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Critique de berni_29


C'est une île bretonne comme on l'imagine, battue par les vents et les flots, il y a de la bruyère et des chardons qui courent jusqu'au bord des falaises, celles-ci avancent comme des promontoires au-dessus de la mer.
Nous sommes en août 1914. Sur cette île bretonne, tous les hommes valides sont mobilisés pour partir à la guerre. Brusquement, cette île qui vivait un peu éloignée du reste du monde est rattrapée par l'histoire, la Grande Histoire. C'est ainsi que l'instituteur écrit au tableau noir de l'école cette magnifique sentence libertaire : « aucune île n'est à l'abri des continents imbéciles ».
Seuls restent les femmes, les enfants, les vieux et ceux qui sont invalides... Maël aurait l'âge de partir à la guerre, mais il souffre d'un pied-bot. Il reste donc à quai, si l'on peut dire, et devient le seul homme jeune et vigoureux de l'île, parmi des femmes esseulées, transies d'attentes, d'espoir, puis peu à peu de désespoir au fur et à mesure que la guerre va durer...
Lorsqu'on propose à Maël de se voir confier la fonction de facteur de l'île, celui-ci accueille la nouvelle avec enthousiasme. C'est déjà une forme de revanche sur la vie, lui qui était jusqu'à présent moqué, victime du rejet des autres et sans doute en particulier de la gente féminine, à cause de son handicap. Mais sa revanche s'accomplira avec un dessein bien plus dense et complexe...
Un facteur est un passeur. Quand dès lors la guerre vient s'en mêler, nous sentons bien l'importance que revêt ce rôle. Il fait le lien entre ceux qui sont au front et leurs familles, mères, soeurs, épouses qui attendent des nouvelles... Mais au-delà de la fonction primaire de distribuer les lettres des poilus, Maël l'a vite compris, le facteur devient le bienfaiteur qui apporte l'espoir, celui qui écoute, celui qui console, celui sur lequel on trouve une épaule chaleureuse pour poser un chagrin, celui qui prend dans ses bras, les mains consolatrices deviennent peu à peu des caresses et le facteur se fait amant. Parce que ces femmes esseulées, qui attendent patiemment la fin de la guerre, rudes à la tâche, n'en sont pas moins faites de chair et de sang où bat le désir. Maël éveille ce désir chez elles et ces dernières en reconnaissance lui accordent une forme d'apprentissage à l'amour charnel. Point de sentiments, le cœur de ces femmes continue de battre dans la boue des tranchées. C'est juste une parenthèse.
L'histoire de ce roman graphique est originale à plusieurs niveaux. Didier Quella-Guyot, le scénariste et Sébastien Morice le dessinateur ont su avec harmonie composer une BD profonde et sensuelle.
Elle nous offre tout d'abord la vision de l'arrière-pays, loin des tranchées, là où la guerre se vit avec émotion, mais là où la vie continue aussi, c'est le courage des femmes qui vont continuer d'accomplir les tâches qui incombaient à leurs hommes. Ici, elles s'appellent Nolwenn, Simone, Soizig, Clémence… Les dessins ont une saveur désuète. Je les ai trouvés magnifiques. Dans cette naïveté fouettée par les embruns, ils m'ont rappelé des peintures de Paul Sérusier ou de Mathurin Meheut, un trait, une peinture typiquement bretonne, le dessin de Sébastien Morice rajoute une petite pointe teintée d'un érotisme pur beurre salé...
Et puis il y a une intrigue qui se noue au fil des planches.
Cela aurait pu être une gentille bluette, mais voilà que notre facteur de charme, par son succès inespéré, échafaude d'autres plans. Il détient une forme de pouvoir entre ses mains. C'est lui qui transmet les nouvelles du front d'une certaine manière. C'est par lui que passent l'espérance et l'effroi. Il en prend vite conscience... Un autre personnage en lui va alors se révéler, émerger dans la poursuite de son dessein revanchard, un personnage plus dense et ambigu que celui qui semblait se dessiner aux premiers abords, nous éloignant définitivement d'un romantisme désuet et de terroir, dans lequel l'histoire aurait pu totalement basculer. Didier Quella-Guyot réussit à merveille à nous capter sans relâche tout au long du récit.
Enfin, la force du scénario est qu'il se prolonge, par un rebondissement inattendu, au-delà de la guerre 14-18 et de la terre de cette île bretonne battue par les vents et le cri des mouettes... Mais, chut... ! Venez vite jeter votre ancre au bord de ses récifs...
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