la faim qui fait tomber les dents, la laideur, l’exploitation, la richesse et la pauvreté, l’ignorance et la stupidité… pour Santina ce ne sont là ni justice ni injustice. Ce sont de simples nécessités inéluctables, dont la raison n’est pas donnée. Elle les accepte parce qu’elles se produisent, et elle les subit sans le moindre doute, comme une conséquence naturelle du fait d’être née.
Et un soir, comme elle l’aidait à se reculotter, sentant au toucher ses petites côtes décharnées, elle lui dit : « Pauvre petit oiseau à ta maman, je crois bien que tu réussiras pas à grandir et que tu feras pas de vieux os. Cette guerre est le massacre des petits enfants. »
Alors,exaspéré,il se mit à chanter comme un choeur immense,pour ne plus l'entendre,les hymnes fascistes;improvisant sur eux,pour aggraver les choses,des variantes obscènes. A cela,comme c'était prévisible,la peur anéantit Ida.Dix mille policiers imaginaires jaillirent de son cerveau dans cette chambre explosive,cependant que de son côté, Nino,fier de son succès,entonnait même
"Bandiera rossa" .
… Le Pouvoir, expliquait-il à Santina, est dégradant pour celui qui le subit, pour celui qui l’exerce et pour celui qui l’administre ! Le Pouvoir est la lèpre du monde ! Et le visage humain, qui regarde vers le haut et devrait réfléchir la splendeur des cieux, tous les visages humains, au lieu de cela, du premier jusqu’au dernier, sont défigurés par une telle physionomie lépreuse ! Une pierre, un kilo de merde seront toujours plus respectables qu’un homme, aussi longtemps que le genre humain sera souillé par le Pouvoir…
Comme toujours quand elle se réveillait de son malaise, il ne lui restait de celui-ci que l'ombre d'un souvenir; rien d'autre que la sensation initiale de vagues violences qui n'avaient duré qu'un instant.
L'idée de se faire avorter d'une manière quelconque ne lui vint même pas à l'esprit.La seule défense qu'elle put imaginer,ce fut de cacher son état à tout le monde aussi longtemps qu'elle le pourrait.
Il eut été facile maintenant ,à l'exemple de Judith dans la Bible ,de tuer ce garçon;mais Ida,de par sa nature ,ne pouvait concevoir une telle idée, même sous la forme de rêverie.
Les rêves reposent souvent dans les fragments de la veille ou du passé.