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Critique de Clubromanhistorique


Au printemps 1508, un jeune homme d'une grande beauté, dénommé Aurelio, décide de quitter sa famille installée à la campagne pour gagner Rome. Son rêve : travailler pour le grand Michel-Ange et devenir sculpteur. Artiste renommé, Michel-Ange vient justement d'être choisi par le pape Jules II pour décorer la voûte de la chapelle Sixtine à Rome. La rencontre d'Aurelio et sa présence aux côtés de Michel-Ange seront déterminantes dans la réussite de cette oeuvre magistrale...


UN ROMAN À LA GLOIRE DE MICHEL-ANGE
Les sources historiques utilisées pour écrire ce roman ne sont pas indiquées, mais différents détails permettent de supposer que l'auteur s'est fortement appuyé sur les biographies élogieuses de Giorgio Vasari et d'Ascanio Condivi, écrites du vivant de l'artiste et à l'origine du mythe Michel-Ange. Un mythe soigneusement entretenu au cours des siècles suivants, notamment par ses descendants, dont l'un d'eux n'hésita pas à modifier les sonnets écrits par Michel-Ange pour faire taire les rumeurs homosexuelles à son sujet.

Ainsi basé sur le mythe Michel-Ange, ce roman met donc en exergue un artiste génial mais torturé, incompris, solitaire, jalousé et harcelé par sa famille. Or, depuis le XIXe siècle, les recherches permettent de brosser un portrait plus nuancé de l'homme. Voici quelques exemples :
– D'après le roman, ce serait Bramante qui aurait suggéré au pape Jules II de confier en 1508 la décoration de la voûte de la chapelle Sixtine à Michel-Ange, à seule fin de le voir échouer et de précipiter sa disgrâce auprès du souverain pontife. Mais une autre version indique que c'est le pape Jules II qui est à l'origine de ce choix et que Bramante aurait émis, à juste titre, des réserves quant à l'opportunité de confier une tâche aussi complexe à un artiste qui n'avait aucune expérience de la peinture à fresque. Même si Jules II n'était pas d'un caractère commode et que Michel-Ange se considérait avant tout comme un sculpteur, n'ayant que très peu d'expérience en peinture à fresque, ce dernier accepta la commande avant tout pour des raisons lucratives, la somme proposée était exceptionnelle pour l'époque, et il recruta des artistes chevronnés pour l'aider dans cette tâche… il ne créa donc pas tout seul cette oeuvre !
– le roman suggère également que Michel-Ange, en modifiant la commande de la voûte, a pris d'énormes risques, alors qu'il a en fait établi ce programme en concertation avec les théologiens de la cour papale, soucieux de mixer la tradition païenne et la culture catholique.
– Enfin, contrairement à la légende, l'oeuvre en cours d'élaboration était visible de tous, accueillant artistes, collectionneurs, amateurs d'art, mais aussi personnalités en vue de la cité... nous sommes bien loin de la vision de l'artiste esseulé sur son échafaudage !

Cependant, pour que l'histoire reste cohérente, l'auteur devait prendre un parti et la restitution romanesque de ce moment-clé de la vie de Michel-Ange se révèle passionnante, d'autant que l'auteur mêle parfaitement bien une certaine réalité à la fois historique et artistique et la fiction, à travers le personnage d'Aurelio. En outre, le récit, au style très fluide, alternant scènes descriptives et dialogues, se lit avec bonheur et facilité, et nous permet d'apprendre énormément de choses sans même s'en rendre compte.

Reste que l'absence d'indications concernant les sources utilisées est pour moi problématique. Une fois ma lecture achevée (que j'aurais aimé ne jamais terminer !), je me suis précipitée sur des biographies de Michel-Ange pour en savoir davantage sur sa vie et pour confronter les informations de l'auteur et celles d'historiens. Tout cela pour obtenir une vision plus nuancée et plus vraie de Michel-Ange.


UNE COMMANDE ÉTONNANTE
Ce roman nous présente l'oeuvre de Michel-Ange d'une manière très accessible et très claire, nous permettant de bien la situer dans l'histoire artistique, de comprendre les enjeux qui se cachent derrière elle et en quoi elle est révolutionnaire.

La chapelle Sixtine, réplique du temple de Salomon et dont la forme s'inspire de l'architecture militaire, a été construite sous le pontificat de Sixte IV, l'oncle de Jules II. Décorée par les meilleurs artistes florentins de l'époque – le Pérugin, Botticelli, Ghirlandaio, etc. –, la chapelle est, trente ans plus tard, défigurée par des fissures. Il est grand temps de restaurer sa voûte.

