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Critique de ManonDivet


M. Mordillat, ces femmes-là… valent mieux que ça.

Mercredi 2 janvier, arrive dans les colis de nouveautés de la Librairie de la rue en pente à Bayonne, un roman conséquent, au titre qui interpelle. « Ces femmes-là » en grands caractères, illustré d'une femme en rouge, évoquant une gravure de militante… Bonne nouvelle, voilà un nouveau récit sur les femmes et leurs combats ! En quatrième de couverture, figure un extrait réjouissant faisant état de la diversité des femmes. Merveilleux ! En guise de préambule, une citation bien choisie d'Olympe de Gouges, on va décidément dans la bonne direction ! Première page de la première partie du livre : « AVANT », avec astérisque indiquant que la liste des protagonistes se trouve à la fin du roman. Intéressant ! Voici une construction originale, un récit se déroulant à travers la perception de différents participants à une manifestation ! Mais voilà que plus nous avançons dans la lecture de la liste, plus cela semble évident : les femmes présentes sont liées à un homme, en tant qu'épouses, maîtresses, mères, petites soeurs… alors que les hommes sont indépendants, au pire, « mariés à », mais cela ne vient qu'après mention de leur métier, statut, etc. On note d'ailleurs l'emploi du possessif dans « femme de » et autres liens entre femmes et hommes et du « marié à » et non pas « mari de ». Quel est ce besoin de préciser systématiquement notre statut amoureux, de nous définir par notre relation aux hommes sans que cela soit réciproque ? de quoi laisser perplexe…
Persévérons, commençons ce roman. Voici un aperçu des premiers instantanés :
#1 Daisy. Qui est-elle ? Que fait-elle ? Eh bien… Pas grand chose. On nous raconte l'histoire de son arrière-grand-père, de son grand-père, puis de son père (qui même s'il a disparu en abandonnant sa famille, est « un oiseau ou un ange » dans l'imagination de sa fille). On voit Daisy enlever son t-shirt, aller prendre sa douche, en sortir, se regarder nue, se toucher, rejeter son corps… et que dire de son petit-déjeuner, « du pain grillé (sans beurre), du café chaud (sans sucre), un yaourt zéro pour cent : le bonheur pour pas cher » ? Devrions-nous vraiment s'infliger ça pour espérer être plus minces et s'en réjouir ? Enfin, on termine le portrait sur ses relations sexuelles avec Maxence. Daisy semble être un faire-valoir dont le corps et la vie sexuelle sont déterminants et on tente de nous faire croire qu'un petit-déjeuner fait de privations est l'essence du bonheur.
#2 Maxence. Un « intello », un poète dont les vers sont censés être exceptionnels... Est évoquée sa petite soeur, admiratrice de l'oeuvre de son frère, allant jusqu'à conserver son poème préféré dans son tiroir à culottes… Elle est par la suite ridiculisée par le biais d'une référence à « Tintin et les Picaros », dénigrée par son frère et son ami.
#3 Faustine. Julie et Faustine sont certes adolescentes, mais l'auteur leur attribue un langage qui décrédibilise leur lutte. Leur mère, elle, est évoquée, inquiète et sortant de la cuisine. Enfin et surtout, passage le plus alarmant, l'auteur décrit le physique de Faustine et de son amie Julia ainsi :
« Autant Faustine – longiligne, féminine, d'un blond qu'elle disait vénitien – était une grande perche promise à devenir une très jolie femme au visage d'enfant boudeur, autant Julia – petite, le poil noir, râblée, débordante de partout – semblait destinée à nourrir une nombreuse famille. » le message est clair. Voilà un cliché de mannequin, une femme remarquée pour son physique, et une jeune femme plus ronde, humiliée par la description de ses formes et assimilée à une femelle, un animal, dont la seule perspective consisterait à nourrir ses enfants. Et suit la première scène lesbienne, entre elles.
Puis nous glissons vers des représentations plus lissées, mais tout aussi accablantes, du fait que les femmes sont par la suite représentées tels des « trophées » ou en admiration devant un amant ou un supérieur. Leur vie sexuelle reste explicite et omniprésente, notamment à travers des rapports lesbiens récurrents ou la demande de rapports hétérosexuels sans préliminaires… Elle perpétue les fantasmes et la supériorité masculine sans jamais avilir ces messieurs.
Si nous percevons que progressivement, chaque femme s'affirme et s'affranchit au moins partiellement des diktats qui l'oppressent pour suivre sa voie et finalement triompher grâce à la solidarité féminine, c'est dans la douleur que nous les suivons.
En effet, nous conviendrons de la nécessité de dépeindre la violence, de la faire éclater au grand jour, de la décrire sous ses formes les plus réalistes et palpables (quitte à avoir recours à un langage cru mais souvent significatif) afin de saisir ce que peuvent endurer les femmes, la portée de leurs combats et de leur victoire finale. En revanche, nous percevons dans le roman, trois formes de violence : celle que les protagonistes masculins font subir aux femmes, celle que les femmes s'infligent elles-mêmes, cantonnées dans le rôle qu'on leur assigne, et enfin celle du narrateur, particulièrement dans les premiers portraits. Et c'est celle-ci qui est de trop.
Alors que conclure ? Nous arrêtons-nous à un premier niveau de lecture, pour y voir les fantasmes sexuels du narrateur et de comprendre que l'auteur, malgré son désir apparent d'accorder une revanche aux femmes, considère finalement ces dernières comme inférieures ? S'agit-il plutôt d'une stratégie littéraire pour faire résonner, par la forme, les mots, la violence faite aux femmes ? D'une volonté d'atteindre la sensibilité du lecteur ou de la lectrice afin qu'il ou elle ressente la brutalité que l'on dénonce ? Si tel est le cas, M. Mordillat croit-il vraiment qu'il est nécessaire de faire preuve de cette violence supplémentaire, celle du narrateur, pour provoquer une prise de conscience de la réalité ? Je dirais qu'il s'agit d'une entreprise louable et bien intentionnée que dessert la position profonde du narrateur, que l'on perçoit dans le choix des mots, des images. le triomphe final des femmes, malgré son aspect apocalyptique, sa démesure, nous laisse dubitatifs, tant l'humiliation a prédominé tout au long du roman.
Dans Boomerang, sur France Inter ce lundi 14 janvier 2019, l'auteur déclare que le gouvernement qu'il décrit méprise les femmes. Mais les militants aussi.

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