De
Javier Moro, je connaissais La Passion indienne, un roman biographique à la lecture agréable qui raconte l'histoire de la princesse de Kapurthala, espagnole d'origine mariée à un maharajah appelé Jagatjit Singh. Satisfaite par ce roman, j'ai tout de même hésité à faire entrer dans ma bibliothèque le présent ouvrage de l'auteur espagnol. La première de couverture et le titre ne m'ont effectivement guère inspirée. Pas plus que la quatrième de couverture, peu convaincante. Mais ma curiosité jamais satisfaite et mon intérêt croissant pour l'Inde ont eu raison de ce livre.
Et je ne regrette pas mon choix.
le Sari rose emporte, en partie, ma satisfaction.
Javier Moro, vraisemblablement passionné par l'Inde, raconte et résume l'histoire d'une famille qui a marqué et marque encore le pays: la famille Gandhi-Nehru. Je ne saurais, à mon tour, résumer ce livre tant il y aurait à dire. Il est riche en contenu. Il en dit beaucoup sur la famille et les descendants de
Jawaharlal Nehru (
le sari rose est celui tissé par J. Nehru, alors en prison, pour sa fille Indira Gandhi) sur l'Inde, sur son histoire, sur le parti du Congrès national indien, sur le monde politique et son fonctionnement. L'auteur espagnole - en voulant écrire l'histoire quelque peu "extraordinaire" de Sonia, jeune italienne mariée à Rajiv, fils d'Indira Gandhi - ouvre grand les portes de l'Inde qui impressionne par sa richesse, sa diversité et sa complexité.
Et la plume de l'auteur est au service de cette identité.
Javier Moro ne brille pas par des effets de style. Il accepte le retrait. Son écriture est simple et fluide. Elle permet de transporter sur son dos une histoire assez dense qui pourrait, sinon, peut être, en lasser plus d'un. La simplicité de l'écriture est proportionnelle à la densité de l'histoire. Elle ne me nuit donc pas. En revanche, je reprocherai à l'auteur quelques facilités et un ton assez mielleux qui devient lassant. Et que dire des interprétations tirées par les cheveux? Exemple: expulsée de la maison familiale par sa belle-mère, alors Premier ministre du pays, Maneka Gandhi proteste sans violence devant la maison. Cette protestation suffit pour que l'auteur puisse se permettre une référence à
Mahatma Gandhi.
Ce livre, intéressant, a ses lacunes. Qu'est-il donc? Un roman? Un travail journalistique? Un documentaire? L'Edition Points le range dans la catégorie "Les romans" et avertit:
Ceci est une version romancée de la vie de Sonia Gandhi. Ni Sonia Gandhi ni aucun membre de la famille Gandhi, Nehru ou Maino n'a fourni d'informations ou n'a collaboré à la rédaction de ce livre. Les dialogues, conversations et situations sont le fruit de l'interprétation de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement la stricte réalité.
Là se trouvent le hic et ma critique. N'y a-t-il pas un problème à écrire un roman à partir de personnages réelles comme le fait
Javier Moro? N'est-il pas incorrect de mêler ici la fiction à la réalité? Comment le lecteur peut-il faire la distinction entre ce qui relève du réel et de l'imagination de l'auteur? Ce mélange et cette confusion me dérangent dès lors qu'on parle d'évènements historiques et politiques; dès lors qu'on emploie pour personnages fictifs des individus qui ont réellement existé; dès lors qu'on les place dans des situations qu'ils ont réellement affrontées. Pour être plus exact, la manière de faire de
Javier Moro me pose un peu problème. Pour échapper à la rigueur intellectuelle nécessaire à un bon documentaire, quoi de mieux que de poser l'étiquette "roman" qui ne fixe aucune limite à l'auteur?
Javier Moro ne dispose pas des matériaux nécessaires à une enquête/documentaire de qualité bien qu'il ait exposé, en fin de livre, une longue bibliographie. Il veut parler de la famille Gandhi-Nehru mais ne peut interroger ses membres soit qu'ils sont morts (Nehru, Indira, Sanjay et Rajiv), soit qu'ils ne veulent parler. Alors l'auteur contourne et use de la fiction pour aborder la psychologie de ces personnalités à l'existence réelle, pour comprendre cette famille et, à travers elle, l'histoire de l'Inde. Et dans ce livre à mi-chemin entre le roman et le documentaire historico-politique,
Javier Moro dessine un portrait plus qu'élogieux des membres de la famille. Il éprouve, pour eux, une tendresse et une sympathie qui va, me semble-t-il, jusqu'à minimiser leurs erreurs. Les frontières entre le réel et le fictif n'étant pas établies, je n'avais de cesse d'interrompre ma lecture pour procéder à quelques vérifications sur internet.
Raconter l'Histoire en usant de la fiction dans le but, simplement, d'échapper à la rigueur intellectuelle me dérange quelque peu. Par le biais du "roman", l'auteur peut s'écarter de la Vérité qui est pourtant, et d'une certaine façon, l'objectif d'un travail de recherche historique. Ce mélange des genres pollue mon esprit qui, dans ce domaine, n'a pas envie qu'on lui raconte des histoires. Cette absence de frontière entre le fictif et le réel a tout de même son avantage: il m'invite à la recherche.
le Sari rose a cela d'intéressant: il donne envie d'en savoir plus. Et j'ai, effectivement, soif d'informations. J'ai envie d'en savoir plus sur l'Inde et son histoire, sur sa politique, sa société et ses personnalités pour me construire ma propre opinion. Et pour ce faire, quoi de mieux que d'aller soi-même à la pêche aux informations.