En mai 1508, Michel-Ange s'engage à réaliser des fresques représentant les douze apôtres dans les pendentifs et des motifs ornementaux dans les parties restantes. Excepté dans l'atelier de Ghirlandaio, vingt ans plus tôt et seulement de manière marginale, Michel-Ange n'a encore aucune expérience de la peinture à fresque ! Il aurait pu se contenter d'un ciel étoilé, mais il n'hésite pas à se lancer dans la réalisation d'une fresque immense peuplée d'une multitude de figures.

Ainsi, quatre ans plus tard, en 1512, les Romains découvrent une oeuvre révolutionnaire ! Renonçant à la perspective unique, Michel-Ange réalise une oeuvre dans laquelle chaque surface a sa propre perspective centrale : c'est une perspective polycentrique qui ne permet pas au spectateur de saisir depuis un seul point toute la fresque. En divisant la voûte avec des corniches de marbre, il a créé un espace artificiel dans lequel prennent place des scènes de la Genèse, ainsi que les Prophètes et les Sibylles dans les écoinçons et les ancêtres du Christ dans les lunettes. Sans oublier les ignudi, des hommes nus rappelant les génies, assis sur les ressauts des corniches. Un récit donc entièrement centré sur la figure humaine, avec de nombreux nus masculins.


L'ABSENCE DE PLANCHES DE VISUELS DES OEUVRES DE MICHEL-ANGE
Le visuel de couverture, qui s'imposait avec évidence, est magnifique, mais il aurait été intéressant de reproduire dans l'ouvrage des planches en couleurs de la chapelle Sixtine et de ses voûtes, même si cette pratique est plus courante dans les biographies. Car ce roman si visuel dans ses descriptions est d'une telle précision que le lecteur ressent le besoin d'aller vérifier les détails fournis par l'auteur mais est un peu déçu en s'apercevant qu'il n'y a pas une seule reproduction du chef-d'oeuvre de Michel-Ange dans le roman.


LA DESCRIPTION PRÉCISE DU DÉROULEMENT DU CHANTIER
L'élaboration de cette oeuvre inédite est retranscrite de manière minutieuse, sur la base d'une documentation fouillée. de prime abord, la technique de la peinture à fresque n'a rien de très glamour, mais elle se révèle passionnante sous la plume de l'auteur : il parvient à nous y intéresser non pas en nous bombardant d'informations théoriques mais en nous décrivant les faits et gestes des différents artistes de la bottega de Michel-Ange au jour le jour. On découvre ainsi à travers ces personnages les différentes étapes de la peinture à fresque, le quotidien du métier de fresquiste, le déroulement d'un chantier, le fonctionnement d'une bottega et toutes les émotions qui accompagnent une telle aventure : joie, déconvenues, souffrance, etc. Il s'agit véritablement d'un travail d'équipe, qui nécessite une parfaite coordination.

En effet, la décoration de la voûte de la chapelle Sixtine est une entreprise pleine de difficultés : la surface à peindre est immense et très en hauteur, sa forme courbe crée des déformations et impose de peindre la tête tournée vers le haut, l'échafaudage doit permettre aux célébrations d'avoir lieu même pendant les travaux, etc.

Le problème de l'échafaudage est rapidement résolu par Piero Rosselli avec l'installation de sorgozzoni, des tenons en bois fixés dans les murs et qui supportent les passerelles de l'échafaudage. Cette technique, alors courante à Florence, permet de laisser le sol dégagé pour la célébration des cérémonies prévues pendant la rénovation et d'éviter de laisser des trous d'accrochage dans la voûte.

Une fois l'échafaudage mis en place, Michel-Ange inspecte le plafond et doit se résoudre à ôter la fresque existante et poser un nouvel arriccio (couche de plâtre appliquée sur la maçonnerie). En effet, initialement, l'artiste pensait préparer le plafond en martellinatura : la fresque préexistante est percée d'une multitude de trous à l'aide d'un picot, de telle sorte qu'on peut appliquer l'intonaco pour la nouvelle fresque directement sur l'ancien arriccio. Mais, dans le cas présent, la fresque s'est presque détachée de la maçonnerie. Cette tâche, confiée à Aurelio, se révèle assez fastidieuse au point que le jeune homme se démet la clavicule au bout de quelques jours de labeur (merci aux compresses à la ricotta !). En outre, aux heures les plus chaudes de la journée, l'échafaudage devient une fournaise et se transforme vite aussi en bain de vapeur tant il faut d'eau pour mélanger l'arriccio.

