Il croyait en l’amour, mais il l’avait jamais connu. Et à le regarder, j’ai réalisé que c’était moi que j’étais en train de regarder et je me suis rendu compte que vouloir l’amour, se battre pour ça, c’est plus vrai que d’être simplement amoureux. C’est plus profond, plus fort, plus honnête. L’autre amour, il est trop facile, il coûte rien. C’est pour les gens ordinaires et pas exigeants. Genre, ceux qui tombent amoureux comme ils tomberaient de cheval. Nous, faut qu’on souffre pour ça.
– Enceinte ?
Son regard laissait entendre que de telles étourderies biologiques n’étaient pas de son goût.
– As-tu vu un médecin ?
– Danny boy, pas besoin de sacrifier une pauvre lapine. Je sais que je suis enceinte aussi sûrement que je sais que je suis une femme. Les muchachas bien en chair comme moi se rendent compte tôt.
– Eh bien, je vais t’épouser.
On aurait dit qu’il se portait volontaire pour pénétrer dans un bâtiment en flammes.
– J’ai pas envie de t’épouser. Il est pas de toi, de toute façon, mon grand.
– Tu veux dire… qu’il est de lui ? Mais il est plus là depuis…
– Ça a pris la dernière fois qu’on l’a fait.
Elle claqua des doigts :
– Il a fait sonner mes ovaires comme les cloches de l’église.
– Oh, Seigneur.
Les toxicomanes ne prennent pas d'amants ; leurs cœurs prennent des otages à long terme.
Y a plein d’hommes qui m’ont aimée. Quand je dis plein, je veux dire des tonnes. Y en a trois ou quatre que j’ai cru aimer moi aussi. Mais justement, ça a jamais été rien de plus que ça : un truc que je croyais. Une lubie. Je voulais tellement être amoureuse que j’arrivais à m’en persuader jusqu’au bout des ongles, mais mon cœur…
Les flics ont pas les antennes sensorielles des camés. Y a qu’un junkie qui soit capable d’en pister un autre.
Tu peux toujours être trop gentil avec une femme. Mais jamais assez méchant. » Ce sont les filles en personne qui répandent cette idée, alors on peut dire que je les protège de leurs pires ennemis : elles-mêmes.
Aucun passe-temps, aussi innocent soit-il, qu’il ne réussissait à convertir instantanément en crime, ni d’ailleurs aucun crime assez insignifiant pour qu’il ne se fasse pas immédiatement cueillir sur le fait. Il était alcoolique avant même sa première gorgée de bière et toxico avant d’avoir gobé sa première aspirine.
Bijou haïssait le plein air encore plus que l’hymne national ; pour lui, le vent frais était une abomination pire que les putains repenties ; bref, il crachait sur les excursions dans la baie de San Francisco le même venin que sur les serveurs qui se présentaient à lui par leur prénom.
Ce n’était là que l’illusion de l’amour, sa charnelle charade sans espoir, reconnaissait-il tristement. En barrant son cœur au chagrin, il l’avait aussi barré à l’amour, et tant qu’il n’aurait pas gagné le courage d’affronter l’un, la grâce de l’autre lui serait refusée.
Les toxicomanes ne prennent pas d’amants ; leurs cœurs prennent des otages à long terme.