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Cela fait plusieurs années que je repousse cet instant de vérité.
Peur de ne plus aimer comme cela arrive si souvent. Pire, peur de me détester d'avoir succombé, hier, à si peu de charme.
J'avais bien noté, sur un cahier bleu Héraklès, qu'il méritait les cinq étoiles. Mais cela n'était pas fait pour me rassurer. Bien au contraire.
Pourtant il n'a fallu que quatre-vingts pages pour m'apercevoir que toutes mes appréhensions étaient ridicules.
Le prologue m'a percuté comme un 38 tonnes en pleine vitesse.
Bon sang, quel écrivain !
J'éclatais de rire, échoué au bord de la route, ayant fait plusieurs tonneaux.
Je n'avais rien ! pas une écorchure ! Vous voyez ce genre de choses qui font saigner le lecteur : erreurs de ponctuation, adjectifs malencontreux, dialogues abscons, répétitions lancinantes, blabla interminable...
Rien de tout cela. Alberto Moravia venait de me proposer un beau voyage : La vie de Marcel.
Marcel enfant que ses petits camarades de classe raillent et maltraitent pour son excessive féminité.
Marcel qui prend plaisir à tuer des animaux.
Marcel toujours enfant qui croise la route d'un prêtre défroqué et pédophile.
Marcel adulte, bien installé dans la société fasciste, devenu fonctionnaire au ministère de l'intérieur.
Marcel qui se marie pour faire comme tout le monde, avec une fille qui ressemble à toutes les autres, avant de rencontrer, femme mariée, celle qui est l'objet de ses rêves.
Marcel qui va participer à un assassinat politique en bon soldat qu'il souhaite rester.
Si ce roman devait être un tableau, ce serait une oeuvre de Balthus. Pleine de sensualité, d'interrogations, de refoulements.
Si c'était une musique, ce serait "Montaigu et Capulet" de Sergueï Prokofiev empli d'exaltation et de tragique.
Si c'était un mot, un seul : Sexe
Ne vous méprenez pas.
Le sien porte un masque, parfois une voilette et souvent un scalpel.
Mais jamais exhibitionniste.
Cinq étoiles sans aucune hésitation.
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Tout d'abord, merci à moravia de m'avoir conseillé ce livre... Sa critique, remarquable et passionnée, m'a conduite à la lecture de ce roman poignant et magnifique.
Une belle écriture pour une histoire qui illustre, à mes yeux, la thèse controversée d'Arendt sur la banalité du mal. Banalité du mal en ce sens que Marcel devient fasciste non par méchanceté ou par fermeture sur soi, mais à travers une volonté féroce d'être comme tout le monde...
Ici, le conformisme, né d'une culpabilité d'être différent et d'un rejet du milieu social qui est le sien et qui pousse Marcel à vouloir entrer dans une autre classe sociale plus haute, débouche sur le fascisme et la mise en oeuvre d'un meurtre. Meurtre d'un antifasciste et de sa femme, dont Marcel était éperdument amoureux. Meurtre qui aurait dû, finalement être évité... Meurtre qui devait absoudre un autre meurtre commis pendant l'enfance de Marcel et qui, finalement, n'en était pas un...
Les thèmes de la culpabilité et de l'innocence se croisent, hantent la vie de Marcel dans sa recherche perpétuelle d'un ordre qui mettrait fin à ses angoisses et à sa mélancolie... Une existence inquiète, incertaine, tout empreinte de contradictions :

"En d'autres termes, grâce à des forces qui ne dépendaient pas de lui, devait s'opérer une transmutation complète des valeurs où l'injuste deviendrait juste, la trahison, héroïsme, la mort, vie. (...).

En somme, si le fascisme fait fiasco, si toutes les canailles, les incapables et les imbéciles qui siègent à Rome conduisent la nation italienne à sa perte, alors je ne suis qu'un misérable assassin. - Mais il corrigea aussitôt sa pensée en ajoutant mentalement : - pourtant, étant donné les circonstances, je ne pouvais agir autrement."

Les circonstances.... C'est-à-dire, la volonté d'être comme les autres... Obéir et fermer les yeux. Servir l'Etat, quel qu'il soit.
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Difficile de parler du Conformiste de Moravia… après la superbe critique de... Moravia! Mais je devais aux deux Moravia, celui du livre et celui de Babelio, de les remercier pour cette lecture magnifique, étincelante et profonde!