Pendant que l'arriccio sèche, Michel-Ange prépare ses dessins à l'échelle réelle sur un carton tandis que son équipe se charge de préparer l'intonaco, l'enduit qui va recouvrir l'arriccio. L'application de l'intonaco demande aussi de la précision : on le pose en strates plus minces que l'arriccio pour éviter que des fissures se forment lors du séchage, et il faut qu'il soit plus régulier que l'arriccio sinon l'intonaco ne prend pas les couleurs de façon uniforme.

Une fois l'intonaco appliqué, il faut appliquer les pigments dissous dans l'eau avant que l'enduit ne durcisse, c'est-à-dire dans un délai de 24 à 48 heures après son étalement. le carton est alors fixé sur le support par des aiguilles et on reporte les lignes du dessin sur l'enduit. Pour cela, il existe deux techniques de transfert :
– La plus simple et la plus rapide consiste à dessiner les lignes avec un crayon fin, de telle sorte que des rainures fines restent visibles dans l'enduit encore humide.
– La méthode la plus exacte, mais aussi la plus compliquée, consiste à perforer le carton le long des lignes de centaines de petits trous d'aiguille, puis de le "poudrer" avec des petits sacs remplis de poussière de charbon, afin que les lignes soient reportées sur l'intonaco.

Comme Michel-Ange n'a pas l'habitude de peindre des fresques, il préfère éviter tout risque dans un premier temps. Par la suite, il réalisera de nombreuses parties sans le secours du carton !

Quand la giornata (surface prévue pour la journée) est enduite, on efface ensuite avec des draps humides les traces de l'enduit et on frotte l'intonaco pour le rendre un peu rugueux.

Tout ce travail est réalisé dans des conditions assez compliquées : échafaudage en hauteur, alternance de la chaleur en plein été et du froid en hiver, peu de lumière naturelle, position inconfortable des corps, à la fois tordus et penchés en arrière... Et un travail qui ne tolère pas l'approximation...


UNE TÂCHE MÉTICULEUSE ET EXIGEANTE
Bien qu'entouré de fresquistes renommés, Michel-Ange découvre un jour des moisissures sur la quasi-totalité de la fresque en cours de réalisation. Comme l'arriccio est sec, le responsable est l'intonaco qui est trop humide. Fureur de l'artiste qui voit son travail détruit par un manque d'expérience des matériaux romains. En effet, Piero Rosselli, le maître maçon florentin, a l'habitude d'utiliser de la chaux de marbre et du sable de l'Arno, et non de la chaux de travertin et de la pouzzolane. Or, ces matériaux réagissent différemment. Giuliano da Sangallo finit par trouver le bon mélange entre les différents matériaux. L'enduit est entièrement détruit et repeint par Michel-Ange : voilà deux mois de travail détruit...

Du fait de son inexpérience et des conséquences dramatiques qu'il a dû affronter au début de son travail, on ne peut qu'être stupéfait de la maîtrise technique et formelle que manifeste Michel-Ange, car il ne fera pas d'autres erreurs par la suite. Erreurs qui auraient pu être les suivantes :
– du fait des variations d'humidité et de température et d'un travail qui s'étale sur plusieurs années, il est difficile d'obtenir chaque jour la même qualité de mélange et la même qualité d'enduit sur le mur. le risque est que la différence des "journées" se traduise par des inégalités dans l'étalement et la prise du mortier.
– Les coloris : la couleur se prépare en mélangeant à l'eau un pigment très fin. Mais il suffit de petits changements dans la finesse et la quantité de pigment ou dans son rapport avec l'eau pour que la couleur finale soit différente. Or les coloris doivent être homogènes, au moins dans les parties adjacentes. Mais l'effet final ne peut être contrôlé que lorsque l'enduit est entièrement sec alors qu'il n'est pas possible d'intervenir sur la peinture une fois l'enduit sec.

Ainsi, à travers ce roman, on découvre toute l'histoire de la fresque de la voûte de la chapelle Sixtine, depuis la conception de son programme iconographique jusqu'à son inauguration spectaculaire, en passant par sa réalisation technique et les difficultés qui se sont présentées au cours du chantier.


MICHEL-ANGE, UN ÊTRE TORTURÉ MAIS UN GÉNIE !
Même si, comme je l'ai expliqué au début de ma critique, le portrait dressé de Michel-Ange est très flatteur et trop conforme au mythe de l'artiste maudit et seul face à l'adversité du monde, il n'en ressort pas moins que Michel-Ange était une personnalité complexe, un être tourmenté, méfiant, colérique, perfectionniste, exigeant avec lui-même comme avec les autres, à la recherche perpétuelle de la perfection, qui ne souffrait pas la médiocrité.

