J'ai retrouvé des similarités avec
Un don (le seul autre roman que j'ai lu de
Toni Morrison à ce jour), ressemblances qui traversent peut-être toute l'oeuvre de l'autrice : l'entremêlement des personnages, les allers-retours dans le temps, la vie qui blesse et qui malmène, le racisme bien sûr…
J'ai été frappée par le complexe d'infériorité qu'elle raconte, cette vision rabaissée de soi née d'un racisme quotidien, une auto-dévalorisation permanente intégrée par les protagonistes par la violence séculaire qui imbibe leur vie. La « laideur » supposée de Pecola n'est pas seulement dans le regard de personnes blanches, mais également dans celui d'Afro-Américains. Être métis·se est déjà s'élever sur l'échelle sociale de par la dilution du noir de la peau. D'où un rêve permanent de la vie des Blancs, rêve de leurs maisons, des paroles gentilles qu'on leur adresse, des regards appréciateurs, de leurs yeux bleus qui semblent éclairer leur existence. À ces privilèges s'oppose leur existence rude, leur pauvreté extrême, leurs horizons bouchés. Un gouffre bée entre eux, même dans le traitement d'une mère envers sa propre fille et la fillette blanche dont elle s'occupe.
Le récit tourne autour d'événements atroces – trigger warning : viol et inceste – mais conserve une sobriété bienvenue. Nul détail pour faire pleurer dans les chaumières, mais une économie de mots absolument poignante pour raconter comment les défoulements de violences – mépris, coups, abus… – tombent sur les plus faibles pour relâcher la frustration et la colère silencieuse : les hommes sur leurs femmes, les garçons sur les filles plus jeunes…
Claudia, par son regard qui tranche avec celui de la majorité, est la seule à apporter une bouffée d'air frais. Elle refuse ces jouets qui ne lui ressemble pas et qui la place directement dans le clan des « laides » car ne correspondant pas aux standards de beauté et, avec sa soeur, elle regarde Pecola, tente de l'aider, et, même si elle ne comprend pas tout du haut de ses dix ans, souhaite du positif dans la suite de son histoire.
Toni Morrison possède décidément un style déroutant. Elle passe d'une narration interne à la première personne – Claudia souvent, mais aussi la mère de Pecola ou Pecola elle-même à la fin du livre – à une narration à la troisième personne. Encore une fois, le roman est quelque peu décousu, mais reste assez intense et profondément triste. Peu d'espoir se dégage de ce récit, seuls les rêves apportent de temps à autre un répit aux personnages.
J'ai bien du mal à parler de ce livre qui m'a déstabilisée par sa forme autant qu'il m'a touchée. Un roman qui permet de ressentir viscéralement ce racisme – jamais nommé mais omniprésent – qui ne fait pas partie de ma vie, mais qui reste encore et toujours tristement d'actualité. Une plume inhabituelle mais définitivement unique. Un livre à relire peut-être, pour mieux s'en imprégner.
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