un petit attroupement s'était formé devant une loterie juste à la sortie de la fête. Jennie s'arrêta net. Il lui restait un euro au fond de sa poche. Elle devait le dépenser, sinon ça porterait malheur. Olga répétait toujours : "L'avarice porte malheur, quand on a de l'argent, faut pas le garder. A quoi ça sert d'être le plus riche du cimetière?" Jennie mit la pièce dans la main d'Hakim comme s'il devait accomplir un rite qui les protégerait.
Qu’est-ce qu’on t’apprend à l’école ? À être le meilleur, le plus performant, celui qui a les meilleures notes, celui qui rafle les prix… En réalité, on te dresse pour le marché. Pour te fourrer dans la tête l’idée de concurrence. Tu dois être concurrentiel, tu dois battre la concurrence, être un winner, comme on dit aujourd’hui. Et les profs, à quoi servent-ils ? Ils servent à te former à la consommation. Tu dois apprendre à choisir le « bon » prof, à vouloir la « bonne » filière, à obtenir le « bon » diplôme. Ça sert à ça, l’école. À faire de toi un type qui ne pourra pas penser en dehors de la concurrence et de la consommation.
C'était un dimanche de juillet de l'an 2000.
Jennie pensait que c'était le pire jour de la semaine. Les autres n'étaient pas mieux, mais le dimanche, c'était vraiment le pire.
- Le pire du pire, murmura-t-elle, pour elle-même, ressassant qu'après ce dimanche il y en aurait un autre, encore un autre, puis beaucoup d'autres jusqu'à la fin des temps.
Elle aurait voulu que les semaines n'aient pas de dimanche. Qu'ils soient bannis du calendrier, effacés des mémoires. Même si, pour une fois, tout le monde était là.
Elle tenait à faire quelque chose. De toute façon, elle ne pouvait pas rester assise. Ses gestes ne lui appartenaient plus. Il fallait que ses jambes marchent, que ses bras bougent, que ses mains s’agitent pour que son corps ne tombe pas en poussière ou vole en éclats comme du verre touché par une pierre.
Alors pour que des tyrans économiques ou politiques, au nom de cette liberté, imposent leur loi du marché les armes à la main ? Non plus. Chaque jour le mot « liberté » est traîné dans la boue, dans la merde, profané.
Chaque homme garde en lui un certain nombre d’idées sans savoir réellement qu’elles demeurent tapies dans son esprit. Des idées dormantes, comme on parle de réseau dormant pour les espions ou les terroristes. Pour que ces idées viennent à la conscience, pour les réveiller, il faut un signal, une impulsion comme celle que l’hypnotisé reçoit de son hypnotiseur.
Si on rêve, on ne peut plus voir la réalité.
Dénoncer… il n’y a rien de pire que de dénoncer !
La vie est trop courte pour ne pas s’en donner le plus qu’on peut !
Et pour le reste, de toute façon, tu n’y peux rien. La pendule tourne et tu ne vas pas t’accrocher aux aiguilles pour les arrêter…