Je n'avais pas eu le bonheur de lire le Conformiste - mais d'autres livres de Moravia, lus dans mon adolescence, avaient laissé leur trace dans ma mémoire "comme un rai de diamant sur une vitre"... et j'avais peur, moi aussi, de revenir à cet engouement ancien et de déchanter cruellement.

Je ne suis pas déçue du voyage!

Quel pur bonheur de lecture: une langue ciselée, aigüe comme un scalpel dans ses analyses, tour à tour sensuelle et détachée, qui sait parler de l'enfer de l'enfance et de l'éteignoir de l'âge adulte avec la même maestria, sans jamais se départir d'une élégance ironique et comme désenchantée...

Un livre construit comme une partition musicale- avec son prologue, son épilogue, et ses "motifs" lancinants : le meurtre et le sexe.

Du saccage des roses au meurtre politique, de l'anormalité effrayée à la normalité effrayante. De la pédophilie prédatrice au saphisme mondain d'une boîte parisienne. De Lino à Lina.

Ravage et Mélancolie : ce sont les deux mots que le père de Marcello, interné dans un asile psychiatrique, écrit indéfiniment et qui semblent contenir toute la problématique de son fils, le sombre héros de ce roman.

Marcello est beau, intelligent, cultivé. Il a un grand sens de la morale et de la probité. Il est philosophe de formation. Il est aussi rongé par une faute originelle qui est la scène fondatrice de toute sa vie, de tous ses choix, de tous ses actes. Pour étouffer sa propre violence, ses propres pulsions, pour ne pas sombrer dans la folie de son père, dans la déréliction de sa mère, il les canalise vers LA violence historique en place, celle qui est partagée par le plus grand nombre et dans laquelle la sienne va se fondre, se discipliner, se justifier : celle du fascisme. Il est fasciste par un immense et raisonné règlement de tous les sens.

L'ordre et la règle vont lui servir, littéralement, de garde-fou. Ravage et Mélancolie.

Deux fois pourtant, comme un héros sartrien, il croit pouvoir reprendre sa vie en main, en modifier impérialement le cours, faire de nouveaux choix.

Mais la première fois l'amour d'une femme va lui manquer : ironiquement, elle lui préférera sa sotte épouse, Giulia - tandis qu'une sombre Rolls Royce s'arrêtant auprès de lui va raviver l'ancienne panique de son anormalité, le rejetant, presque malgré lui, du côté des conformistes du moment.

Et la deuxième fois, brusquement délivré de l'ancienne malédiction, après une rencontre fulminante dans les jardins de la Villa Borghese, c'est le destin de l'Histoire qui, ironie du hasard, se charge de régler ce choix à sa façon… Destin et Ironie.

Ravage et Mélancolie.

Un pur chef d'oeuvre ! Je crois que je vais, méthodiquement, me remettre à lire tout Moravia…



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Enfant, Marcel coupait des roses, tuait des lézards et en tirait une grande satisfaction. Il se posait des questions sur son comportement et essayait d'en parler avec ses parents, peu présents et indifférents, et à son petit voisin qui lui renvoyait incompréhension et réprobation. Ce petit voisin, il avait bien envie de le tuer aussi, mais c'est son chat qui mourra.
Un peu plus tard, moqué à l'école du fait de son manque de virilité, il rencontre un chauffeur de maître, ancien prêtre pédophile, qui l'attire dans sa demeure en lui promettant un pistolet. Repoussant ses avances, Marcel le tue accidentellement.
Nous retrouvons Marcel, une vingtaine d'années plus tard, à l'époque de l'Italie fasciste, hanté par ses crimes et rongé par la culpabilité. En proie à ses démons intérieurs et à la crainte de devenir fou, son père étant interné en hôpital psychiatrique, il décide d'accéder à la normalité, et de se fondre dans le collectif. Pour cela il tire un trait sur sa personnalité, tend à se conformer aux normes sociales, et se marie avec une jeune femme simple, qui lui parait correspondre à ses nouvelles aspirations de bien-être matérialiste.
Fonctionnaire dans un ministère, il lui est bientôt proposé de participer à une mission à Paris dont le but est l'élimination d'un ancien professeur, opposant au régime de Mussolini.
Moravia nous offre le portrait d'un homme torturé qui tente de lutter contre ses pulsions, et dont la problématique personnelle épouse parfaitement les valeurs d'un régime dictatorial. Nous ne sommes pas loin de la banalité du mal. L'individu perd ses repères moraux pour viser l'atteinte d'un idéal de pureté qui le laverait de ses pêchés.
Marcel est un être profondément triste, sans affection dans l'enfance, et détaché de lui-même et des autres plus tard. Il tente de prendre en main sa destinée mais il plonge dans le crime pour s'absoudre d'un autre crime qu'il pense avoir commis.
Un beau roman, d'une rare intelligence assortie d'une écriture limpide, dans lequel il faut suivre le raisonnement aux accents philosophiques de Moravia, autour des notions du bien et du mal, de la normalité et de la différence, de la culpabilité, et où apparaissent des éléments autobiographiques, comme l'indifférence et la froideur entre les membres d'une famille dysfonctionnelle.