Ainsi, un jour, alors qu'Aurelio pénètre dans la chambre de Michel-Ange, une pièce dans laquelle personne n'a le droit d'entrer, il découvre des centaines de dessins recouvrant le sol : ce ne sont pas des esquisses destinées à la voûte de la chapelle Sixtine mais des monstres, des démons… ces démons qui le poursuivent nuit et jour, mais on ne saura rien. En effet, ce roman se concentre sur la portion de vie durant laquelle Michel-Ange a réalisé la décoration de la voûte de la chapelle Sixtine, mais il n'aborde pas du tout le reste de sa vie, rien sur sa jeunesse, son adolescence ou bien sa vieillesse. D'où viennent ces démons ? Qui sont-ils ? Pourquoi se considère-t-il comme un pécheur et ne trouve-t-il l'apaisement et le pardon que dans la création ? Ce roman n'apporte certes pas de réponses, mais il permet de mieux cerner la riche personnalité de Michel-Ange.

"– Je parle en tant qu'homme, expliqua Michel-Ange, et non en tant qu'artiste. Je croyais être un homme meilleur. Alors que je ne suis qu'un pauvre pécheur tourmenté par de mauvaises pensées, gonflé de vanité. Une créature pitoyable – il se redressa comme pour se débarrasser d'un fardeau ; au fond de ses yeux brillait à nouveau une étincelle combative. En tant qu'artiste, je n'ai de comptes à rendre qu'à Dieu !"

"– Regarde-moi, répondit Michel-Ange en écartant les bras comme un coupable. Que veux-tu que je fasse d'une chemise neuve ? Je suis laid, Aurelio. Même avant que Torrigiani m'écrase le nez, je n'étais pas beau, mais depuis c'est encore pire. Il baissa les yeux. Ma laideur n'est pas digne d'une belle chemise."

Avec une telle personnalité, Michel-Ange n'est pas une personne facile à vivre au quotidien, surtout pour les artistes de sa bottega qui finissent tous par quitter le chantier. Ne reste qu'Aurelio et un jeune aide. Car, au fur et à mesure que Michel-Ange se familiarise avec la technique de la peinture à fresque et prend donc confiance en lui, il délègue de moins en moins de tâches à ses collègues qui se sentent alors frustrés, d'où leur départ. Il faut dire que tous sont des fresquistes renommés et ils supportent mal le fait que Michel-Ange s'attribue tout le travail. Par exemple, il n'a laissé à Tedesco que la peinture d'une flaque d'eau, d'un peu de ciel et de deux branches d'arbre de la scène du Déluge !


DES HISTOIRES DE FAMILLE...
Ses biographes ont mis en lumière les relations compliquées que Michel-Ange entretenait avec sa famille, source perpétuelle de contrariétés. Dans ce roman, son père et ses frères lui demandent sans cesse de l'argent alors que pendant des années ils estimaient qu'il faisait un travail déshonorant et qu'il souillait le nom de la famille.

La réalité est cependant quelque peu différente. En effet, Michel-Ange était tellement avare qu'il se privait même du strict minimum (nourriture, logement, vêtements), refusant le moindre confort. La description donnée de sa bottega est un bon exemple : c'est une maison misérable avec un étage dont le crépi s'effrite. Au rez-de-chaussée, il y a une pièce sans fenêtre, avec une table faite de planches posées sur des tréteaux entourées de quatre chaises branlantes, et son atelier au sol recouvert de poussière blanche. Sa chambre, à l'étage, ne comporte que le strict minimum.

Certes, sa famille vivait grâce à l'argent de Michel-Ange, mais il ne semble pas qu'elle ait été une si grande source d'ennuis comme le suggère le roman, même s'il est certain que des tensions ont existé, notamment avec son frère Giovan Simone.


BRAMANTE ET RAPHAËL, SES RIVAUX
C'est en confrontant Michel-Ange à ses deux principaux rivaux d'alors – Bramante et Raphaël – que l'auteur parvient à cerner encore davantage, par contraste, la personnalité de Michel-Ange. En effet, aucun des deux ne trouve grâce aux yeux de Michel-Ange, même si c'est pour des raisons différentes. Pire encore, ils les considèrent comme des "envieux, des concurrents, des intrigants". Dans le roman, Michel-Ange surnomme même Bramante "le lèche-bottes aux yeux globuleux" !

Quant à Raphaël, la comparaison avec
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