Il y a quelques années, j'avais été éblouie par "
Le Jardin des Secrets" de
Kate Morton dont je m'étais délecté page après page, conte après conte, secret après secret... Pleine d'espoir et alors bien peu méfiante envers les auteurs et les maisons d'éditions qui produisent des romans comme le boulanger façonne baguettes et croissants, je m'étais mise en tête d'explorer la bibliographie de l'auteure. J'avais alors bien apprécié "
Les Brumes de Riverton", sans plus, regrettant un peu son air de déjà vu. Têtue, j'ai poursuivi pourtant: "
La scène des souvenirs" et "
Les heures lointaines"- je crois- qui tous deux m'ont laissé avec une sensation poisseuse d'écoeurement, d'overdose: trop de vastes manoirs, trop de jeunes femmes en quête d'un passé qui expliquerait leur présent, trop de mièvrerie, trop de fils blancs... J'en ai eu la nausée et plus jamais je n'ai rouvert un roman de l'australienne.
Récemment, toutefois, en tâchant de mettre un peu d'ordre dans ma bibliothèque, sorte de petite jungle de papier, j'ai retrouvé "
Le Jardin des Secrets" et avec lui la réminiscence quasi-extatique du plaisir dans laquelle sa lecture m'avait plongée jadis. C'est ainsi, poussée par cette ineffable nostalgie que j'ai boudé les livres qui m'attendaient (et cette sublime "Mélancolie des Baleines" qui me bouleverse depuis deux jours!) pour le relire.
Force est de constater que si
Kate Morton, à l'instar d'autres faiseurs de best-sellers, a tendance à réécrire sans cesse le même roman, à appliquer à la lettre toujours la même formule comme une Cartland en son temps, elle nous a tout de même offert à nous lecteurs un divin enchantement avec ce jardin anglais aux airs gothiques, cette cruauté et ce mystère propres aux contes qu'on dit de fées et qui m'a furieusement rappelée à la relecture un autre chef d'oeuvre du genre que j'adore: "
Le Treizième Conte" de
Diane Setterfield (dont je n'ai aimé que cet ouvrage d'ailleurs... Tout cela ressemble fort à une malédiction!).
"
Le Jardin des Secrets", c'est l'époque victorienne. Ce sont les bas-fonds londoniens que n'auraient dédaigné ni
Charles Dickens, ni Jack l'éventreur. Ce sont les Cornouailles battues par les vents et que la pluie revêt d'un vert éclatant après chaque averse, le gout du sel et d'un feu de cheminée. C'est un manoir victorien dans la plus pure tradition, enclos dans un jardin merveilleux. C'est une famille mystérieuse, tourmentée, pétrie de ténèbres et de secrets. C'est un labyrinthe. Ce sont des contes aussi étranges que beaux, graciles et douloureux. C'est une conteuse. Ce sont le présent et le passé qui s'entrechoquent, le premier cherchant dans le second un baume propre à guérir ses blessures. Ce sont des personnages attachants (deux orphelines, une héroïne) et bien campés, des brumes et des douleurs anciennes. Un peu de lumière aussi.
Voici ce qu'est "
Le Jardin des Secrets" et c'est délicieux, hypnotique...
Ainsi au coeur de ce entrelacs de verdure et de secrets, c'est le destin de Nell qui va croiser celui de sa petite-fille Cassandra.
La première est morte laissant en héritage à la seconde un cottage mystérieux perché dans les Cornouailles... Pour sa petite fille qui croit encore que son aïeule était australienne, c'est une découverte plus qu'intrigante et elle entreprend le long voyage qui la mènera de l'Océanie à la vieille Europe pour tenter de percer le secret de Nell et de leurs origines à toutes les deux. Une quête des origines qui court de 1913 et d'un lourd transatlantique à 2003, là où tout avait commencé.
"
Le jardin des Secrets" est un page-turner efficace, addictif qui n'est pas sans facilité ni mièvrerie (mais légère!) mais il est servi par un style fluide et parfois poétique et surtout par une intrigue oppressante et romanesque qui saisit et ne lâche plus ainsi que par une connaissance accrue de la part de la romancière du contexte décrit dans le roman et des romans gothiques de ce merveilleux XIX° dans la tradition desquels il s'inscrit.
On ne peut que cesser de grincher face aux histoires conjointes de Nell et Cassandra pour se laisser emporter par leurs entêtantes destinées aux milles soubresauts, aux cent secrets et presque autant d'arcanes et de volutes. Un délice qui fait la part belle aux contes dont on sait tous sans le savoir qu'ils sont toujours plus sombres qu'ils n'y paraissent, qu'ils recèlent en eux l'exquise inquiétude des secrets qu'on se transmet de générations en générations.