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Ce roman a reçu un accueil tiède lors de sa sortie : on lui a reproché son cheminement trop didactique, ainsi qu'une condamnation trop réservée du fascisme. Didactique, il l'est, mais c'est du Moravia, et je le trouve magistral ainsi. Quant au fascisme, l'auteur l'a utilisé parce qu'il aime parler de ce qu'il connaît et qu'il lui a paru propre à illustrer le consensus italien de son époque : et on ne peut certes pas le soupçonner, sans une certaine mauvaise foi, de lui avoir été favorable. Mais il aurait tout aussi bien pu se référer à une autre idéologie totalitaire (la définition du totalitarisme étant la pression horizontale exercée par chacun des membres d'une société sur tous les autres, à la différence de l'autoritarisme qui suppose une pression hiérarchique exercée du haut vers le bas.) C'est le premier mode de fonctionnement qui intéresse Moravia en tant que générant une norme à laquelle tous veulent se conformer, ce qui engendre surveillances réciproques, contention des instincts et mélancolie. Mélancolique, Marcel l'est, puisqu'il se condamne par culpabilité à ne pas vivre sa propre vie, mais celle qu'il s'imagine devoir vivre : sa peur de la liberté le conduit au terrorisme par fidélité envers un régime qui lui déplaît mais qu'il suppose devoir soutenir par allégeance envers le plus grand nombre, détenteur, croit-il, de la normalité. Bien sûr, n'étant au fond ni conformiste, ni fasciste, il échouera, et comprendra juste à temps (pour une possible rédemption ?) qu'être libre n'est pas choisir ce qu'on est, mais croître et grandir en plein accord avec ce qu'on est. Spinoziste, Moravia ? En tous cas il s'inscrit dans le courant existentialiste de son temps, même s'il ne privilégie pas l'action politique comme Sartre. Bien au-delà de tous les "ismes", ce roman est une profonde et subtile méditation sur la liberté, et sur une infinité d'autres sujets.
A ne lire qu'un livre d'Alberto Moravia, il faut lire celui-ci.
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Marcello ! Non, ce n'est pas celui qu'Anita Ekberg poursuivait de ses pulpeux atours autour de la fontaine de Trévi, aux grandes heures du cinéma italien. Ce Marcello-là, n'a aucune disposition pour la Dolce Vita. Enfant, il a été persécuté par ses camarades d'école qui le trouvait efféminé. Il se sent différent, fait preuve de cruauté vis-à-vis des animaux et échappe de peu à un pédophile. Quand on se sent différent, que les autres vous le font méchamment comprendre, il est très difficile d'accepter sa différence. Marcello aspire à rentrer dans le rang et à la normalité la plus banale. Il fera tout pour se conformer à la norme, sociale, sexuelle, affective, politique. Et lorsqu'il devient un obscur mais ordinaire fonctionnaire, dans cette Italie de la fin des années trente, cela signifie aussi se compromettre et prêter main forte (ou faible) aux basses besognes d'un régime dictatorial.
« Dans son désir de se soumettre à une norme quelconque, il n'avait pas choisi celle de la religion chrétienne qui défend de tuer, mais bien une autre, toute différente, politique celle-là et de fondation récente, à laquelle le sang ne répugnait pas. »
C'est glaçant, d'autant que le personnage n'éprouve en général, aucune émotion, n'a d'empathie pour rien ni personne, même pas pour le fascisme et ses dirigeants sur lesquels il ne se fait aucune illusion. Il est fasciste parce que c'est la norme et parce qu'il éprouve… «Une aspiration à être normal; une volonté d'adaptation à une règle reconnue et générale; un désir de ressembler à tous les autres puisque, être différent signifiait être coupable. »
