ramènera un jour.
Je trouve de plus qu'une traduction en manga serait du tonnerre !
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