Il faut être assez gonflé pour revendiquer actuellement son catholicisme. C'est pourtant ce que fait, assez brillamment, Denis Moreau dans cette ouvrage. Ce qui en fait la force, outre la qualité d'écriture, c'est son absence de manichéisme et, dans une moindre mesure, de doctrine. Denis Moreau tente plutôt de réhabiliter une foi quotidienne, parfois aride, faite de doute, mais également source de réponse aux interrogations de la vie. Il faut noter que Denis Moreau est également philosophe, ce qui peut expliquer la richesse du propos. très bien construit par ailleurs. Ce témoignage devrait donc vous parler, que vous soyez ou non chrétien, catholique, pratiquant. C'est à la fois léger, et dense, joyeux, et mélancolique. A l'image, très certainement, de l'auteur.
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Une vraie gageure que de se déclarer catholique: l'auteur, éminent philosophe à la faculté, explique les raisons de sa foi avec convictions étayées par son savoir, sa vie, ses questionnement. C'est bourré de références et d'humour.
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On me demande encore : dans tes convictions catholiques, ne connais-tu pas le doute ? Bien sûr que si ! Il ne se passe guère de semaine sans que je me demande : et si tu t'étais trompé ? et si tout cela n'était qu'une fumisterie , une supercherie, des contes ? Cruci-fiction ? En particulier : et s'Il n'était pas ressuscité ? Et si Feuerbach, Nietzsche, Marx, Freud et même tant qu'on y est Michel Onfray avaient raison ? Je peux donc faire mienne la boutade de Georges Bernanos : "Une journée de foi, c'est vingt-quatre heures de doute moins une minute d'espérance."
Tout comme on se grandit, dans sa vie personnelle, à reconnaître ses erreurs et à en demander pardon, j'estime que mon Eglise doit admettre qu'il lui est arrivé d'errer, parfois gravement, qu'elle doit savoir reconnaître ses torts, faire acte de repentance et, lorsque c'est encore possible, dédommager ses victimes.
Cela signifie-t-il que l'Eglise, la communauté des croyants, a des torts et commet des actes répréhensibles ?
La réponse est : oui, évidemment.
Il faut une conception de l'Eglise très naïve, dans laquelle communient catholiques idéalistes et anticatholiques mal informés, pour penser le contraire. Il serait extraordinaire qu'en deux mille ans d'histoire, une réalité qui a structuré la vie de plusieurs milliards d'êtres humains, avec leurs grandeurs mais aussi avec leurs inévitables faiblesses, lâchetés, cruautés, n'ait rien à se reprocher.
Quant à moi, j'ai lu Nietzsche, et c'est, d'un point de vue chrétien, autrement revigorant que la routine bien-pensante : sa charge contre le christianisme représente une des critiques les plus pertinentes adressées à cette religion. La confrontation avec Nietzsche constitue une épreuve de vérité à laquelle le christianisme et les intellectuels chrétiens ne sauraient se soustraire, s'ils ne refusent pas le débat par lâcheté ou isolement théorique. Un chrétien postnietzschéen qui réfléchit sur sa foi doit accepter de poser, avec Nietzsche, la question de l'évaluation du christianisme, de la" valeur de valeurs" qu'il défend et contribue à produire. Il peut de la sorte considérer le nietzschéisme comme une ressource efficace pour prémunir les chrétiens eux-mêmes contre le piège de la réactivité et les ténèbres de l'opposition permanente.
P18-19
L'eutrapélie désigne la vertu qui consiste à s'accorder une légitime détente. L'eutrapélie est une vertu, c'est-à-dire une capacité à bien agir. Pour Thomas [d'Aquin], une vertu est toujours un moyen terme entre ces deux extrêmes que sont d'une part une exagération et d'autre part un manque (de là vient la locution latine in medio stat virtus, "la vertu se tient au milieu"). Ce moyen terme ne signifie pas une moyenne statistique ou un compromis médiocre, mais un optimum, la meilleure façon d'exercer nos capacités : par exemple, la vertu de courage est le juste milieu entre deux "vices", la couardise et la témérité ; la vertu de générosité est le juste milieu entre avarice et prodigalité ; etc. L'eutrapélie constitue quant à elle un cas particulier de cette grande vertu "cardinale" qu'est la tempérance, conçue comme la capacité à être modéré, à user sur le mode du ni trop ni trop peu des bonnes choses de la vie (la boisson, la nourriture, le sexe, le rire, etc.). C'est le juste milieu entre la paresse et l'agitation permanente, et elle consiste donc à accorder à l'esprit crispé, fatigué par le travail, la détente qui lui permet de ne pas se briser sous la tension accumulée.
Denis Moreau - Résurrections : traverser les nuits de nos vies