Et si nous tentions, cinq minutes, de quitter le conformisme qui cantonnerait ce roman à une énième condamnation du fascisme. Oublions un peu le fascisme, il appartient au passé, même s'il renaît perpétuellement sous d'autres formes, dans d'autres lieux, en se drapant d'autres oripeaux, avec la même bêtise, la même lâcheté et les mêmes bassesses. Ce serait, à mon sens, particulièrement réducteur pour ce roman, à l'écriture fluide et à la lecture facile, qui mérite mieux que quelques larmes de crocodile à verser sur un passé tragique : «C'était donc cela le passé : ce vacarme devenu silence, cette ardeur désormais éteinte auxquels la matière même du journal, ce papier jauni qui, avec les années, s'effrite et tombe en poussière, prêtait un caractère vulgaire et médiocre. le passé était fait de violences, d'erreurs, de duperies, de futilités, extravagantes et qui assourdissent… seules choses que, jour par jour, les hommes trouvaient dignes d'être publiées et transmises à la postérité. La vie normale et profonde était absente de ces feuillets… »
C'est avant tout un roman sur la différence, la culpabilité, le refoulement, le besoin d'être accepté, d'être considéré comme normal, d'appartenir au groupe et, pour finir, sur le manque d'empathie.
« Et se découvrir insensible, c'était se découvrir guéri. » C'est bien souvent, ce manque d'imagination et d'empathie, qui conduit des individus ordinaires, assurés qu'ils sont d'être en conformité avec les autorités ou l'air du temps, à se conduire, vis-à-vis de ceux qu'on leur a désigné comme différents, comme la lie de l'humanité. C'est autant valable pour les sicaires nazis ou mussoliniens, que pour les nervis des goulags soviétiques et les égorgeurs d'otages ou les crucificateurs d'aujourd'hui.
Mais quid de l'homo occidentalus qui écrit ce billet ou qui le lit en cet instant ? Il n'a pas de sang sur les mains, mais est-il, pour autant, prêt à accepter ou à cultiver sa différence. Ne ressent-il pas le même besoin de se conformer ? N'est-il pas ravi de penser ce que la majorité pense (les médias sont là pour penser à votre place), sans s'être trop documenté ni interrogé ? N'est-il pas ravi de porter les mêmes vêtements, de manger les mêmes repas que ses voisins ou de faire un cadeau à son conjoint le 14 février en même temps que tout le monde ? N'est-il pas heureux de s'en aller chanter, hurler, conspuer et insulter dans un stade, qui l'arbitre, qui l'adversaire, qui le joueur qui ne se conforme pas à ce qu'on attend de lui ? Aussi anonyme qu'on peut l'être, perdu dans une foule, ne se sent-il pas assez fort et invulnérable pour ne pas résister à la tentation de se montrer sous un jour dont il aurait honte s'il était tout seul ?
N'accablons pas (trop) le vulgum pecus car l'Epoque est, elle-aussi, à la conformité, si ce n'est au conformisme. Ces normes énormes dont on finirait par se demander si leur seul but n'est pas d'assurer la subsistance d'une armée de normeurs s'acharnant sur le dos de normés redoutant tous de ne plus être conformes. Tout cela est-il bien normal ? Attention, car, dans l'industrie, les produits non conformes vont au rebus. le Conformisme n'est-il pas un des symptômes d'une société totalitaire ?
Allez, je dois vous quitter, on m'attend pour le Contrôle technique. Pourvu qu'ils ne trouvent rien d'anormal.
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On aurait grande peine a identifier la fêlure originelle, celle qui entraîne le (anti) héros de Moravia dans cette quête de normalité. L'auteur nous glisse dans la peau du fasciste, ou plutôt, de son bras armé. L'écriture est délicieuse, précise, riche de cette capacité de nous faire appréhender toute la complexité du personnage, pourtant « détestable », qui nous est présenté ; toute la complexité de l'âme humaine, pour ainsi dire.
Lien : https://bw.heraut.eu/user/Ba..
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Il Conformista
Traduction : Claude Poncet

Marcello est un enfant solitaire et intelligent, issu de l'union mal assortie d'un riche quinquagénaire et d'une jolie femme beaucoup trop superficielle et bien peu maternelle. Il n'a pas encore dix ans lorsque se pose pour lui, dans cette Italie pré-fasciste et sur laquelle pèse depuis des siècles la chape plombée de la Sainte Eglise Romaine & Apostolique, l'antique et éternelle question du Bien et du Mal
Comme nous tous, à un moment ou à un autre de notre âge tendre, quand nous cherchions nos repères, Marcello a envie de faire le mal pour le mal et même de tuer. Son problème, qui décidera de son existence tout entière aussi sûrement que les angoisses sexuelles de l'enfance et de l'adolescence peuvent décider d'une perversion fatidique de l'instinct de vie, c'est que, devant ses doutes et ses interrogations, il n'y a personne pour éclaircir les premiers et répondre aux secondes.
Marcello en conclut donc qu'il est foncièrement anormal - et mauvais - et qu'il est de son devoir, s'il veut survivre, de faire coïncider du mieux qu'il peut cet instinct de mort avec une vie de routine où faire le mal et tuer seront sanctifiés par les autorités en place.
Ce piège dans lequel il va s'enfermer sans en avoir conscience va se trouver renforcé par deux événements extérieurs :
1) la folie violente dans laquelle son père va sombrer
2) et le meurtre d'un chauffeur pédophile et prêtre défroqué, Lino, que Marcello se voit plus ou moins contraint d'accomplir.
Avec de telles références, Marcello est prêt à devenir un agent de renseignements impeccable, auquel, un jour, le gouvernement mussolinien confie une mission de confiance.
Ce qu'il y a de proprement admirable dans ce roman au style dense et hautement littéraire, c'est la réflexion à laquelle Moravia, pourtant très orienté à gauche, se livre sur tous les petits, tous les humbles, qui succombèrent aux attraits du fascisme.
Si Moravia ne les excuse évidemment pas, lui qui fut pourtant traqué par les agents du Duce ne les condamne pas pour autant. Avec la froideur voulue et l'habileté d'un très grand chirurgien, il dissèque au scalpel non pas un régime, pas même des individus bien précis comme Mussolini et son premier cercle de favoris, mais un peuple tout entier et, au-delà ce peuple - celui de Moravia - l'Humanité telle qu'en elle-même.
Un livre fascinant, tout à la fois pudique et cynique, une analyse unique de ce moment où, tous tant que nous sommes, nous sommes prêts à basculer dans le Mal et où, pourtant, certains trouvent la force de ne pas céder au vertige. Y a-t-il un facteur "chance" ? n'y en a-t-il pas ? Pour Marcello, en tous cas, le lecteur finit par penser que, quelque part, non, il n'a pas eu de chance ... ;o)
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Etre normal. L'obsession existentielle de Marcel, le personnage principal de ce roman. Mais "être normal" par rapport à qui? Qui est vraiment "normal"? Marcel pense trouver sa réponse dans le fascisme et son homme nouveau. Il ne cesse de rechercher sa normalité en cultivant son conformisme, espérant apaiser ses blessures d'enfance, mais la réalité le rattrape toujours: déviance des hommes de l'état fasciste, secret de sa femme, fragilité de l'amour qu'il lui porte, même ses propres sentiments le trahisse...
Moravia nous plonge dans la psychologie d'un homme blessé et dépourvu de repère, poursuivant un idéal chimérique qui l'amènera à sa perte: parabole de la société italienne à l'époque fasciste.
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Il y a finalement 2 livres dans « le Conformiste ». Celui réussi d'un Moravia qui sait conduire avec maestria la progression d'un récit , avec cet art de mettre en valeur sa progression dramatique par la rigueur implacable de construction de chaque séquence, de blocs de tension et un équilibre judicieux de parties dialoguées d'une grande fluidité . Et puis il y a celui d'un écrivain qui dans le même temps, semble refuser sa confiance à l'ensemble de ces éléments et à la construction et l'évolution de ces personnages dans leur capacité d'évocation et de démonstration , en ne cessant de faire le commentaire de son oeuvre pour mieux surligner les traits de son personnage principal au cas ou le lecteur jugé myope serait incapable de percevoir la démonstration.
Et pourtant à la question qu'est ce qu'un fasciste ? ou plutôt comment devient-on un fasciste, rien dans le parcours et dans l'itinéraire du personnage principal ne nous sera épargné dans la catégorie des explications causales : désert affectif durant l'enfance, violence sur animaux, fascination pour les armes , épisode traumatique, et de l'ordre plutôt de l'ordre du symptôme : le besoin d'adhérer à un univers normatif.
Par trop mécanique ce catalogue de déterminismes ne dit rien des raisons historiques et sociologiques qui poussent un jeune universitaire italien à adhérer à la propagande fasciste. C'est cette toile de fond , un regard impressionniste sur l'Italie des années20/30 qui fait défaut ici et qui aurait rendu le propos à la portée édifiante, moins didactique La notion même de conformisme n'est pas réellement interrogé.
Moravia dans la dernière partie de son livre semble prendre la mesure de cette ornière et choisit comme pour brouiller les pistes de l'achever sous forme de thriller au prix d'un captivant suspens et d'un improbable et artificiel coup de force scénaristique.
Un beau livre malade en quelque sorte.
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